LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 1035, 1036 et 1038 du code civil ;
Attendu que la révocation tacite d'un testament ne peut résulter que de la rédaction d'un nouveau testament incompatible, de l'aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l'altération volontaire du testament ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte authentique du 28 décembre 2007, Alain X... a fait donation à sa fille, Marielle, de la nue-propriété de cent-vingt parts de la société civile immobilière de Charenton, avec réserve d'usufruit à son profit, sa vie durant, puis, après son décès, au profit de M. Y... ; qu'Alain X... est décédé le 2 janvier 2008, en laissant sa fille pour lui succéder ; qu'invoquant un testament olographe daté du 5 décembre 2003 par lequel Alain X... lui avait notamment légué une rente viagère mensuelle de 4 580 euros à prélever sur les revenus de la SCI, M. Y... a assigné Mme X... en délivrance de son legs ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient qu'il résulte de la correspondance échangée entre Alain X... et son notaire que la donation établie au profit de M. Y... constitue la mise en application effective des conseils donnés par l'officier ministériel, que la volonté du de cujus, qui a suivi les conseils à la lettre, a été de constituer au profit de M. Y... une rente d'environ 60 000 euros par an et que, pour parvenir à cet objectif, de substituer au mécanisme mis en place par le testament, celui instauré par la donation, plus avantageux fiscalement, et non de cumuler les deux, ce qui aboutirait à un résultat incompatible avec la volonté du donateur, puisque dépassant de très loin la constitution d'une rente de 60 000 euros par an et laissant les incidences fiscales auxquelles l'intéressé voulait échapper, que l'absence de révocation expresse du testament résulte, soit d'une omission dans l'acte de donation, soit, plus vraisemblablement, de la volonté de procéder à cette révocation par acte séparé, le décès d'Alain X..., survenu quelques jours à peine après l'établissement de l'acte de donation, ayant à l'évidence matériellement empêché qu'il soit procédé à l'établissement de ce second acte ; qu'il en déduit que la donation a nécessairement entraîné la révocation des dispositions relatives au legs de la rente mensuelle de 4 580 euros, incompatibles avec la constitution d'une réserve d'usufruit portant sur plus de cent-vingt parts de la SCI de Charenton ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, par refus d'application, violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la donation du 28 décembre 2007 a entraîné la révocation du testament du 5 décembre 2003 en ses dispositions relatives au legs d'une rente de 4 580 euros mensuelle, incompatible avec la constitution d'une réserve d'usufruit portant sur cent-vingt parts de la SCI de Charenton et rejeté la demande de M. Y... tendant à la délivrance du legs de la rente viagère, l'arrêt rendu le 7 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour M. Y...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la donation du 28 décembre 2007 avait entraîné la révocation du testament du 5 décembre 2003 en ses dispositions relatives au legs d'une rente viagère de 4. 580 € mensuelle, incompatibles avec la constitution d'une réserve d'usufruit portant sur 120 parts de la SCI DE CHARENTON et, en conséquence, d'AVOIR débouté Monsieur Y... de toutes prétentions relatives au versement de cette rente viagère ;
AUX MOTIFS QUE, sur la révocation du testament du 5 décembre 2003, aux termes de ce testament, Monsieur X... a déclaré léguer à Monsieur Y... « à titre particulier et viager jusqu'à son décès, (...) à prélever sur les revenus de la SCI DE CHARENTON, la somme de 4. 580 € mensuelle qui lui sera remise à titre de revenus des parts de la SCI, tous les trois mois à terme échu. Monsieur Philippe Y... ne pourra en aucun cas prétendre recevoir plus que le quart des revenus nets de la SCI, revenus nets définis hors intérêts d'emprunt et hors travaux de rénovation des appartements privatifs (...) » ; que, suivant acte authentique reçu le 28 décembre 2007 par Maître Z..., notaire à PARIS, Monsieur X... a fait donation à sa fille, Marielle X..., de la nue-propriété de 120 parts de la SCI DE CHARENTON, avec réserve de l'usufruit desdites parts à son profit, sa vie durant, puis, après son décès, au profit de Monsieur Y... ; que ce dernier a accepté ladite donation en usufruit ; que l'acte ne contient aucune disposition quant au sort du testament antérieur ; qu'en vertu des dispositions de l'article 1035 du Code civil, les testaments ne peuvent être révoqués, en tout ou en partie, que par un testament postérieur ou par un acte devant notaire portant déclaration de changement de volonté ; qu'il est certain que le testament du 5 décembre 2003 n'a pas été révoqué par un autre testament et que la donation du 28 décembre 2007 ne comporte aucune manifestation expresse de changement de volonté par le testateur ; qu'aux termes de l'article 1036 du Code civil, les testaments postérieurs, qui ne révoquent pas d'une manière expresse les précédents, n'annuleront dans ceux-ci que celles des dispositions y contenues qui se trouvent incompatibles avec les nouvelles ou qui seront contraires ; que cette règle s'applique à toute donation consentie, comme en l'espèce, postérieurement à un testament ; qu'il appartient au juge, appelé à se prononcer sur l'incompatibilité entre les deux actes, de rechercher, au vu des termes de l'acte et des circonstances de la cause, quelle a été la volonté du testateur ; que la volonté de Monsieur X... a été de mettre, après son décès, Monsieur Y..., son compagnon, à l'abri du besoin sa vie durant, en lui octroyant un revenu régulier tiré des bénéfices de la SCI DE CHARENTON ; que la volonté du de cujus se trouve utilement éclairée par les courriers échangés avec son notaire, et en particulier par la lettre que lui a adressée à ce sujet, le 30 novembre 2007, Maître Z..., aux termes de laquelle ce dernier concrétisait ces échanges en écrivant, notamment : « Concernant la rente à constituer au profit de Philippe après votre décès, il semble que vous ayez prévu celle-ci aux termes d'un testament. Cette procédure ne m'apparaît pas opportune pour les raisons suivantes :- Lors de votre décès, Marielle recevra l'intégralité des revenus de la SCI et se verra taxée à l'ISF sur la valeur totale des parts et à l'impôt sur le revenu sur l'intégralité des revenus, sans pouvoir déduire la rente constituée au profit de Philippe.- Quant à ce dernier, il sera imposé sur le montant de la rente reçue annuellement. Il me paraîtrait plus judicieux de procéder ainsi : 1- Donation au profit de Marielle de parts de la SCI avec deux réserves d'usufruit successives :- la première à votre profit votre vie durant afin d'assurer votre revenu,- la seconde au profit de Philippe pour une quantité de parts suffisantes pour lui dégager un revenu net de 60. 000 € par an. (...) Je pense qu'une donation du revenu de la totalité des 122 parts restant vous appartenir sur la SCI et représentant un peu plus de la moitié de l'immeuble pourrait assurer à Philippe un revenu net annuel de 60. 000 €. Il conviendrait donc d'envisager la donation à votre fille de la nue-propriété de ces parts avec réserve d'usufruit à votre profit puis, à votre décès, une réversion d'usufruit sur la tête de Philippe (...) » ; que les termes de ce courrier et la mise en application effective, par la donation établie au profit de Monsieur Y... le 28 décembre 2007, des conseils y contenus démontrent que la volonté de Monsieur X... a été de constituer au profit de ce dernier une rente d'environ 60. 000 € par an ; que la volonté du de cujus, qui a suivi à la lettre les conseils de son notaire, a manifestement été, pour parvenir à cet objectif, de substituer au mécanisme antérieurement mis en place par le testament du 5 décembre 2003 celui instauré par la donation du 28 décembre 2007, plus avantageux fiscalement, et non de cumuler les deux, ce qui aboutirait à un résultat incompatible avec la volonté du donateur, puisque dépassant de très loin la constitution d'une rente de 60. 000 €/ an et laissant subsister les incidences fiscales auxquelles l'intéressé voulait échapper ; que l'absence de révocation expresse du testament résulte, soit d'une omission dans l'acte de donation, soit, plus vraisemblablement, de la volonté de procéder à cette révocation par acte séparé, ce qui se justifiait par l'absence de concordance entre les dispositions, plus étendues, du testament et celles de la donation, le décès de Monsieur X... survenu le 2 janvier 2008, soit quelques jours à peine après l'établissement de l'acte de donation, ayant à l'évidence matériellement empêché qu'il soit procédé à l'établissement de ce second acte ; que c'est donc à tort que le premier juge a estimé que la donation consentie à Monsieur Y... le 28 décembre 2007 n'impliquait pas la révocation du testament du 5 décembre 2003, alors que la donation susvisée entraînait nécessairement révocation des dispositions relatives au legs d'une somme de 4. 580 € mensuelle, incompatibles avec la constitution d'une réserve d'usufruit portant sur plus de 120 parts de la SCI DE CHARENTON (arrêt, p. 7 et 8) ;
1°) ALORS QUE la révocation tacite d'un testament ne peut résulter que de la rédaction d'un nouveau testament incompatible, de l'aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l'altération volontaire du testament ; qu'ayant relevé que, par le testament du 5 décembre 2003, Monsieur X... avait déclaré léguer à Monsieur Philippe Y... « à titre particulier et viager jusqu'à son décès, (...) à prélever sur les revenus de la SCI DE CHARENTON, la somme de 4. 580 ¿ mensuelle qui lui sera remise à titre de revenus des parts de la SCI, tous les trois mois à termes échus » avant de lui faire donation, par un acte du 28 décembre 2007, de l'usufruit de 120 parts sociales de la SCI DE CHARENTON, sur les 240 représentant son capital social, en considérant que cette donation avait emporté révocation du legs consenti le 5 décembre 2003, la Cour d'appel a violé les articles 1035 et 1036 du Code civil ;
2°) ALORS QUE (SUBSIDIAIREMENT) la révocation tacite d'une partie des dispositions d'un testament suppose que l'acte rédigé postérieurement comporte des dispositions contraires ou incompatibles avec celles de ce testament antérieur ; qu'au demeurant et en toute hypothèse, en retenant que les dispositions de l'acte de donation du 28 décembre 2007 instaurant une réserve d'usufruit portant sur 120 parts de la SCI DE CHARENTON au profit de Monsieur Y... étaient incompatibles avec celles du testament du 5 décembre 2003 lui léguant une rente mensuelle de 4. 580 € mensuelle à prélever sur les revenus de la SCI DE CHARENTON dès lors que la volonté de Monsieur X... avait été de constituer au profit de Monsieur Y... une rente d'environ 60. 000 € par an et qu'il avait donc voulu substituer le mécanisme instauré par la donation, plus avantageux fiscalement, à celui précédemment mis en place par le testament, quand il n'en résultait pas que la donation du 28 décembre 2007 comportait des dispositions contraires ou incompatibles avec celles du testament du 5 décembre 2003, la Cour d'appel a violé l'article 1036 du Code civil ;
3°) ALORS QUE (SUBSIDIAIREMENT) les juges ne sauraient se déterminer par des motifs hypothétiques ; qui plus est, pour finir, en estimant que l'absence de révocation expresse du testament résultait soit d'une omission dans l'acte de donation, soit, plus vraisemblablement, de la volonté de procéder à cette révocation par acte séparé, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.