LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 23 juin 2014),que Jean X... est décédé le 29 mars 2004, laissant pour lui succéder son épouse commune en bien, et ses deux filles, Mmes Y... et Z... ; qu'auparavant, Jean X... et son épouse avaient cédé à Mme Z... et à son mari leur exploitation agricole et des terres agricoles prises à bail par ces derniers ; que Mme Y... a assigné sa mère et sa soeur en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage en demandant qu'il soit jugé que ces cessions constituaient des donations indirectes justifiant le rapport à la succession de la différence entre le prix de vente de ces biens et leur valeur réelle ;
Sur le moyen unique pris en sa première branche :
Attendu que Mmes X... et Z... font grief à l'arrêt de dire que cette dernière devra rapporter à la succession de Jean X... une certaine somme correspondant aux avantages consentis par ses parents alors, selon le moyen, que tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; que peut constituer une donation déguisée tout avantage indirect résultant de la modicité d'un prix de vente à condition que soit par ailleurs caractérisée l'intention libérale, qui peut se définir comme la conscience et la volonté de s'appauvrir au bénéfice d'autrui ; qu'en condamnant Mme Joëlle Z... à rapporter à la succession de Jean Maxime X... la somme de 108 872,55 euros au titre d'avantages qui lui ont été consentis au titre de la vente du cheptel mort et vif cédé en 1985 et au titre de la vente de deux parcelles intervenue le 6 avril 2000, après avoir relevé que la volonté des époux X...-Y... de gratifier leur fille Joëlle résultait de la sous-évaluation du montant des transactions intervenues entre les parties ainsi que du caractère occulte des avantages ainsi consentis, motifs pourtant impropres à caractériser l'intention libérale des époux X...-Y..., la cour d'appel a violé l'article 843 du code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a estimé que la sous-évaluation systématique du montant des transactions intervenues entre les parties et le caractère occulte des avantages ainsi consentis démontraient la volonté manifeste des époux X... de gratifier leur fille ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :
Attendu que Mmes X... et Z... font encore grief à l'arrêt de dire que cette dernière devra rapporter à la succession de Jean X... une certaine somme correspondant aux avantages consentis par ses parents alors, selon le moyen, que dans le cadre de la recherche d'un éventuel avantage indirect au sens de l'article 843 du code civil, la valeur vénale d'une parcelle agricole, vendue de son vivant par le de cujus à l'un de ses héritiers doit être fixée à la date de sa vente en prenant en considération la moins-value résultant de l'existence d'un bail rural grevant cette parcelle, quand bien même ce bail aurait-il été consenti à l'héritier acquéreur ; qu'en affirmant que par l'effet de la vente consentie le 6 avril 2000 par les époux Jean Maxime X... à leur fille Joëlle Z..., et à son époux, tous deux détenteurs d'un bail sur les deux parcelles vendues depuis le 24 décembre 1996, les qualités de propriétaires et de locataires se sont trouvées réunies sur la tête des deux acquéreurs, ce qui a entraîné ipso facto la disparition du bail, de sorte que lesdits biens devaient « être évalués comme étant libres de toute occupation », la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération la moins-value résultant de l'existence de ce bail, a violé derechef l'article 843 du code civil ;
Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que les terrains agricoles litigieux devaient être estimés comme libres de bail dès lors que cette estimation, destinée à assurer l'égalité entre les copartageants, concernait un bien qui, par l'effet de son attribution à l'héritier qui en était preneur et de la réunion sur la tête de celui-ci des qualités incompatibles de propriétaire et de fermier, avait cessé d'être grevé du bail dont il était auparavant l'objet ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que les autres griefs du pourvoi ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... et Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mmes X... et Z....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mme Joëlle Z... devra encore rapporter à la succession de Jean Maxime X... la somme de 108.872,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2013 et dit que, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, les intérêts dus et échus depuis plus d'un an porteront eux-mêmes intérêts à compter du 21 janvier 2014,
AUX MOTIFS QUE « ensuite de son arrêt du 14 janvier 2013, la cour ne reste saisie que du sort des cessions successivement intervenues courant 1985 (cheptel et matériel agricole), le 6 janvier 1995 (maison et terres cadastrées ZW n°45) et le 6 avril 2000 (parcelles ZW n° 14 et 24) ;
Que, sur la cession de l'exploitation, le cheptel a été cédé en 1985 pour le prix de 362.900 francs (55.323,75 €) et le matériel agricole pour 148.500 francs (22.638,68 €) ;
Que l'expert a estimé la valeur du cheptel vif, composé de 17 vaches multipares, 16 vaches de réforme, 17 vaches primipares ou génisses prêtes à vêler, 13 génisses de 24 à 36 mois, 13 génisses de 12 à 18 mois et 13 veaux, au 1er janvier 1985, à la somme totale de 80.000 € ;
Qu'il a estimé la valeur, à la même date, du cheptel mort, composé de nombreux engins agricoles, à la somme totale de 44.850 €, en précisant que cette estimation était basée sur une valeur moyenne de vente de matériel d'occasion, sans tenir compte de l'état desdits matériels ;
Qu'il a conclu que la valeur de ces biens avait été manifestement sous-évaluée, lors de la vente, par rapport au prix du marché de 1985, sous réserve de l'état du matériel qui pouvait être jugé sur pièces ;
Que l'expert avait reçu mission d'estimer la valeur du cheptel à la date de la cession, ce qui s'entendait nécessairement du cheptel mort et du cheptel vif, de sorte que les demandes formées à ce titre par l'appelante ne sont pas nouvelles ;
Que l'expert a retenu un prix de vente moyen de matériel d'occasion, au vu des références existant pour l'année 1985 ;
Que les intimées, qui n'ont communiqué à l'expert aucun élément d'information sur l'état du matériel cédé, ne sont pas fondées à critiquer les estimations retenues par celui-ci ;
Qu'à défaut de justification par les intéressées de ce que l'état réel du matériel aurait été particulièrement vétuste ou dégradé, la prise en considération par l'expert d'un état moyen est parfaitement justifiée et doit être approuvée ;
Qu'il résulte ainsi des constatations effectuées par l'expert que l'ensemble du matériel et du cheptel dépendant de l'exploitation des époux X... a été cédé au prix de 78.000,54 € (511.650 francs) alors que sa valeur réelle était de 124.850 € ;
Que la différence injustifiée (46.850 €), dont a bénéficié Joëlle X... épouse Z..., constitue un avantage indirect qui doit être rapporté à la succession ;
Attendu que Martine Y... est recevable à solliciter que soit, en outre, prise en considération la valeur des stocks cédés en même temps que l'exploitation, cette demande se trouvant virtuellement comprise dans la réclamation initiale, laquelle tendait à voir réintégrer à la succession la différence entre la valeur réelle des éléments de l'exploitation cédés aux époux Z...-X... et le prix payé par ces derniers ;
Que de tels stocks existaient nécessairement à la date de la vente ;
Que, si l'expert, non saisi de cette question, n'a pu se prononcer sur la valeur de ces stocks, il a, néanmoins, considéré que l'évaluation effectuée par CER FRANCE et transmise par Martine Y... était cohérente ;
Que cette évaluation, fondée sur l'importance du troupeau et les besoins de son alimentation et de son entretien, est, en effet, précise et bien motivée ;
Qu'elle n'est contredite par aucun élément produit par les intimées ;
Qu'elle doit donc être retenue pour la somme de 24.417 €, représentant la valeur des stocks de maïs, fourrages et paille, ainsi que les façons culturales employées
Que l'absence de prise en compte de ces stocks lors de la cession de l'exploitation constitue un avantage indirect qui doit également être rapporté pour sa valeur à la succession » (arrêt, p. 5 et 6),
ET AUX MOTIFS ENCORE QUE, « sur la vente du 6 avril 2000, aux termes d'un acte sous seing privé du 24 décembre 1996, enregistré le 30 décembre 1996, les époux X.../Y... ont donné en location aux époux Z.../Poirier les parcelles ZW n° 14 et 24, objets de la vente intervenue, entre les mêmes parties, le 6 avril 2000 ;
Que, par l'effet de cette vente consentie aux deux époux, les qualités de propriétaires et de locataires se sont trouvées réunies sur la tête des deux acquéreurs, ce qui a entraîné ipso facto la disparition du bail, de sorte que lesdits biens doivent être évalués comme étant libres de toute occupation ;
Que la vente s'est effectuée au prix de 148.000 francs (22.562,45 €) ;
Que l'expert a estimé la valeur des biens vendus, au 6 avril 2000, à la somme totale de 60.168 € ;
Que c'est donc pour ce montant, et non pour celui réellement pratiqué qui représente une décote de plus de 60 %, que les biens auraient dû être cédés ; Que la différence (37.605,55 €), injustifiée, doit être regardée comme constituant un avantage indirect et rapportée à la succession ;
Que Joëlle Z..., bénéficiaire des avantages ainsi consentis par ses parents, devra donc rapporter en définitive la somme de 46.850 € + 24.417 € + 37.605,55 € = 108.872,55 €, étant observé que la sous-évaluation systématique du montant des transactions intervenues entre les parties, ainsi que le caractère occulte des avantages ainsi consentis, démontrent la volonté manifeste des époux X.../Y... de gratifier leur fille Joëlle ;
Que la somme susvisée produira intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2013, date de dépôt du rapport d'expertise à compter duquel le montant des avantages consentis a pu être déterminé ;
Que les intérêts dus sur les sommes susvisées et échus depuis plus d'un an porteront eux-mêmes intérêts à compter des conclusions du 21 janvier 2014 qui en font la demande » (arrêt, p. 7),
ALORS QUE tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; que peut constituer une donation déguisée tout avantage indirect résultant de la modicité d'un prix de vente à condition que soit par ailleurs caractérisée l'intention libérale, qui peut se définir comme la conscience et la volonté de s'appauvrir au bénéfice d'autrui ; qu'en condamnant Mme Joëlle Z... à rapporter à la succession de Jean Maxime X... la somme de 108.872,55 euros au titre d'avantages qui lui ont été consentis au titre de la vente du cheptel mort et vif cédé en 1985 et au titre de la vente de deux parcelles intervenue le 6 avril 2000, après avoir relevé que la volonté des époux X...-Y... de gratifier leur fille Joëlle résultait de la sous-évaluation du montant des transactions intervenues entre les parties ainsi que du caractère occulte des avantages ainsi consentis, motifs pourtant impropres à caractériser l'intention libérale des époux X...-Y..., la cour d'appel a violé l'article 843 du code civil,
2) ALORS QUE, dans le cadre de la recherche d'un éventuel avantage indirect au sens de l'article 843 du code civil, la valeur vénale d'une parcelle agricole, vendue de son vivant par le de cujus à l'un de ses héritiers doit être fixée à la date de sa vente en prenant en considération la moins-value résultant de l'existence d'un bail rural grevant cette parcelle, quand bien même ce bail aurait-il été consenti à l'héritier acquéreur ; qu'en affirmant que par l'effet de la vente consentie le 6 avril 2000 par les époux Jean Maxime X... à leur fille Joëlle Z..., et à son époux, tous deux détenteurs d'un bail sur les deux parcelles vendues depuis le 24 décembre 1996, les qualités de propriétaires et de locataires se sont trouvées réunies sur la tête des deux acquéreurs, ce qui a entraîné ipso facto la disparition du bail, de sorte que lesdits biens devaient « être évalués comme étant libres de toute occupation », la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération la moins-value résultant de l'existence de ce bail, a violé derechef l'article 843 du code civil,
3) ALORS QU'il appartient au copartageant qui sollicite le rapport à la succession de sommes dues à celle-ci par un autre copartageant d'apporter la preuve de l'existence et du montant de la dette litigieuse ; qu'en faisant peser sur Mmes Colette X... et Joëlle Z... la charge de la preuve de ce que le matériel agricole cédé aux époux Z... était dans un état moyen et non vétuste et dégradé, et qu'il n'existait pas de stock, notamment de maïs ensilage, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du code civil,
4) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent procéder par voie de pure affirmation sans préciser les éléments de preuve sur lesquels ils fondent leur décision ; qu'en se bornant à reprendre les estimations de l'expert qui avait évalué « la valeur du cheptel vif, composé de 17 vaches multipares, 16 vaches de réforme, 17 vaches primipares ou génisses prêtes à vêler, 13 génisses de 24 à 36 mois, 13 génisses de 12 à 18 mois et 13 veaux, au 1er janvier 1985, à la somme totale de 80.000 € », sans fournir aucun élément sur la méthode d'évaluation retenue et sa mise en oeuvre, la cour d'appel, qui a statué par voie de simple affirmation, a violé l'article 455 du code de procédure civile.