LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2013), qu'invoquant de nouvelles contraintes réglementaires applicables à compter du 28 septembre 2006, qui prévoyaient que tout mécanicien d'avion ou technicien d'avion devait posséder une licence de maintenance d'aéronef pour pouvoir prononcer une Approbation pour la remise en service (APRS), la société Air France a, au mois de mai 2006, envisagé de soumettre à la signature des organisations syndicales représentatives du personnel un projet d'accord « relatif à la prise en compte des exigences de la partie 66 du règlement européen CE n° 2042/2003 dans l'exercice du métier de mécanicien d'avion » ; que ce projet prévoyait l'octroi de points de rémunération supplémentaires pour les mécaniciens titulaires de la licence et disposant d'une qualification de type avion, appelés à signer l'APRS ; que des tracts appelant les salariés à ne plus apposer leur signature sur les bons de travail ont été distribués les 10, 11 et 12 mai 2006 ; que saisi par la société Air France, le juge des référés du tribunal de grande instance a, par ordonnance du 24 mai 2006, fait défense aux syndicats CGT Air France, UGICT-CGT Air France, FO Air France (SGFOAF), Sud aérien, CFDT Groupe Air France SPASAF et SYNAF CFTC d'appeler, sous quelque forme que ce soit, les salariés de la société Air France à refuser de signer les bons de travail relevant de leurs compétences, sous astreinte de 7 000 euros par infraction constatée ; que la société a saisi le tribunal de grande instance aux fins de condamnation de ces syndicats, in solidum, au paiement de la somme de 484 719,32 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le mouvement qu'ils avaient déclenché ; qu'elle a ensuite signé une transaction avec tous les syndicats, à l'exception du syndicat Sud aérien, et s'est désistée de son instance et de son action à leur égard ;
Attendu que le syndicat Sud aérien fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Air France des sommes pour perte d'heures productives et pour le recours à la sous-traitance, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve que les organes habilités à engager le syndicat sont bien à l'origine du mouvement prétendument illicite lui ayant causé un préjudice et non au syndicat de démontrer qu'il n'est pas l'instigateur de ce mouvement ; que la seule mention en-tête d'un tract du nom d'un syndicat parmi d'autres organisations syndicales ne suffit pas à créer à la charge de ce syndicat une présomption de responsabilité dans la rédaction et la diffusion de ce tract ; qu'en l'espèce, après s'être bornée à relever que le tract du 11 mai 2006 portait notamment en en-tête le nom de « Sud aérien » et celui du 12 mai 2006 celui de « Sud », la cour d'appel a retenu la responsabilité du syndicat Sud aérien au motif qu'il n'aurait ni diffusé de démenti, ni contesté être l'auteur de l'un de ses tracts tant auprès de la société Air France que dans le cadre de la procédure de référé ou dans sa plainte avec constitution de partie civile ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a manifestement inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
2°/ que la responsabilité d'un syndicat n'est engagée qu'à raison du comportement fautif de ses organes ou de ses préposés et non des initiatives prises par une section syndicale ou par ses adhérents ; que faute d'établir que les organes décisionnels ou les préposés du syndicat Sud aérien ont été les instigateurs des tracts distribués les 11 et 12 mai 2006 ou ont promu, de quelque manière que ce soit, le mouvement collectif initié spontanément par les salariés de la société Air France, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°/ qu'un mouvement revendicatif ne se traduisant pas par une cessation totale du travail n'est pas en soi illicite sauf s'il entraine une désorganisation l'entreprise ; qu'en l'espèce, il ressort des tracts visés par l'arrêt attaqué que le mouvement prétendument illicite du personnel Air France appuyait une revendication d'ordre professionnel tendant à ce que toutes les catégories d'emplois de la maintenance aéronautique bénéficient des mêmes avantages salariaux ; que dans ces mêmes tracts le personnel était invité à ne plus effectuer les signatures sur le bon de travail tout en assurant les « réalisations des tâches uniquement liées au métier dans les règles de l'art » ; que dès lors en s'abstenant de rechercher si le mouvement du personnel Air France ne tendait pas à appuyer des revendications professionnelles légitimes et si ce mouvement avait effectivement désorganisé l'entreprise, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que la grève est la cessation collective et concertée de travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles ; qu'elle ne peut, dès lors, être limitée à une obligation particulière du contrat de travail ;
Et attendu qu'appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a constaté que si certains salariés avaient commencé à ne plus signer leurs bons de travail antérieurement au mot d'ordre syndical, les tracts des 11 et 12 mai 2006, notamment à l'en-tête de Sud aérien, appelaient à une généralisation du mouvement et incitaient très clairement les salariés à l'accomplissement de ces actes fautifs, en leur indiquant que l'argumentation de la direction, relative à l'illégalité de l'action, n'était pas fondée, que le syndicat Sud aérien n'avait ni diffusé de démenti, ni contesté être l'un des auteurs de ces tracts lors des échanges de courriers avec la société ou dans le cadre soit de la procédure de référé, soit de sa plainte avec constitution de partie civile ; qu'elle a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que le syndicat avait engagé sa responsabilité à l'égard de l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le syndicat Sud aérien aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour le syndicat Sud aérien.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué D'AVOIR condamné le syndicat SUD Aérien au paiement à la société Air France des sommes de 146 687,77 € pour la perte d'heures productives, 26 398,16 €, pour le recours à la sous-traitance, 2000 € pour les procédures de première instance et d'appel et D'AVOIR condamné le syndicat SUD aérien au paiement au syndicat CGT Air France de la somme de 800 €, pour les procédures de première instance et d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE le jeudi 11 mai 2006, des tracts appelant « l'ensemble des personnels à ne pas faire le jeu de la direction et dès aujourd'hui à ne plus effectuer les signatures sur les bons de travail » ont été distribués au personnel ; que, le vendredi 12 mai 2006, de nouveaux tracts ont également été distribués au personnel pour lui rappeler « Nous renouvelons l'appel auprès des personnels qui sont dans le doute et sous la pression hiérarchique de ne pas signer leurs bons de travail puisque notre métier n'est pas reconnu dans les filières. A VLR plus de signatures des certificats libératoires des équipements. Nous vous signalons aussi qu'aux moteurs un arrêt de travail ce matin est organisé à 9h30. Le même type d'action sera engagé et les signatures ne seront plus effectuées » ; que le règlement intérieur de la SA Air France rappelle que « dans l'exécution des tâches qui lui sont confiées, le personnel est tenu de respecter les instructions données par la hiérarchie, ainsi que les procédures de travail définies par notes de service ou manuels techniques » ; que le manuel des spécifications de l'Organisme d'Entretien de la SA Air France prévoit pour les « travaux avion » que l'exécutant des travaux appose son nom et sa signature sur le document approuvé, pour les « travaux d'équipements » que chaque opération est visée par l'exécutant identifié par son nom et sa signature ou par son trigramme et sa signature et pour les « travaux moteur » que chaque opération est visée par l'exécutant identifié par son nom, son tampon et sa signature ; que le manuel de l'organisme de production de la SA Air France prévoit, en ce qui concerne les enregistrements des opérations et des contrôles intermédiaires, que « tout personnel à qui une tâche a été confiée (exécutant, maitrise, encadrement, contrôleur) est habilité, dans le cadre des directives propres à l'organisation dont il dépend, à en attester l'exécution par apposition de son nom (capitales d'imprimerie) et de sa signature, ou de la marque de contrôle correspondante, aux emplacements prévus à cet effet sur les documents de travail » ; qu'en conséquence, le fait pour les salariés de refuser de signer leurs bons de travail constitue une inexécution partielle de leurs obligations professionnelles résultant de leur contrat de travail et de leurs fonctions, et non une cessation collective et concertée de travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles ; que lorsqu'un mouvement ne constitue pas l'exercice du droit de grève, le fait pour un syndicat d'en avoir été l'instigateur, le promoteur ou l'organisateur constitue une faute engageant sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1382 du code civil ; que, même si certains salariés avaient commencé à ne plus signer leurs bons de travail antérieurement au mot d'ordre syndical, les tracts des 11 et 12 mai 2006 appellent à une généralisation de ce mouvement et incitent très clairement les salariés à y participer, en leur indiquant que l'argumentation de la direction, relative à l'illégalité de l'action n'est pas fondée ; que les premiers tracts précités, du 11 mai 2006 portent notamment en-tête, le nom de « Sud Aérien » et le second, du 12 mai 2006, celui du syndicat « Sud » ; que le syndicat Sud aérien n'a ni diffusé de démenti, ni contesté être l'un des auteurs de ces tracts lors des échanges de courriers avec la SA Air France ou dans le cadre de la procédure de référé, soit de sa plainte avec constitution de partie civile ; que le syndicat Sud aérien ne peut, dès lors, soutenir dans le cadre de la présente procédure qu'il ne s'est jamais attribué l'établissement ou la distribution des tracts litigieux et conclure que, de ce fait, sa responsabilité ne peut être engagée ; qu'il existe un lien direct de causalité entre ce mouvement illicite et les préjudices invoqués par la SA Air France qui ont été directement générés par le refus du personnel de signer leurs bons de travail ;
1°) ALORS QU'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve que les organes habilités à engager le syndicat sont bien à l'origine du mouvement prétendument illicite lui ayant causé un préjudice et non au syndicat de démontrer qu'il n'est pas l'instigateur de ce mouvement ; que la seule mention en en-tête d'un tract du nom d'un syndicat parmi d'autres organisations syndicales ne suffit pas à créer à la charge de ce syndicat une présomption de responsabilité dans la rédaction et la diffusion de ce tract ; qu'en l'espèce, après s'être bornée à relever que le tract du 11 mai 2006 portait notamment en en-tête le nom de « SUD aérien » et celui du 12 mai 2006 celui de « SUD », la cour d'appel a retenu la responsabilité du syndicat SUD aérien au motif qu'il n'aurait ni diffusé de démenti, ni contesté être l'auteur de l'un de ses tracts tant auprès de la société Air France que dans le cadre de la procédure de référé ou dans sa plainte avec constitution de partie civile ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a manifestement inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;
2°) ALORS QUE la responsabilité d'un syndicat n'est engagée qu'à raison du comportement fautif de ses organes ou de ses préposés et non des initiatives prises par une section syndicale ou par ses adhérents ; que faute d'établir que les organes décisionnels ou les préposés du syndicat SUD aérien ont été les instigateurs des tracts distribués les 11 et 12 mai 2006 ou ont promu, de quelque manière que ce soit, le mouvement collectif initié spontanément par les salariés de la société Air France, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°) ALORS, enfin et en tout état de cause, QU'un mouvement revendicatif ne se traduisant pas par une cessation totale du travail n'est pas en soi illicite sauf s'il entraine une désorganisation l'entreprise ; qu'en l'espèce, il ressort des tracts visés par l'arrêt attaqué que le mouvement prétendument illicite du personnel Air France appuyait une revendication d'ordre professionnel tendant à ce que toutes les catégories d'emplois de la maintenance aéronautique bénéficient des mêmes avantages salariaux ; que dans ces mêmes tracts le personnel était invité à ne plus effectuer les signatures sur le bon de travail tout en assurant les « réalisations des tâches uniquement liées au métier dans les règles de l'art » ; que dès lors en s'abstenant de rechercher si le mouvement du personnel Air France ne tendait pas à appuyer des revendications professionnelles légitimes et si ce mouvement avait effectivement désorganisé l'entreprise, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR condamné le syndicat SUD Aérien au paiement à la société Air France des sommes de 146 687,77 € pour la perte d'heures productives, 26 398,16 €, pour le recours à la sous-traitance, 2000 € pour les procédures de première instance et d'appel et D'AVOIR condamné le syndicat SUD aérien au paiement au syndicat CGT Air France de la somme de 800 €, pour les procédures de première instance et d'appel, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE le syndicat SUD aérien ne peut soutenir dans le cadre de la présente procédure qu'il ne s'est jamais attribué l'établissement ou la distribution des tracts litigieux et conclure que de ce fait sa responsabilité ne peut être engagée ; qu'il existe un lien de causalité directe entre ce mouvement illicite et les préjudices invoqués par la SA Air France, qui ont été directement générés par le refus du personnel de signer leurs bons de travail ; que la SA Air France produit un rapport d'expertise réalisé par le cabinet Mazars, auquel elle a, par lettre d'engagement du 8 mars 2010, demandé d'estimer les incidences financières du mouvement social intervenu entre le 10 et 24 mai 2006 dans les ateliers de maintenance des moteurs d'Orly qui a entrainé, pendant cette période, l'arrêt des signatures des bons de travail ; que ce rapport indique en ce qui concerne la perte d'exploitation qu'il a été tenu compte de l'enregistrement, par les salariés qui se sont trouvés dans l'impossibilité de travailler suite au blocage de la chaîne de maintenance occasionné par le mouvement social, de leurs temps de présence devenus improductifs avec un code spécifique de suivi de leur activité ; que le nombre total des heures de présence improductives, calculé sur cette base, a atteint 15 055 heures, soit 24 % de la capacité productive des ateliers ; que ces 15 055 heures de présence qui ont été payées aux salariés constituent une perte d'exploitation puisque la SA Air France n'a pu bénéficier de la contrepartie des salaires versés ; que cette perte d'exploitation sur la base des données de la masse salariale issues des systèmes de paie de l'époque peut être estimée à 880 126 euros ; que ce rapport indique par ailleurs en ce qui concerne la perte de marge consécutive au recours à la sous-traitance que la conséquence directe du mouvement social qui a occasionné le recours forcé à la sous-traitance, notamment pour les moteurs CFM56-5 qui ne sont qu'exceptionnellement sous-traités, a concerné quatre moteurs ; que la perte minimum subie du fait de ce recours à la sous-traitance s'élève à 93 337 euros pour le mois de mai 2006 et à 65 052 euros pour le mois de juin 2006, soit un total de 158 389 euros ; que la SA Air France justifie ainsi les préjudices qu'elle invoque ; que la SA Air France demande la réparation de son préjudice matériel par le syndicat Sud aérien à hauteur du 1/6ème de la somme 880 126 euros pour la perte d'heures productives en tenant compte du nombre de six syndicats qui ont participé au mouvement et du 1/6ème de la somme de 158 389 euros pour le recours à la sous-traitance ; que le tract du 12 mai 2006 précité mentionne bien les noms de six syndicats ;
1°) ALORS QUE la responsabilité d'une organisation syndicale ne peut être engagée qu'à raison du préjudice découlant directement de son comportement fautif ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'une partie des effectifs avait déjà cessé de signer leurs bons de travail avant la distribution des tracts imputée à faute au syndicat SUD aérien ; que dès lors en retenant l'existence d'un lien de causalité direct entre la faute reprochée au syndicat SUD Aérien et les préjudices invoqués par la société Air France directement générés par le refus du personnel de signer leurs bons de travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 du code civil ;
2°) ALORS QU'un syndicat ne peut être condamné à des dommages et intérêts qu'à la condition que soit établi un lien de causalité direct et précis entre le comportement fautif du syndicat et le préjudice invoqué ; qu'en l'espèce, la faute retenue à l'égard du syndicat Sud aérien consiste à avoir distribué des tracts appelant les salariés à ne pas signer leurs bons de travail après avoir accompli leurs tâches ; que dès lors en s'abstenant d'expliquer en quoi le seul défaut de signature des bons de travail, alors qu'il n'est pas contesté que les salariés à l'origine du mouvement ont continué à travailler de la même façon, a entrainé un blocage de la chaîne de maintenance à l'origine de la perte d'exploitation et de la perte de marge alléguées par la société Air France, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°) ALORS QU'en indemnisant la société Air France pour le coût de la sous-traitance à laquelle elle a eu recours au mois de juin 2006 sans expliquer en quoi ce chef de préjudice était directement lié au mouvement social circonscrit à la période du 10 au 24 mai 2006, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, ensemble du principe de la réparation intégrale du préjudice.