LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 3 février 2015), que Maurice X... et Ginette Y..., son épouse commune en biens, sont décédés respectivement les 20 février 1992 et 13 novembre 2007 ; que des difficultés sont nées du règlement de leurs successions entre leur quatre filles, Mme Z..., Mme A..., Mme B... et Mme C... ; que Mme A... a demandé l'exclusion de « l'exploitation » de Vervins de l'actif successoral et l'attribution préférentielle de parts d'une EARL et de biens fonciers de nature agricole ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir juger que « l'exploitation » de Vervins ne peut constituer un bien à porter à l'actif de la masse successorale et de dire que cette exploitation doit être évaluée à une somme, indépendamment de la valeur du foncier qui est déjà pris en compte séparément dans l'actif , alors, selon le moyen :
1°/ que le droit au bail est strictement personnel au preneur, incessible et dépourvu de toute valeur patrimoniale, qu'à ce titre ni le bail ni les revenus de l'exploitation depuis le décès du preneur n'accroissent à la masse indivise ; qu'en jugeant qu'une exploitation agricole valait par sa capacité à générer un revenu et que les valeurs et droits produits par les parcelles exploitées à Vervins par Mme A..., revenus de l'exploitation, devaient accroître à la masse indivise alors que ces parcelles étaient précédemment louées à sa mère et que Mme A... a été subrogée dans ses droits, la cour d'appel a violé les articles L.411-34 et L.411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ qu'en l'absence de constitution d'un fonds agricole, une exploitation agricole ne peut constituer un bien ; qu'il s'ensuit que l'évaluation de l'exploitation ne peut être faite qu'à partir de ses seuls éléments d'actifs ; qu'en jugeant, pour faire figurer l'exploitation agricole de Vervins comme bien dans l'actif successoral, qu'il s'agissait d'une entité économique générant une certaine valeur et certains droits par la considération qu'une exploitation agricole vaut par sa capacité à générer un revenu et que si son évaluation doit prendre en compte ses différents éléments d'actifs, elle doit également prendre en compte son potentiel de rentabilité, ce qui suppose d'examiner l'exploitation qui est faite des parcelles de ce fonds agricole, quel que soit son régime juridique, la cour d'appel a violé l'article L.311-3 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L.411-74 du même code ;
3°/ que le juge ne peut statuer par des motifs imprécis ; que dès lors, en se bornant, pour affirmer que l'exploitation agricole de Vervins était une entité économique devant figurer à l'actif successoral, que cette exploitation dégageait une certaine valeur et certains droits sans préciser de quelles valeurs et de quels droits il s'agissait, la cour d'appel a statué par une motivation imprécise et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, qu'un bail rural n'a pas, en lui-même, de valeur patrimoniale et constaté que Mme A... avait inclus les superficies de l'exploitation de Vervins dans ses déclarations en vue de l'octroi de primes à l'élevage de vaches allaitantes et de droits à paiement unique sur le compte de l'EARL La Burelloise et que, selon les justificatifs produits, cette exploitation engendrait des valeurs identifiables, de nature à en faire une entité économique frugifère, sans comptabiliser les baux conclus pour une partie des parcelles, la cour d'appel, par une décision motivée, a pu en déduire qu'elle devait être évaluée indépendamment de la valeur du foncier et portée à l'actif successoral ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 4 du code civil ;
Attendu que l'arrêt dit qu'il ne peut être statué en l'état sur les demandes d'attribution préférentielle et renvoie les parties devant le notaire liquidateur ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit qu'il ne pouvait être statué en l'état sur les demandes d'attribution préférentielle et a renvoyé les parties devant le notaire liquidateur en invitant Mme A... à justifier devant ce dernier de ses garanties de solvabilité quant au paiement des soultes qui seront mises à sa charge, l'arrêt rendu le 3 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne Mme A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme Henriette X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Madame A... de sa demande tendant à voir juger que l'exploitation de Vervins ne peut constituer un bien à porter à l'actif de la masse successorale et dit que cette exploitation doit être évaluée à la somme de 79 950 €, indépendamment de la valeur du foncier qui est déjà pris en compte séparément dans l'actif successoral ;
AUX MOTIFS QUE « les premiers juges doivent être approuvés lorsqu'ils ont retenu que l'actif successoral comprend déjà la valeur du foncier bâti, bâtiment, terrains et maisons de l'exploitation de Vervins et que reste en débat la question de savoir si celle-ci doit ou non être portée à cet actif ;
Qu'il est constant qu'une exploitation agricole vaut par sa capacité à générer un revenu et que si son évaluation doit prendre en compte ses différents éléments d'actifs, observation faite qu'un bail rural n'a pas de valeur patrimoniale, elle doit également prendre en compte son potentiel de rentabilité ce qui suppose d'examiner l'exploitation qui est faite des parcelles de ce fonds agricole, quel que soit son régime juridique ;
Qu'en l'espèce, comme relevé par les premiers juges, le fait que Madame A... assume seule l'entretien de ses bêtes séjournant sur les parcelles de VERVINS et l'entretien des terres précédemment louées à sa mère n'établit nullement l'inexistence d'une exploitation agricole dès lors que n'est pas utilement critiqué le fait qu'elle a inclus les superficies de l'exploitation de VERVINS dans ses déclarations tendant à l'octroi de primes de vaches allaitantes et de droit à paiement unique de l'EARL LA BURELLOISE comme cela résulte des pièces produites en exécution de l'ordonnance rendue le 21 octobre 2011 par le Juge de la mise en état saisi d'un incident de communication de pièces (pièces n° 10 à 20, intimées) ; que ce constat, non seulement exclut la possibilité de soutenir raisonnablement que l'exploitation de VERVINS n'a plus aucune existence, mais également permet de considérer que Madame A... se trouve titulaire des droits d'exploiter les parcelles dont s'agit et que cette exploitation dégage, sur les justificatifs qu'elle produit elle-même, une certaine valeur et certains droits de nature à constituer une entité économique devant figurer dans l'actif successoral comme le soulignent les intimées ;
Attendu, s'agissant de la valeur de cette exploitation, que Madame A... ne peut, sans se contredire, soutenir que valeur de rendement de l'EARL LA BURELLOISE ne peut être appliquée à la surface de l'exploitation de VERVINS, alors que dans le cadre du règlement de la succession de son père, elle a sollicité, avec ses soeurs et contre sa mère, l'entérinement du rapport de l'expert, aujourd'hui critiqué, retenant une valeur de rendement ou de potentialité de productivité à l'hectare pour l'ensemble des deux exploitations de l'EARL LA BURELLOISE et de VERVINS ;
Que cependant, en l'absence d'éléments nouveaux sur l'évaluation elle-même, la Cour estime que les premiers juges ont à bon droit retenu que ces biens immobiliers dépendant des successions réunies des parents des parties, devront être évalués sur la base des estimations proposées par l'expert D... mais à charge pour le notaire de les réévaluer à la date la plus proche du partage en application des dispositions de l'article 829 du Code civil; qu'il en sera de même et pour les mêmes raisons en ce qui concerne la valeur des parts de l'EARL LA BURELLOISE » (arrêt, p.7, al. 2 à 5) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Attendu qu'actuellement, Madame Henriette A... soutient que cette exploitation ne constituerait plus un bien susceptible d'être porté à l'actif de la succession, aux motifs que les éléments d'actif de cette exploitation seraient déjà compris dans la liste des biens composant la masse successorale et qu'hormis ces biens immobiliers, l'exploitation agricole de Vervins ne comprendrait aucun autre bien susceptible d'avoir une valeur patrimoniale ;
Attendu toutefois qu'une exploitation agricole vaut par sa capacité à générer un revenu et que si son évaluation doit prendre en compte ses différents éléments d'actif elle doit également prendre en compte son potentiel de rentabilité ;
Attendu qu'en l'espèce, l'expert D... avait évalué l'exploitation agricole de Vervins à la somme de 79 950 €, indépendamment de la valeur du foncier bâti, bâtiments, terrain, maison, qu'il avait évalué à 67 801 € ;
Que c'est à juste titre que Madame A... fait valoir que l'actif successoral comprend déjà la valeur du corps de ferme de Vervins, retenu pour la valeur précitée de 67 801 € ;
Que dès lors cette valeur ne doit pas être intégrée dans l'évaluation de l'exploitation agricole de Vervins ;
Que par contre, Madame A... ne démontre pas que cette exploitation n'existerait plus en tant qu'entité disposant d'une capacité à générer un revenu, et que le fait qu'elle assume seule l'entretien des bêtes séjournant sur les parcelles sises à Vervins et l'entretien des terres précédemment louées à sa mère n'établit nullement l'inexistence d'une exploitation agricole ;
Que les parties adverses soulignent en outre à juste titre que les déclarations successives souscrites par Madame A... au titre des dernières années dans le cadre des demandes d'aides européennes incluent les surfaces des parcelles de Vervins ;
Que dès lors, il ne peut être considéré que l'exploitation de Vervins ne constitue plus une unité économique devant figurer à l'actif successoral ;
Que Madame A... ne proposant aucun mode d'évaluation de cette exploitation, il convient d'entériner l'évaluation retenue par l'expert D..., hors valeur du foncier en raison des motifs précédemment exposés, soit 79 950 € » (jugement, p.3, al. 6 et s. et p.4) ;
1°) ALORS QUE le droit au bail est strictement personnel au preneur, incessible et dépourvu de toute valeur patrimoniale, qu'à ce titre ni le bail ni les revenus de l'exploitation depuis le décès du preneur n'accroissent à la masse indivise ; qu'en jugeant qu'une exploitation agricole valait par sa capacité à générer un revenu et que les valeurs et droits produits par les parcelles exploitées à Vervins par Mme A..., revenus de l'exploitation, devaient accroître à la masse indivise alors que ces parcelles étaient précédemment louées à sa mère et que Mme A... a été subrogée dans ses droits, la cour d'appel a violé les articles L.411-34 et L.411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS, en tout état de cause, QU'en l'absence de constitution d'un fonds agricole, une exploitation agricole ne peut constituer un bien ; qu'il s'ensuit que l'évaluation de l'exploitation ne peut être faite qu'à partir de ses seuls éléments d'actifs ; qu'en jugeant, pour faire figurer l'exploitation agricole de Vervins comme bien dans l'actif successoral, qu'il s'agissait d'une entité économique générant une certaine valeur et certains droits par la considération qu'une exploitation agricole vaut par sa capacité à générer un revenu et que si son évaluation doit prendre en compte ses différents éléments d'actifs, elle doit également prendre en compte son potentiel de rentabilité, ce qui suppose d'examiner l'exploitation qui est faite des parcelles de ce fonds agricole, quel que soit son régime juridique, la cour d'appel a violé l'article L.311-3 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L.411-74 du même code ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut statuer par des motifs imprécis ; que dès lors, en se bornant, pour affirmer que l'exploitation agricole de Vervins était une entité économique devant figurer à l'actif successoral, que cette exploitation dégageait une certaine valeur et certains droits sans préciser de quelles valeurs et de quels droits il s'agissait, la cour d'appel a statué par une motivation imprécise et n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit qu'il ne peut être statué en l'état sur les demandes d'attribution préférentielle et renvoyé les parties devant le notaire liquidateur pour établir le projet d'état liquidatif tenant compte des dispositions du jugement confirmé en invitant Mme A... à justifier devant ce notaire de ses garanties de solvabilité quant au paiement des soultes qui seront mises à sa charge en cas d'attribution préférentielle, de façon à permettre à ses co-partageants de prendre parti de façon définitive sur ce point, le notaire devant, en cas de désaccord des parties, dresser un procès-verbal transmis au magistrat commis pour suivre les opérations de partage ;
AUX MOTIFS QUE « la Cour fait siens les motifs du jugement querellé en ce que, constatant que les intimées soumettaient leur accord à l'attribution préférentielle au profit de leur soeur des biens dépendant des successions en cause à la justification de sa capacité financière à s'acquitter de la soulte qui sera mise à sa charge, a relevé, d'une part et conformément aux dispositions de l'article 832-3 du Code civil, que cette capacité doit être prise en considération dans l'appréciation des intérêts en présence afin d'éviter de faire courir un risque certain aux co-partageants, d'autre part, qu'en l'absence d'un projet d'état liquidatif permettant de connaître le montant des soultes devant revenir aux co-partageants, la capacité de Mme A... à l'attribution préférentielle ne pouvait être appréciée en l'état » (arrêt attaqué, p. 7, in fine et p.8) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Mme A... sollicite l'attribution préférentielle des biens dépendant des successions en cause et que les parties adverses indiquent être d'accord avec cette demande à condition que la requérante justifie de ca capacité financière à acquitter les soultes devant revenir à ses co héritières; Attendu qu'effectivement la capacité du demandeur à une attribution préférentielle à payer la soulte qui sera mise à sa charge doit être prise en considération dans l'appréciation de intérêts en présence afin d'éviter de faire courir un risque certain aux co partageants ; Attendu toutefois qu'en l'espèce, à défaut d'établissement d'un projet d'état liquidatif permettant de connaître le montant des soultes devant revenir aux co partageantes, la capacité de la demanderesse à l'attribution préférentielle ne peut être appréciée en l'état; Qu'il convient donc de renvoyer les parties devant le notaire liquidateur pour établir le projet d'état liquidatif tenant compte des dispositions du présent jugement en invitant Mme A... à justifier devant ce notaire de ses garanties de solvabilité quant au paiement des soultes qui seront mises à sa charge en cas d'attribution préférentielle, de façon à permettre à ses co partageants de prendre parti de façon définitive sur ce point, le notaire devant, en cas de désaccord des parties, dresser un procès-verbal transmis au magistrat commis pour suivre les opérations de partage » (jugement, p.4 et 5) ;
1°) ALORS QUE l'accord des co partageants sur l'attribution préférentielle d'un bien lie le juge ; que dès lors, en déboutant Mme A... de sa demande d'attribution préférentielle, après avoir pourtant relevé que ses co-héritiers ne s'opposaient pas au principe de cette attribution à son profit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et ainsi violé l' article 832-3 du code civil ;
2°) ALORS QUE l'attribution préférentielle n'est pas subordonnée à l'évaluation préalable du bien, ni à l'établissement d'un compte entre les copartageants ; qu'en énonçant, pour débouter Mme A... de sa demande d'attribution préférentielle, que sa capacité à l'attribution préférentielle ne pouvait être appréciée en l'état en l'absence d'un projet d'état liquidatif permettant de connaître le montant des soultes devant revenir aux co-partageants, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 831 du code civil ;
3°) ALORS QUE sous peine de commettre un déni de justice, le juge ne peut débouter une partie d'une demande, au motif qu'elle est prématurée en l'état ; qu'en énonçant, pour débouter Mme A... de sa demande d'attribution préférentielle, que sa capacité à l'attribution préférentielle ne pouvait être appréciée en l'état, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 4 du code civil.