AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°) le Syndicat CGT des papeteries de Mauduit, sis ... (Finistère), agissant en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
2°) M. Daniel C..., demeurant La Lande, Baye, Quimperlé (Finistère),
3°) M. Jean-Claude Z..., demeurant ... (Finistère),
4°) M. Jean-Claude B..., demeurant à Pimpic, Tremeven (Finistère),
5°) M. D... Daniel, demeurant ... (Finistère),
6°) M. Robert A..., demeurant Lotissement communal à Clohars (Finistère),
7°) M. Michel Y..., demeurant Locquillec, Baye, Quimperlé (Finistère),
8°) M. X... Le Goff, demeurant Bel Air, Tremeven (Finistère),
en cassation d'un arrêt rendu le 23 mai 1989 par la cour d'appel de Rennes (1re Chambre), au profit de la société Les Papeteries de Mauduit, société anonyme dont le siège social est ... (16e), prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 18 décembre 1990, où étaient présents : M. Cochard, président, M. Waquet, conseiller rapporteur, MM. Saintoyant, Benhamou, Lecante, Renard-Payen, Boittiaux, Bèque, conseillers, M. Faucher, Mme Beraudo, M. Bonnet, Mmes Marie, Pams-Tatu, Charruault, conseillers référendaires, M. Dorwling-Carter, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Waquet, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat du Syndicat CGT des papeteries de Mauduit et de MM. C..., Z..., B..., Daniel, A..., Y... et Le Goff, les conclusions de M. Dorwling-Carter, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'au cours de la négociation salariale annuelle entre la société Les Papeteries de Mauduit et le syndicat CGT, des arrêts de travail répétés sont intervenus dans l'usine de Quimperlé à partir du 9 février 1984 à l'appel du syndicat ; que celui-ci a donné une consigne de grève à partir du 23 février 1984 et que ce mouvement, qui a été suivi par une grande partie du personnel, s'est poursuivi jusqu'au 7 mars suivant ; que, du 23 au 29 février et les 5 et 6 Mars, des barrages et des piquets de grève ont interdit l'accès de l'usine tant aux salariés non
grévistes qu'aux clients et fournisseurs de l'entreprise ; que, faisant valoir, d'une part, que l'arrêt de travail était intervenu en violation d'un protocole d'accord, signé le 27 janvier 1976, qui faisait obligation au syndicat, avant de recourir à la grève, de soumettre le litige avec la direction à une commission de conciliation, d'autre part, qu'il y avait eu atteinte à la liberté du travail et à la libre circulation, la société a assigné le
syndicat CGT et sept grévistes pour les faire condamner à réparer le préjudice qu'elle avait subi ;
Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à réparer le dommage résultant des actes illicites commis au cours de la grève, alors que, selon le moyen, d'une part, les juges du fond ne pouvaient, sans se contredire, retenir un lien de causalité entre le manquement au protocole du 27 janvier 1976, imposant le recours préalable, avant toute grève, à une commission de conciliation, et le dommage invoqué par l'employeur, tout en constatant que ledit dommage, tel qu'allégué et retenu, résultait d'obstacles mis au libre accès de l'entreprise pendant une grève ; que, de ce chef, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, la responsabilité d'un syndicat ne peut être retenue que si ses dirigeants ont incité les salariés grévistes à commettre les agissements abusifs reprochés et ne peut être engagée du seul fait de la participation de ses mandataires ; qu'en se bornant ainsi à affirmer la responsabilité du syndicat sans relever aucun fait établissant sa participation personnelle, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que les juges du fond ont relevé que les entraves au libre accès de l'entreprise et à la liberté du travail avaient été effectuées sur les instructions du syndicat, qui a ainsi engagé sa responsabilité ; qu'abstraction faite des motifs erronés, mais surabondants, relatifs aux conséquences du manquement au protocole du 27 janvier 1976, la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner in solidum avec le syndicat sept salariés grévistes à réparer l'entier
dommage résultant des actes illicites commis du 23 au 29 février et les 4 et 5 mars 1984, la cour d'appel énonce que la faute commise permet à la société d'en demander la réparation aux salariés, mandataires du syndicat, qui ont participé aux piquets de grève dont l'action collective a causé le dommage ;
Qu'en statuant ainsi, sans préciser, en ce qui concerne chacun des salariés condamnés, à quel acte fautif précis il avait participé et sans donner mission à l'expert de rechercher le seul dommage résultant du comportement incriminé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum avec le syndicat sept salariés à réparer le préjudice subi par la société des Papeteries de Mauduit du fait des obstacles mis au libre accès de l'entreprise du 23 au 29 février 1984 inclus et les 4 et 5 mars 1984, l'arrêt rendu le 23 mai 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne la société Les Papeteries de Mauduit, envers les demandeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour
de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rennes, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du trente janvier mil neuf cent quatre vingt onze.