Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Christine X..., partie civile,- La société d'assurances MAIF, partie intervenante,
contre un arrêt de la cour d'appel de NANCY, en date du 18 septembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre M. Charles-Olivier Y... du chef de blessures involontaires par un conducteur de véhicule terrestre à moteur, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 septembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Fossier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller FOSSIER, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, de la société civile professionnelle ODENT et POULET, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs, les observations complémentaires et le mémoire en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 385-1 et 388-1 du code de procédure pénale, L. 113-2 et L. 113-8 du code des assurances, 100 du code de procédure civile, 591 du code de procédure pénale, des principes généraux de la procédure pénale, excès de pouvoir ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir dit que l'exception de nullité du contrat d'assurance présentée par la société AXA France Iard était recevable, a confirmé le jugement rendu le 28 mars 2014 par le tribunal correctionnel d'Epinal statuant sur les intérêts civils en ce qu'il a dit que cette juridiction était incompétente pour statuer sur l'exception de nullité du contrat soulevée par la société AXA France Iard et a renvoyé l'affaire sur ce point au tribunal de grande instance d'Epinal ;
" aux motifs propres que, sur la recevabilité de l'exception soulevée par la société AXA France Iard, l'article 385-1 du code de procédure pénale dispose que « dans les cas prévus par les articles 388-1 et 388-2, l'exception fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurance et tendant à mettre l'assureur hors de cause est, à peine de forclusion, présentée par celui-ci avant toute défense au fond. Elle n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie à l'égard des tiers » ; que la société AXA France Iard a soulevé tant devant le premier juge que devant la cour la nullité du contrat la liant à M. Y... ; que cette exception relève donc des dispositions du texte rappelé plus haut, et elle est en conséquence recevable ; que, sur la compétence, il ressort du dossier que par acte d'huissier du 17 avril 2013, Mme X... a fait citer la société AXA France Iard, assureur de M. Y..., en intervention forcée devant le tribunal correctionnel ; que, par acte d'huissier du 19 avril 2013, la société AXA France Iard a fait citer M. Y... devant le tribunal de grande instance d'Epinal aux fins de voir dire nul le contrat d'assurance souscrit par M. Y... ; qu'il n'est pas contesté que, conformément aux dispositions de l'article 757 du code de procédure civile, le tribunal de grande instance d'Epinal a été saisi par la société AXA France Iard au plus tard le 19 août 2013 ; que, par ailleurs, l'intervention de l'assureur, forcée ou volontaire, prévue par les dispositions de l'article 388-1 du code de procédure pénale, n'a pour effet que de permettre aux victimes de voir dire opposable à l'assureur la décision statuant sur les intérêts civils ; qu'elle n'a en revanche pas pour effet de saisir la juridiction pénale d'une demande émanant de l'assureur, les dispositions de l'article 388 du même code n'étant applicables qu'à la saisine de la juridiction pénale sur l'action publique ; que la procédure devant le tribunal correctionnel étant orale, cette juridiction ne peut être saisie d'une demande de nature civile que lors de l'audience ; qu'en l'espèce, il ressort du dossier que la demande de la société AXA France Iard tendant à voir renvoyer l'appréciation de la nullité du contrat au juge civil du tribunal de grande instance d'Epinal a été présentée le 17 octobre 2013, soit postérieurement à la saisine de la juridiction civile ; qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement rendu le 28 mars 2014 par le tribunal correctionnel d'Epinal statuant sur intérêts civils en ce qu'il a dit cette juridiction incompétente pour statuer sur l'exception de nullité du contrat soulevée par la société AXA France Iard et renvoyé l'affaire sur ce point au tribunal de grande instance d'Epinal ;
" et aux motifs adoptés que l'article 388-1 du code de procédure pénale dispose que lorsque des poursuites pénales sont exercées, les assureurs appelés à garantir le dommage sont admis à intervenir et peuvent être mis en cause devant la juridiction répressive ; que l'article 385-1 du code de procédure pénale dispose que l'exception fondée sur une cause de nullité ou sur une clause du contrat d'assurance et tendant à mettre l'assureur hors de cause est, à peine de forclusion, présentée par celui-ci avant toute défense au fond, et n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie à l'égard des tiers ; que la société AXA s'est conformée à cette obligation, ayant formulé dès la première audience pénale son exception de nullité du contrat ; qu'il est soutenu que la société AXA a été citée en intervention forcée devant la juridiction pénale par acte du 17 avril 2003, soit antérieurement de deux jours à la citation délivrée par AXA à l'encontre de M. Y... devant le juge civil du tribunal de grande instance d'Epinal ; que, cependant il y a lieu de remarquer que le tribunal correctionnel n'a été vraiment saisi du contentieux de la nullité du contrat que par le dépôt des conclusions en ce sens de la société AXA à l'audience pénale du 17 novembre 2013, alors que le juge civil en a été saisi dès le 19 avril 2013, soit six mois auparavant ; qu'aucune disposition du code de procédure pénale ne réglemente la manière de procéder en pareil cas ; qu'il est possible par analogie, bien que la procédure devant le tribunal correctionnel sur intérêts civils relève de la procédure pénale (sauf, en application de l'article 10 du code de procédure pénale, en ce qui concerne les mesures d'instruction ordonnées par le juge pénal sur les seuls intérêts civils) de se référer à l'article 100 du code de procédure civile, qui a une portée générale dans la mesure où il ne distingue nullement selon le type de juridiction saisie, selon lequel si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande (en l'occurrence AXA le demande) ; que, par ailleurs, si l'on aurait pu craindre que la société AXA ne choisisse son juge en souhaitant éviter la juridiction pénale en raison d'une jurisprudence de la chambre civile de la Cour de cassation qui lui était semble-t-il plus favorable que la jurisprudence de la chambre criminelle, cet inconvénient n'existe plus depuis l'arrêt du 7 février 2014 de la chambre mixte, produit par les parties en délibéré, qui avait précisément pour objet de mettre fin à une divergence de jurisprudence ; qu'enfin le juge civil est, davantage que le juge pénal, le juge « naturel » d'un contentieux d'assurance de nature davantage civile que pénale ; qu'il y a donc lieu pour le tribunal correctionnel de se déclarer incompétent pour statuer sur l'exception de nullité soulevée par AXA, au profit du tribunal de grande instance d'Epinal déjà saisi ;
" 1°) alors que, lorsque la juridiction répressive est saisie par l'assureur du responsable, avant toute défense au fond, d'une exception fondée sur une cause de nullité du contrat qui a pour effet de mettre l'assureur hors de cause et de l'exonérer totalement de son obligation de garantie à l'égard des tiers, elle est tenue de statuer sur cette exception, peu important que la juridiction civile en soit parallèlement saisie ; qu'au cas d'espèce, ayant retenu que la société AXA soulevait une exception de nullité du contrat d'assurance conclu par le responsable, M. Y..., qui à la supposer fondée était de nature à l'exonérer totalement de son obligation de garantie à l'égard des tiers, la cour d'appel n'était pas en droit de se déclarer « incompétente » et de refuser de statuer, motif pris de ce que la juridiction civile avait été préalablement saisie d'une demande de nullité du contrat formée par la société AXA ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'aucune exception de litispendance ne peut exister entre une instance pendante devant la juridiction répressive et une instance pendante devant la juridiction civile ; qu'au cas d'espèce, en jugeant au contraire que dès lors que la société AXA avait saisi le juge civil d'une demande de nullité du contrat d'assurance conclu avec M. Y..., avant que l'exception de nullité dudit contrat ne fût soulevée devant la juridiction correctionnelle, la litispendance existante devait conduire à retenir l'incompétence du juge répressif statuant sur les intérêts civils au profit de la juridiction civile, la cour d'appel a de ce point de vue encore violé les textes susvisés ;
" 3°) alors, en toute hypothèse, que l'exception de litispendance ne peut exister que lorsqu'un même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître ; qu'il ne peut y avoir identité d'objet, et donc identité de litige, lorsque d'un côté, la juridiction répressive est saisie d'une exception de nullité du contrat d'assurance soulevée par l'assureur du responsable, qui n'est qu'un moyen de défense et n'a pas pour objet d'obtenir le prononcé de la nullité du contrat et des conséquences y afférentes, et, d'un autre côté, la juridiction civile est saisie d'une demande en nullité du contrat formée à titre principal par l'assureur ; qu'aussi, en l'espèce, il ne pouvait quoi qu'il en soit y avoir aucune litispendance entre le litige pendant devant la juridiction correctionnelle, en raison de l'invocation par la société AXA France de l'exception de nullité du contrat d'assurance, et le litige introduit par cette dernière devant le juge civil aux fins de demander l'annulation du contrat ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu les articles L. 113-2 et L. 113-8 du code des assurances ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que la juridiction répressive, saisie, avant toute défense au fond, d'une demande de nullité du contrat d'assurance ayant pour effet d'exonérer totalement l'assureur de son obligation de garantie à l'égard des tiers, doit se prononcer sur cette exception, peu important que le juge civil ait été préalablement saisi d'une demande de nullité du même contrat, dès lors que ce juge ne s'est pas définitivement prononcé ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que, le 5 juillet 2012, M. Y... a occasionné un accident entre automobiles, se blessant et blessant Mme X..., qui a conservé une invalidité de 6 pour cent, et une autre personne, devenue tétraplégique ; que la société AXA, assureur du responsable, a, devant le juge civil, décliné sa garantie, par voie d'action en nullité du contrat d'assurances pour fausse déclaration ; que le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) est intervenu à l'instance ; que le tribunal correctionnel, après avoir statué sur l'action publique, a dit se référer par analogie à l'article 100 du code de procédure civile, et s'est ensuite déclaré incompétent pour statuer sur la nullité du contrat d'assurances, au motif qu'il avait été saisi d'une exception en ce sens par le dépôt de conclusions à la barre le 17 octobre 2013, alors que l'assureur avait saisi le tribunal de grande instance de la même question par assignation du 19 avril 2013 ; que Mme X... et son assureur ont interjeté appel ;
Attendu que, pour confirmer la décision d'incompétence du premier juge, la cour d'appel énonce que la demande faite par la société AXA de renvoyer l'appréciation de la nullité du contrat au juge civil a été présentée postérieurement à la saisine de la juridiction civile ; que les juges ajoutent qu'ils sont incompétents pour statuer sur ladite exception et qu'il faut renvoyer l'affaire du juge civil ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés, et le principe ci-dessus rappelé ;
Que dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 18 septembre 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.