LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble le principe de liberté du commerce et de l'industrie ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, leur reprochant la commercialisation d'un ourson, selon elle identique à celui, dénommé "Balou", qu'elle vend depuis 2006, la société Appartement à louer a assigné la société Prada Retail France et la société italienne Prada SpA (les sociétés Prada) en concurrence déloyale et parasitisme ;
Attendu que pour dire que les sociétés Prada ont commis des actes de parasitisme préjudiciables à la société Appartement à louer, les condamner en conséquence in solidum à payer des dommages-intérêts à cette dernière et prononcer une mesure d'interdiction sous astreinte, l'arrêt retient que la longévité de la commercialisation de l'ourson "Balou" et le chiffre d'affaires dégagé par celle-ci, attestant du succès de cette création, permettent de considérer que la société Appartement à louer est fondée à se prévaloir de la création d'une valeur économique, née de son savoir-faire ainsi que des efforts humains et financiers qu'elle a déployés, lui procurant un avantage concurrentiel ; qu'il ajoute qu'en décidant de commercialiser, à destination d'une clientèle commune, un produit similaire évocateur de l'univers ludique de l'enfance et ayant les mêmes fonctions d'accessoire décoratif de sac matérialisé par l'adjonction d'un système d'accroche ou celle de porte-clef féminin, ceci avec l'avantage concurrentiel supplémentaire que leur procure le prestige de la marque Prada, et en s'inspirant par conséquent de la valeur économique ainsi créée sans justification légitime et sans qu'il puisse être considéré que cela résulte de circonstances fortuites, les sociétés Prada ont tiré fautivement profit de la valeur économique créée par la société Appartement à louer ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les sociétés Prada avaient tiré indûment profit du savoir-faire et des efforts humains et financiers consentis par la société Appartement à louer, lesquels ne pouvaient se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation de l'ourson litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'en tirant fautivement profit de la valeur économique créée par la société à responsabilité limitée Appartement à louer du fait de l'exploitation du modèle d'ourson référencé "Balou", la société Prada Retail France SAS et la société de droit italien Prada SpA ont commis des actes de parasitisme préjudiciables à la société Appartement à louer, condamne en conséquence in solidum les sociétés Prada Retail France et Prada SpA à verser à la société Appartement à louer une somme de 20 000 euros en réparation de ce préjudice, et fait interdiction aux sociétés Prada Retail France et Prada SpA de fabriquer, exporter, importer, détenir, offrir à la vente, vendre le modèle référencé 'Trick Sirio', ceci sous astreinte, et en ce qu'il statue sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens, l'arrêt rendu le 4 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Appartement à louer aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés Prada Retail France et Prada SpA la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour les sociétés Prada Retail France et Prada SpA
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'en tirant fautivement profit de la valeur économique créée par la société APPARTEMENT A LOUER du fait de l'exploitation d'un modèle d'ourson dénommé « BALOU », les sociétés PRADA RETAIL FRANCE et PRADA SpA ont commis des actes de parasitisme préjudiciables à la société APPARTEMENT A LOUER, d'avoir, en conséquence, condamné in solidum les sociétés PRADA RETAIL FRANCE et PRADA SpA à payer à cette société une somme de 20.000 € en réparation de ce préjudice et prononcé une mesure d'interdiction sous astreinte ;
AUX MOTIFS QUE « force est de relever que l'ours « Balou », nécessairement de taille réduite compte tenu de l'usage auquel il est destiné, présente une physionomie connue dans son positionnement et dans le marquage de ses traits depuis 1921, date de l'introduction d'oursons en France par Marcel X..., et contingente du procédé technique du tissage de perles dont il n'est nullement singulier qu'elles soient rondes à facettes, de la même manière qu'est banal le port d'un collier (…) ; qu'en l'absence de droit privatif sur une création dans un contexte de liberté du commerce et de l'industrie, le simple fait, par un concurrent, de reproduire même servilement cette création n'est pas constitutif d'une faute, l'action en concurrence déloyale n'étant pas une action de repli permettant de reconstituer le droit privatif sous une autre forme, et qu'il appartient à celui qui agit en concurrence déloyale de rapporter la preuve d'une faute distincte de la simple exploitation non contrefaisante ; qu'au demeurant, le procédé de fabrication des deux créations opposées, toutes deux en perles à facettes taillées tissées, et le positionnement adopté pour ces deux oursons, s'ils permettent à la cour de considérer qu'ils présentent de réelles similarités, ne la conduisent pas, pour autant, à considérer que l'ourson référencé « Trick Sirio » des sociétés Prada constitue une copie servile de l'ourson référencé « Balou », le premier présentant une silhouette plus fine et une physionomie plus délicate que le second ; que seule peut être retenue une similarité ; que l'appelante, se prévalant d'un risque de confusion de la clientèle sur l'origine des produits opposés, ne peut valablement incriminer le fait que les sociétés Prada aient reproduit en quatre coloris différents leur ourson à l'instar de sa déclinaison de l'ourson référencé « Balou » en 23 coloris dès lors qu'il s'agit d'une pratique commerciale courante pour ce type d'accessoire destiné à se coordonner avec le sac auquel il est accroché ou à être utilisé comme porte-clef dans une couleur susceptible de plaire à son utilisatrice ; qu'elle ne peut davantage incriminer la circonstance que ces deux oursons sont offerts à la vente dans deux grands magasins parisiens qui ont vocation à concentrer des produits de même nature provenant de multiples sociétés, de sorte que ni l'un ni l'autre de ces agissements ne saurait être considéré comme contrevenant aux usages loyaux et honnêtes du commerce et qu'elle échoue en son action au titre de la concurrence déloyale ; que s'agissant des agissements parasitaires par ailleurs dénoncés, la longévité de la commercialisation de l'ourson référencé « Balou » et le chiffre d'affaires engrangé par celle-ci, attestant du succès de cette création, permettent de considérer que l'appelante est fondée à se prévaloir de la création d'une valeur économique, née de son savoir-faire ainsi que des efforts humains et financiers qu'elle a déployés de manière soutenue, lui conférant un avantage concurrentiel ; qu'il y a lieu de considérer qu'en décidant de commercialiser, à l'intention d'une clientèle commune, un produit similaire évocateur de l'univers ludique de l'enfance et ayant les mêmes fonctions d'accessoire décoratif de sac matérialisé par l'adjonction d'un système d'accroche ou celle de porte-clefs féminin, ceci avec l'avantage concurrentiel supplémentaire que procure le prestige de la marque « Prada », et en s'inspirant, par conséquent, de la valeur économique ainsi créée sans justification légitime, et sans qu'il puisse être considéré que cela résulte de circonstances fortuites, les sociétés Prada ont commis des actes de parasitisme au préjudice de la société Appartement à Louer ; que le jugement sera, par voie de conséquence, infirmé en ce qu'il a rejeté la demande fondée sur la faute de parasitisme » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'imitation d'une prestation d'autrui qui n'est pas couverte par des droits privatifs n'est pas, en elle-même, fautive, à moins qu'elle n'intervienne dans des circonstances particulières, contraires aux usages loyaux du commerce ; que l'action pour concurrence déloyale ou parasitisme n'a pas vocation à permettre de reconstituer un droit privatif sous une autre forme ; qu'ainsi la seule circonstance qu'un produit présente une certaine valeur économique et procure un avantage concurrentiel à l'entreprise qui l'exploite ne confère pas à cette dernière le droit d'interdire à tout autre opérateur économique de commercialiser, sur le même marché, un produit présentant des caractéristiques identiques ou similaires ; qu'en déduisant le caractère fautif de la commercialisation, par les sociétés PRADA, d'un produit similaire à l'ourson « BALOU », du fait que la société APPARTEMENT A LOUER serait fondée, s'agissant de l'ourson « BALOU », à se prévaloir de la création d'une « valeur économique, née de son savoir-faire ainsi que des efforts humains et financiers déployés de manière soutenue par celle-ci, lui procurant un avantage concurrentiel », et en partant ainsi du principe que la constitution d'une telle « valeur économique » lui conférerait le droit d'interdire toute commercialisation, par des entreprises concurrentes, de produits similaires au sien, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ainsi que le principe constitutionnellement garanti de la liberté du commerce et de l'industrie ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le fait que l'imitation d'un produit déjà présent sur le marché ait permis à son auteur de profiter des efforts mis en oeuvre par un autre opérateur économique en relation avec ce produit et d'en faire l'économie ne constitue qu'une simple conséquence intrinsèquement attachée à cette imitation, en elle-même licite, et ne peut donc suffire à rendre celle-ci déloyale et partant fautive ; qu'en reprochant aux sociétés PRADA de s'être « inspirées », « sans justification légitime », d'une « valeur économique » créée par la société APPARTEMENT A LOUER, « née de son savoir-faire ainsi que des efforts humains et financiers déployés de manière soutenue par celle-ci, lui procurant un avantage concurrentiel » et de commercialiser, sous leur marque PRADA, un produit similaire à destination de la même clientèle, la cour d'appel, qui n'a ainsi relevé aucune circonstance, distincte de la seule exploitation d'un produit jugé similaire, de nature à caractériser un comportement déloyal, a violé l'article 1382 du code civil ainsi que le principe constitutionnellement garanti de la liberté du commerce et de l'industrie ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE les idées étant de libre parcours, la simple reprise d'une idée n'est pas constitutive d'une faute ; qu'en se fondant sur le fait que les sociétés PRADA auraient commercialisé un produit similaire « évocateur de l'univers ludique de l'enfance » et ayant « les mêmes fonctions d'accessoire décoratif de sac matérialisé par l'adjonction d'un système d'accroche ou celle de porte-clefs féminin », cependant que la reprise de telles idées ne pouvait constituer, en elle-même, une faute, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, en violation de l'article 1382 du code civil ainsi que du principe constitutionnellement garanti de la liberté du commerce et de l'industrie ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE le fait de commercialiser, sous sa propre marque prestigieuse, un produit similaire à celui d'un concurrent ne peut constituer un élément de nature à établir un comportement déloyal ; qu'en se fondant sur le fait que les sociétés PRADA pouvaient profiter de « l'avantage concurrentiel que lui procure le prestige de la marque « Prada » », la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 1382 du code civil ;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QU'en reprochant aux sociétés PRADA d'avoir agi « sans justification légitime » et « sans qu'il puisse être considéré que cela résulte de circonstances fortuites », sans relever la moindre circonstance de nature à établir que ces sociétés auraient contrevenu aux usages loyaux du commerce, la cour d'appel a encore statué par des motifs inopérants, en violation de l'article 1382 du code civil et du principe constitutionnellement garanti de la liberté du commerce et de l'industrie ;
ALORS, ENFIN, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en affirmant que les sociétés PRADA se seraient inspirées d'une « valeur économique » de la société APPARTEMENT A LOUER et qu'elles auraient commercialisé leur produit à destination d'une clientèle commune, tout en constatant, d'une part, que l'ourson « BALOU » présentait une « physionomie connue dans son positionnement et dans le marquage de ses traits depuis 1921 » et que celle-ci était « contingente du procédé technique du tissage de perles dont il n'est nullement singulier qu'elles soient rondes à facettes, de la même manière qu'est banal le port d'un collier », d'autre part, que les sociétés PRADA n'avaient pas copié servilement l'ourson « BALOU » mais avaient uniquement commercialisé un modèle qui serait similaire à celui-ci, et enfin, que ces sociétés avaient commercialisé le produit incriminé sous leur marque PRADA qui est prestigieuse, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser en quoi les sociétés PRADA se seraient placées dans le sillage de la société APPARTEMENT A LOUER en commercialisant l'ourson « TRICK SIRIO » ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.