LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article 1 bis A de l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers de justice, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu'en vertu des dispositions combinées de ces textes, l'huissier de justice est tenu, lorsqu'il agit en tant qu'officier public délégataire de l'Etat dans l'exercice de sa mission d'auxiliaire de justice, d'une obligation statutaire d'impartialité et d'indépendance ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la chambre des huissiers de justice de Paris (la chambre) qui avait, par trois actes sous seing privé, consenti au Comité national pour l'éducation artistique (le CNEA) la mise à disposition gratuite d'un local situé, à Paris, au dernier étage de l'Hôtel de Savoie, dit grenier des Grands Augustins, pour des durées déterminées successives expirant le 31 décembre 2010, a, par lettre du 2 mars 2010, avisé le CNEA qu'elle n'entendait pas renouveler la convention à son échéance, et l'a invité à prendre ses dispositions pour libérer le local ; que le CNEA s'étant maintenu dans les lieux malgré plusieurs lettres de relance, la chambre l'a assigné en référé aux fins d'expulsion et de paiement d'une provision à valoir sur l'indemnité d'occupation, par acte du 26 mars 2013 ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de cette assignation et de la procédure subséquente, tirée de ce que l'huissier de justice instrumentaire, M. X..., était intéressé au succès de l'action en tant que trésorier de la chambre, l'arrêt retient que celle-ci exerce l'action pour la défense de ses intérêts collectifs, qui, en raison du principe d'autonomie de la personne morale, se distinguent de ceux personnels de chacun de ses membres, de sorte que rien n'interdisait à M. X..., fût-il trésorier de cet organisme professionnel, de délivrer l'acte introductif d'instance litigieux ;
Qu'en statuant ainsi, alors que sa qualité de trésorier, membre du bureau chargé de la gestion du patrimoine et des intérêts financiers de la chambre, était de nature à faire naître un doute raisonnable, objectivement justifié, sur son impartialité et son indépendance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux autres moyens :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Prononce la nullité de l'assignation délivrée le 26 mars 2013 et de l'ensemble de la procédure subséquente ;
Condamne la chambre des huissiers de justice de Paris aux dépens, incluant ceux exposés devant les juridictions des référés ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la chambre des huissiers de justice de Paris et la condamne à payer au Comité national pour l'éducation artistique la somme de 5 000 euros, pour l'ensemble de la procédure ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delaporte et Briard, avocat aux Conseils, pour l'association Le Comité national pour l'éducation artistique
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le CNEA de sa demande d'annulation de l'ordonnance rendue le 3 juillet 2013 par le juge des référés ;
Aux motifs qu'« en application de l'article 1 bis A de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, un huissier de justice n'est pas autorisé à instrumenter pour ses parents ou alliés ou ceux de son conjoint, ni a fortiori pour lui-même ou dans son intérêt personnel afin qu'il ne puisse favoriser sa propre cause au détriment de ses devoirs d'officier public et ministériel ; que cependant, en l'espèce, l'action en justice est exercée par la Chambre des huissiers pour la défense de ses intérêts collectifs, lesquels sont, en raison du principe d'autonomie de la personne morale, distincts des intérêts personnels de chacun de ses membres, de sorte que rien n'empêche M. X..., fût-il le trésorier de la Chambre des huissiers, de délivrer l'assignation qui ne saurait donc être annulée ; ».
Alors qu'en application de l'article 1 bis A de l'ordonnance du 2 novembre 1945, les huissiers de justice ne peuvent, à peine de nullité, instrumenter à l'égard de leurs parents et alliés et de ceux de leur conjoint, ni a fortiori pour lui-même ou dans son intérêt personnel afin qu'il ne puisse favoriser sa propre cause au détriment de ses devoirs d'officier public et ministériel ; que l'assignation délivrée au CNEA l'a été par Maître Xavier X..., huissier de justice, associé de la SCP Didier et X..., qui n'est autre que le trésorier de la Chambre des huissiers de justice de Paris ; que pour rejeter l'exception de nullité de l'acte introductif d'instance et, par conséquent, la demande d'annulation de l'ordonnance rendue le 3 juillet 2013 par le juge des référés de Paris, l'arrêt attaqué a retenu que l'action en justice est exercée par la Chambre des huissiers pour la défense de ses intérêts collectifs, lesquels sont, en raison du principe d'autonomie de la personne morale, distincts des intérêts personnels de chacun de ses membres, de sorte que rien n'empêchait M. X... de délivrer l'assignation ; qu'en se prononçant ainsi, la Cour d'appel, méconnaissant le sens et la portée de l'interdiction posée par l'article 1 bis A de l'ordonnance du 2 novembre 1945, a violé le texte susvisé.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action engagée par la Chambre des huissiers de justice de Paris à l'encontre du CNEA ;
Aux motifs que « la présente action, qui tend à l'expulsion d'occupants qui seraient sans droit ni titre et au paiement d'une indemnité d'occupation, entre dans cette catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, étant précisé que la preuve de l'existence d'une telle occupation sans droit ni titre est une condition du succès de cette action, et non de sa recevabilité ; qu'il résulte de ces éléments que la Chambre des huissiers a qualité à agir seule contre le CNEA ; ».
Alors, en premier lieu, que la recevabilité de l'action est subordonnée à ce que le demandeur justifie de sa qualité de propriétaire de l'immeuble ; qu'en l'espèce, le CNEA soutenait que le bien litigieux, acquis par la Compagnie des huissiers de la Seine qui regroupait les huissiers des départements 75, 92, 93 et 94, est la propriété indivisible des huissiers de justice de Paris et des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, de sorte que la Chambre des huissiers de justice de Paris n'avait pas compétence pour agir seule ; qu'en jugeant, au contraire, que la Chambre des huissiers de Paris avait qualité à agir seule contre le CNEA, qui justifiait d'un bail, la Cour d'appel a violé l'article 815-2 du Code civil ;
Alors, en deuxième lieu, que si tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, les actes d'administration et de disposition relatifs à ces biens ne peuvent être pris que par un indivisaire titulaire d'au moins deux tiers des droits indivis ; que les actions en justice constituent en principe des actes d'administration et non des mesures conservatoires ; qu'en déclarant recevable, en application de l'article 815-2 du Code civil, l'action d'un seul indivisaire, la Chambre des huissiers de justice de Paris, tendant à voir expulser le CNEA, qui justifiait d'un bail, la Cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
Alors, enfin, qu'en tout état de cause, en ne recherchant pas si la Chambre des huissiers de justice de Paris était titulaire d'au moins deux tiers des droits indivis, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-3 du Code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 3 juillet 2013 en toutes ses dispositions ;
Aux motifs que « l'intention des parties ressort pourtant clairement des conventions « de mise à disposition gratuite » des 31 janvier 2002, 12 mai 2004 et 12 juin 2007, dans lesquelles aucune contrepartie n'était mise à la charge du CNEA ; que si une clause prévoyait que le « contrat est soumis, par simple analogie, aux dispositions du code civil relatives au bail », elle avait seulement pour objet de mettre à la charge de l'occupant des obligations matérielles analogues à celles pesant sur le locataire quant à la bonne conservation, à l'entretien et à la jouissance paisible des lieux sans pour autant lui confier les droits d'un locataire ; que l'utilisation du terme de « bail » par le président de la Chambre des Huissiers dans un courrier du 31 octobre 2012 est isolée et ne saurait à elle seule établir que l'intention des parties avait été de conclure un contrat de location ; qu'au demeurant l'absence d'équivoque sur ce point est évidente comme cela ressort notamment des plaquettes éditées par le CNEA à l'intention du public, et dans lesquelles il précisait par exemple que « le Grenier des Grands-Augustins est mis gracieusement depuis 2002 à la disposition du CNEA, qui a réhabilité le lieu, par la Chambre des huissiers de justice de Paris propriétaire de l'immeuble » ; (…) que la plupart des dépenses de rénovation des locaux appartenant à la Chambre des huissiers ont été financées par des tiers au titre du mécénat d'entreprise et que l'unique dépense personnelle dont justifie le CNEA depuis 2002 est une somme de 5. 051 euros correspondant au coût d'une porte sécurisée, sécurisation qui portait sur le « bureau de signification » bénéficiait donc d'abord à la Chambre et qui ne saurait constituer une contrepartie à leur mise à disposition ; qu'ainsi, la Chambre des huissiers et le CNEA étaient liés par un prêt à usage auquel le propriétaire de l'immeuble a mis fin sans que l'occupant quitte volontairement les lieux et que cette occupation sans droit ni titre d'un immeuble appartenant à autrui constitue un trouble manifestement illicite, justifiant que soit ordonnée en référé toute mesure qui s'impose pour le faire cesser, sans qu'il soit nécessaire d'établir en outre l'existence d'un dommage imminent ; ».
Alors, en premier lieu, que les juges du fond ont l'obligation de ne pas dénaturer le sens clair et précis des documents de la cause ; que par convention du 31 janvier 2002, la Chambre des huissiers de justice de Paris a mis à la disposition du CNEA l'immeuble Hôtel de Savoir situé 7 rue des Grands-Augustins à Paris (6ème) pour une durée de deux années renouvelables ; que ce contrat a été renouvelé par un avenant du 12 mai 2004 et une nouvelle convention de mise à disposition a été conclue le 12 juin 2007 pour une durée de trois années à compter du 1er janvier 2008 ; que l'usage de la notion de bail est attesté dans les propres courriers de la Chambre des huissiers de justice de Paris et dans la convention qui lie le CNEA et la Chambre des huissiers de justice de Paris ; qu'ainsi, sous l'intitulé « Charges et conditions », la convention du 12 juin 2007 stipule que « le présent contrat est soumis, par simple analogie, aux dispositions du Code civil relatives au bail (…) » ; que le président de la Chambre des huissiers de justice a mentionné lui-même l'existence du bail dans son courrier du 31 octobre 2012 ; que, dans ses conditions, la convention était soumise aux règles relatives au bail ; qu'en retenant que la Chambre des huissiers de justice de Paris et le CNEA étaient liés par un prêt à usage bien qu'il ressorte clairement de la convention en date du 12 juin 2007 et de courriers de la Chambre des huissiers de justice de Paris que le contrat était un bail soumis aux dispositions du Code civil, la Cour d'appel a dénaturé les documents précités méconnaissant les exigences de l'article 1134 du Code civil ;
Alors, en deuxième lieu, que le caractère onéreux de la convention est incompatible avec la qualification de prêt à usage ; que le caractère onéreux de la convention se déduit de l'existence des travaux réalisés par l'emprunteur au profit du prêteur ; qu'en estimant que la convention du 12 juin 2007 constituait un prêt à usage, tout en constatant que le CNEA avait réalisé des travaux dans le local litigieux, peu important à cet égard que certains de ces travaux aient été réalisés par le biais du mécénat d'entreprise, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1875 et 1876 du Code civil ;
Alors, enfin, que le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, intervenir pour ordonner les mesures qui s'imposent lorsqu'il constate l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'en retenant, pour caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite, que la convention d'occupation conclue par le CNEA et la Chambre des huissiers de justice était un prêt à usage bien qu'il ressorte clairement de la convention en date du 12 juin 2007 et de courriers de la Chambre des huissiers de justice de Paris que le contrat était un bail soumis aux dispositions du Code civil et que le CNEA avait réalisé des travaux dans le local litigieux, de sorte que le caractère onéreux de la convention était incompatible avec la qualification de prêt à usage, la Cour d'appel a méconnu l'article 809 du Code de procédure civile.