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23/06/2015 | FRANCE | N°13-86922

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 juin 2015, 13-86922


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
La société Armement Bigouden,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 11ème chambre, en date du 26 septembre 2013, qui, pour homicides involontaires, embauche de travailleurs sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité, et quatre contraventions au code du travail, l'a condamnée à une amende de 130 000 euros pour les délits et à quatre amendes de 5 000 euros pour les contraventions, a ordonné une mesure d'affichage, et a prononc

é sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audien...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
La société Armement Bigouden,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 11ème chambre, en date du 26 septembre 2013, qui, pour homicides involontaires, embauche de travailleurs sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité, et quatre contraventions au code du travail, l'a condamnée à une amende de 130 000 euros pour les délits et à quatre amendes de 5 000 euros pour les contraventions, a ordonné une mesure d'affichage, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 mai 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Straehli, conseiller rapporteur, MM. Finidori, Monfort, Buisson, Mme Durin-Karsenty, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Liberge ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBERGE ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Pascal X..., capitaine d'un chalutier armé par la société Armement Bigouden, dont l'équipage comprenait également quatre marins-pêcheurs, a décidé de rejoindre une nouvelle zone de pêche, ce qui nécessitait, au préalable, de hisser à bord deux panneaux pendants à l'extérieur du navire assurant l'écartement de l'ouverture entre deux chaluts ; que cette opération a mobilisé les quatre marins et que l'un d'entre eux, M. Bruno Y..., chargé de passer un câble dans une poulie située en hauteur et surplombant la mer, ce qui l'obligeait à placer l'un de ses pieds sur la lisse du renfort du sabord de décharge et l'autre sur le panneau pendant à l'extérieur du navire, a perdu l'équilibre du fait du roulis ; qu'il est tombé à la mer, équipé d'un ciré, de ses bottes et de ses gants mais non de l'un des vêtements de flottaison individuels, dont aucun marin n'était porteur ;
Attendu que M. Y... ne parvenant pas à saisir la bouée de sauvetage qui lui avait été envoyée ni à remonter à bord par ses propres moyens, un autre marin, Stéphane Z..., après en avoir informé le capitaine, s'est jeté à la mer pour porter secours à son collègue, sans avoir lui-même enfilé un vêtement de flottaison ni s'être assuré ; qu'il a réussi à agripper Bruno Y... et à saisir une nouvelle bouée lancée par l'équipage reliée à un filin mais, sous l'effet d'une forte houle, n'est pas parvenu à remonter à bord en saisissant l'échelle de pilote déployée par le reste de l'équipage ;
Attendu que Bruno Y..., sous l'effet du séjour prolongé dans l'eau froide, a perdu connaissance puis est parti à la dérive, Stéphane Z... ne parvenant plus à le maintenir ; que ce dernier, lui-même à bout de force, n'a pas réussi à passer un noeud coulant qui lui avait été adressé par l'équipage ; qu'il est également parti à la dérive ; que les corps des deux marins n'ont pas été retrouvés ;
Attendu que l'inspection du travail a dressé un procès-verbal d'infractions aux dispositions du code du travail applicables aux marins et aux dispositions du code du travail maritime à l'encontre de la société Armement Bigouden ; que les infractions relevées portaient sur le défaut d'étude préalable des mesures de sécurité nécessaires et, notamment, d'évaluation à cet égard du poste de Bruno Y..., de signature, par Stéphane Z..., d'un contrat préalablement à son embarquement, de formation à la sécurité malgré des lettres d'observation adressées à la société, de consigne écrite d'utilisation des vêtements de flottaison individuels, par ailleurs en nombre insuffisant, sachant qu'au moment de l'accident aucun marin n'en était porteur alors que la mer était formée et que le navire était en action de pêche ;
Attendu que le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel M. X..., pour homicides involontaires et la contravention relative au défaut de port, par l'équipage de son navire, des vêtements de sécurité, et la société Armement Bigouden des chefs d'homicides involontaires et embauche de travailleurs en omettant de leur assurer la formation à la sécurité appropriée, ainsi que de quatre contraventions connexes relatives à la sécurité des travailleurs en mer ; que, par jugement du 23 juin 2011, le tribunal, d'une part, a relaxé M. X... pour le délit et l'a déclaré coupable de la contravention, d'autre part, a déclaré la personne morale coupable de l'ensemble des délits et contraventions objet de la prévention ; que, le 28 juin 2011, la société Armement Bigouden a interjeté appel de ce jugement, de même que le ministère public ;
En cet état :
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-2, 121-3 et 221-6 du code pénal, L. 230-2 ancien du code du travail, L. 4121-1 et suivants, L. 4141-1 du code du travail, préliminaire, 388, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société Armement Bigouden coupable des faits d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail commis le 11 février 2010 à Ouessant-en-mer dans le nord-ouest de l'Ile d'Ouessant, a condamné la société au paiement d'une amende de 130 000 euros, a ordonné l'affichage de la décision aux portes de la mairie du Guilvinec pour une durée de deux mois aux frais de la société dans la limite de 2 000 euros et, sur l'action civile, a condamné la société Armement Bigouden à payer à M. et Mme Z... 18 000 euros, chacun, à titre de préjudice moral, à M. Sébastien Y... et Mme Céline Y... 10 000 euros, chacun, au titre du préjudice moral, et à M. Sébastien Y..., ès qualités de représentant légal de son fils Corentin Y...- A... et Mme Céline Y..., ès qualités de représentante légale de son fils Nathanaël B... 5 000 euros, chacun ;
" aux motifs qu'il résulte de l'analyse qui précède et notamment du témoignage précis et circonstancié de M. Jean-Marc Y..., qui était aux commandes du treuil tribord afin de crocher le panneau tribord en vue de le hisser à bord et de le saisir, que Bruno Y..., qui l'assistait dans cette tâche et se tenait en équilibre, un pied posé sur le panneau tribord qui pendait à l'extérieur du navire le long de la coque, et l'autre pied, posé sur la lise de renfort du sabord, afin d'accéder à la poulie (située en partie haute et en surplomb de la mer) et d'y passer le câble, a perdu l'équilibre, surpris par un « coup de roulis » et est tombé à la mer, que ne portant pas de veste de flottaison individuelle, il a alors essayé de nager « pendant une dizaine de minutes maximum » mais n'est pas parvenu à s'accrocher à la bouée lancée par l'équipage, laquelle n'avait pas préalablement été attachée à un orin, puis, s'est immobilisé en position allongée, le visage dans l'eau, que Stéphane Z... s'est alors jeté à la mer pour le secourir sans enlever ses bottes ni s'équiper de veste de flottaison individuelle, ni être assuré par une ligne de vie, qu'ayant réussi à rejoindre Bruno Y... et à l'accrocher avec lui à une nouvelle bouée lancée par M. C..., celle-ci, reliée à un orin, il n'est cependant pas parvenu à s'attacher au bout de la bouée et « à bout de force », n'a pu que lâcher Bruno Y... qui s'est rapidement éloigné du bateau et que les membres de l'équipage ont alors rapidement perdu de vue ; qu'il est pareillement établi par les déclarations concordantes de M. C... et de M. X..., ayant assisté et participé aux tentatives de récupération des deux hommes, que Stéphane Z... qui s'est jeté d'initiative à la mer, n'est pas parvenu à s'attacher au bout de la bouée, ni à ramener Bruno Y... vers l'échelle de pilote, qu'il a « lâché » Bruno Y... déjà inconscient, lequel est à nouveau parti à la dérive puis, est reparti à nouveau le rechercher sans y parvenir, qu'étant à « bout de force », Stéphane Z... qui tenait à la main le bout de la bouée, n'est pas parvenu malgré les efforts des autres membres de l'équipage et la mise en place d'une échelle de pilote, à remonter ni à se saisir de la gaffe qui lui était présentée et a « lâché prise » puis, commencé à dériver par l'arrière et à se noyer ; qu'il se déduit de ces circonstances que les deux hommes qui n'étaient pas équipés de veste de flottaison individuelle et portaient leurs bottes, se sont retrouvés rapidement à bout de force après avoir essayé chacun de nager dans une eau à 8° et qu'ils ont, l'un après l'autre, « lâché prise » malgré les efforts entrepris par MM. C... et X... pour les récupérer, lesquels les ont vus l'un après l'autre, dériver et se noyer en position allongée, les bras écartés et le visage dans l'eau puis, s'éloigner rapidement du bateau jusqu'à les perdre de vue ; qu'il en résulte la preuve que Bruno Y... puis Stéphane Z..., dont les corps n'ont pu être retrouvés malgré les recherches entreprises, sont morts noyés d'épuisement et de froid, sous les yeux des hommes d'équipage qui ne sont pas parvenus à les sauver, le premier, après avoir chuté accidentellement du pont du navire, le second, après s'être jeté volontairement à la mer pour secourir son collègue ; que les causes de la mort des deux victimes étant ainsi exactement connues et déterminées, il convient de rechercher si leur décès est en relation avec une faute engageant la responsabilité pénale de la société Armement Bigouden, dans les conditions prévues par les articles 121-2 et 221-6 du code pénal ; que les personnes morales sont pénalement responsables en vertu des articles 121-2, 221-6 et 221-19 du code pénal, de toute faute non intentionnelle de leurs organes ou représentants ayant entraîné directement ou indirectement la mort ou une atteinte à l'intégrité physique d'autrui alors même qu'en l'absence de faute délibérée ou caractérisée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du code pénal, la responsabilité des personnes physiques ne pourrait être recherchée ; qu'il appartient à l'employeur en vertu de l'article L. 4121-1 sus rappelé et rendu applicable aux marins par l'article L. 742-5 ancien code du travail, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés et de mettre en place, à cet effet, des actions de prévention, des actions d'information et de formation des salariés et une organisation et des moyens adaptés à la sécurité des salariés ; qu'il se déduit de ces dispositions, qu'indépendamment des règles particulières prescrites en matière de sécurité et de formation des travailleurs, la responsabilité de la société d'Armement Bigouden peut être recherchée en cas de manquement par celle-ci, au travers de ses organes ou représentants, Mme D..., d'une part, en sa qualité de représentante légale de la société, et/ ou M. X..., capitaine du navire, représentant l'armement à bord du Bara Mann et investi en cette qualité, d'une délégation générale en matière de sécurité à bord, à l'obligation générale de prévention édictée par les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, rendus applicables aux marins par le renvoi opéré par l'article L. 742-5 ancien du code du travail et sur l'application desquels la cour d'appel a invité les parties à s'expliquer contradictoirement ; que, sur la responsabilité pénale de la société Armement Bigouden dans le décès de Bruno Y..., il ressort tant de l'enquête préliminaire que du procès-verbal d'infractions dressé par l'inspecteur du travail, contrairement aux affirmations de Mme D... à l'audience de la cour d'appel, selon lesquelles l'embarquement des panneaux du chalut pouvait être fait « en toute sécurité » et n'obligeait pas « théoriquement » les marins à se mettre « en position d'équilibre », d'une part, que la mise à poste sur le pont, des panneaux du chalut, telle que mise en oeuvre par les membres de l'équipage dont Bruno Y..., le jour du drame, est une manoeuvre réellement dangereuse, qui expose les marins à un risque important de chute à la mer puisque les obligeant à se placer en équilibre instable, un pied posé sur la lisse de renfort de sabord et l'autre, posé sur le panneau pendant à l'extérieur le long de la coque du navire, et à fournir dans cette position acrobatique, un effort physique important, suivant la taille du marin concerné, afin d'accéder à la poulie (située en hauteur et surplombant la mer) et d'y passer le câble, d'autre part, que l'exécution de cette manoeuvre dont la dangerosité est connue notamment, lorsque la mer est formée et que les mouvements du navire accentuent le risque de perte d'équilibre des marins affectés à ce poste de travail, était une pratique courante et usuelle à bord du Bara Mann et conforme aux ordres habituels de manoeuvre donnés aux marins, lesquels avaient ainsi l'habitude d'exécuter cette tâche de cette manière et étaient en mesure, selon M. C... lui-même, de la réaliser, et, enfin, qu'au moment de l'accident, alors que le navire était en pêche et les conditions de mer difficiles, les quatre marins affectés à ce poste et exposés en conséquence, au risque de chute à la mer, ne portaient pas de veste de flottaison individuelle, contrairement aux prescriptions de l'article 9 du décret n° 2007-1227 du 21 août 2007 et n'avaient reçu, ainsi que l'indiquait M. C..., aucune consigne, ni instruction en ce sens, du capitaine dans les heures précédant le drame, lequel le reconnaissait précisant à cet égard, qu'il n'était parvenu à imposer le port des vestes de flottaison individuelles à son équipage, que lorsque les conditions météorologiques étaient « très mauvaises », et étant observé au surplus, qu'il n'existait à bord, que trois vestes de flottaison individuelles pour quatre matelots et que le capitaine ne disposait pas pour lui-même, de cet équipement à bord ; que malgré les risques importants et connus de chute à la mer, auxquels étaient régulièrement exposés les marins affectés aux manoeuvres d'embarquement des panneaux sur le pont, s'agissant d'un navire appareillé pour la pêche au large et naviguant régulièrement dans des conditions de mer difficiles, les vérifications faites par l'inspection du travail et au cours de l'enquête ont montré, d'une part, que le document unique d'évaluation des risques professionnels (pièce n° 8, annexe 4), qu'il appartient à l'employeur d'établir et de mettre à jour chaque année, en application des articles R. 4741-1 et R. 4121-1 et 2 du code du travail lequel au cas d'espèce, n'avait pas été mis à jour depuis 2007, alors même que l'entreprise avait connu depuis cette date plusieurs accidents, ne contenait que des règles générales de prévention et ne comportait ni analyse, ni évaluation par l'employeur des risques liés à ce poste de travail et n'édictait par voie de conséquence, aucune mesure ni mode opératoire propre à prévenir et à limiter les risques de chute des marins affectés à cette tâche, dont la mise en oeuvre était ainsi laissée de fait, à leur appréciation, et d'autre part, que ce document n'identifiait pas non plus le port de veste de flottaison individuelle comme moyen de prévention du risque de noyade en cas de chute à la mer ; qu'outre les lacunes et insuffisances du document unique d'évaluation des risques professionnels, témoignant d'une absence de prise en considération par l'employeur, des risques auxquels étaient exposés les marins affectés à l'embarquement des panneaux, et d'une défaillance dans l'organisation générale et la mise en oeuvre des mesures de prévention à bord, l'enquête diligentée par l'inspection du travail a par ailleurs montré, que la société Armement Bigouden, à laquelle avaient été pourtant rappelées par lettres recommandées des 13 avril et 27 octobre 2007, l'obligation générale de prévention et la nécessité de mettre en place à cet effet, des actions d'information et de formation à la sécurité des marins, suite à deux visites de l'inspection du travail, n'avait pas non plus, au jour de l'accident, mis en place d'actions d'information auprès du capitaine et de l'équipage, ni édicté de consignes écrites relativement notamment, aux conditions et règles d'utilisation des vestes de flottaison individuelles afin de sensibiliser les marins tant sur les risques de chute à la mer que sur l'efficacité démontrée de ces équipements dans la prévention du risque de noyade et de contribuer à par le biais de ces actions à un meilleur respect de cette obligation et aussi de s'assurer par des mesures de contrôle appropriées, de la mise en oeuvre et du respect effectif par les matelots de la réglementation et de ces consignes ; que, de même, la société d'Armement, malgré ces rappels successifs, n'avait pas davantage au jour de l'accident, organisé ni mis en place à destination tant du capitaine que des marins, de formation pratique et appropriée en matière de sécurité, ni préparé et entraîné les membres d'équipage dans le cadre de formations et exercices adaptés, à la gestion d'un accident de mer et notamment, à l'éventualité d'une chute à la mer et aux manoeuvres de récupération d'hommes à la mer en situation extrême, alors qu'une telle hypothèse ne pouvait être écartée et qu'une préparation à la gestion de ce type d'événement aurait pu favoriser les réactions et les décisions à prendre dans les manoeuvres de récupérations des deux hommes ; qu'il se déduit de l'ensemble de ces circonstances que la mort par noyade de Bruno Y... consécutive à sa chute accidentelle au cours de la manoeuvre d'embarquement du panneau tribord, est en relation certaine avec les défaillances de l'employeur dans l'organisation générale de la prévention et de la formation des marins, auquel il appartenait par l'intermédiaire notamment de son représentant, Mme D...,- et au-delà du simple rappel formel dans les contrats de travail des marins, de l'obligation du port de veste de flottaison individuelle,- d'une part, de faire l'analyse concrète dans le document de prévention, des risques auxquels ce poste de travail exposait les marins et partant, de définir le mode opératoire et mettre en oeuvre les moyens adaptés permettant d'exécuter ces manoeuvres dans des conditions préservant la sécurité et la vie des marins, d'autre part, d'organiser des actions d'informations notamment sur les règles et conditions d'utilisation des vestes de flottaison individuelles et de s'assurer par des consignes et contrôles par l'intermédiaire du capitaine, du respect de cette obligation, de mettre en place des formations pratiques en matière de sécurité destinées tant à sensibiliser les hommes au respect des règles de sécurité qu'à prévenir les risques de chutes au cours des manoeuvres et à les préparer, dans cette éventualité, aux manoeuvres de récupération des hommes ; que par conséquent, si le non-respect par Bruno Y... du port d'une veste de flottaison individuelle a pu rendre plus difficiles les manoeuvres pour sa récupération et contribué pour une part, à son décès, cette circonstance n'est pas de nature à exonérer de quelque manière, l'employeur des conséquences de ses négligences tant dans l'organisation de la prévention et la sécurité à bord du Bara Mann que dans la mise en oeuvre de son obligation de formation, lesquels manquements sont la cause première et en relation certaine avec la chute accidentelle de Bruno Y... au cours de l'exécution par celui-ci d'une manoeuvre habituelle, et ont entraîné son décès ; que l'ensemble de ces manquements à l'obligation générale de prévention et à l'obligation de formation prescrites par les articles L. 4121-1 et suivants et 4141-1- du code du travail, caractérisent une faute de négligence imputable à Mme D... à laquelle il incombait, en sa qualité de représentante légale agissant pour le compte de la société d'armement, d'organiser la prévention et la formation et de veiller au respect et à l'application et mise en oeuvre des règles et consignes de sécurité, et engage en application de l'article 121-2 du code pénal, la responsabilité de la personne morale ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité pénale de la société Armement bigouden dans le décès de Bruno Y... et déclaré en conséquence, sa culpabilité du chef des délits d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail et d'embauche sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité ainsi que du chef des autres infractions pour mise à disposition à bord d'un navire de commerce ou pêche d'équipement de protection individuelle sans information ou formation, non port d'équipement de protection individuelle destiné à prévenir les risques de noyade à bord d'un navire de commerce ou pêche, non mise à disposition à bord d'un navire de commerce ou pêche d'équipement de protection individuelle et défaut de mise à jour par employeur du document d'évaluation des risques professionnels ; que sur la responsabilité pénale de la société Armement Bigouden dans le décès de Sébastien Z..., il est établi par l'enquête et les déclarations de M. X... que Stéphane Z..., après que ce dernier lui ait fait comprendre qu'il valait mieux qu'il reste aux commandes du navire, a décidé de sauter lui-même à la mer pour secourir Bruno Y..., qui sous l'effet conjugué de l'état de la mer et de la hauteur de la coque, n'était pas parvenu ni à attraper la boué, non relié à un orin que lui avait lancée l'équipage, ni à remonter seul à bord, qu'il s'est alors jeté à la mer sans ôter ses bottes ni s'équiper d'une veste de flottaison individuelle, dont il ne disposait pas personnellement à bord, et sans s'être assuré par une ligne de vie ; qu'il en résulte que le sur-accident qui a coûté la vie à Stéphane Z..., a pour cause première la chute accidentelle de Bruno Y... auquel il a voulu porter assistance en se jetant volontairement à la mer et que les négligences fautives ci-avant relevées à l'encontre de la personne morale au travers des manquements de son représentant légal, à l'obligation générale de prévention et de formation à la sécurité et engageant la responsabilité de celle-ci dans les termes précédemment analysés dans le décès de Bruno Y... ont pareillement contribué, ne serait-ce qu'en partie et indirectement à la production du sur-accident entraînant le décès de Stéphane Z... ; que de plus, les conditions dans lesquelles ont été menées sous la responsabilité du capitaine, seul responsable par délégation, de l'organisation de la sécurité à bord, les manoeuvres de récupération des deux hommes, qui témoignent d'une absence réelle de formation et de préparation tant du capitaine que de l'équipage à la gestion d'un tel événement caractérisent à la fois, d'une part, une faute de la société d'Armement à laquelle il appartenait au travers de son représentant légal, de former et de préparer le capitaine et l'équipage par des actions de formation appropriées, à la gestion de ce type de situation conformément aux obligations précédemment rappelées, prescrites par les articles L. 4121-1-2 et L. 4141-1 et suivants du code du travail, d'autre part, une faute de négligence du capitaine auquel il appartenait, alors qu'il constatait l'impossibilité pour Bruno Y... en raison de l'état de la mer et de la hauteur de la coque, de remonter seul à bord, de veiller tout particulièrement à ce que Stéphane Z... soit assuré par une ligne de vie et équipé d'une veste de flottaison individuelle ; que si la pression psychologique et la panique engendrées par la situation et l'absence de préparation des hommes à ce type d'événement peuvent expliquer les réactions et la décision du capitaine ayant consisté à privilégier les tentatives de récupération plutôt que d'alerter immédiatement le Cross de la chute de Bruno Y... et que d'opter, dans un second temps, après l'immersion de Stéphane Z... et devant l'état de la mer, pour la mise en sécurité des deux hommes dans un des deux radeaux de survie dont le navire était équipé, il n'en demeure pas moins que sa décision conduisant à laisser Stéphane Z..., dans les circonstances sus rappelées, sauter à la mer au péril de sa vie sans veiller à ce qu'il soit à tout le moins assuré par une ligne de vie et protégé par le port d'une veste de flottaison individuelle, constitue une faute d'imprudence et une négligence, qui ont contribué de manière certaine à la mort par noyade de Stéphane Z... ; qu'il s'ensuit que le décès de Stéphane Z... est en relation causale certaine tant avec les manquements de l'employeur à l'obligation générale de prévention et à l'obligation particulière de formation prescrites par les articles L. 4121-1 et suivants et L. 4141-1-2 du code du travail, sur rappelés, qu'avec la faute d'imprudence et de négligence du capitaine du navire ; que l'ensemble de ces fautes et manquements imputables, d'une part, au représentant légal de la société d'Armement et d'autre, au capitaine représentant l'armement à bord, agissant l'un et l'autre pour le compte de la personne morale, engagent la responsabilité pénale de la société d'Armement dans les conditions édictées par l'article 121-2 du code pénal dans le décès de Stéphane Z... ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré la société d'Armement Bigouden coupable de l'homicide involontaire de Stéphane Z... ; que sur la peine, en considération des fautes et négligences ayant contribué à la mort des deux victimes, la peine d'amende prononcée par le Tribunal pour la sanction des délits et justifiée et adaptée ; que les amendes prononcées en répression des contraventions seront pareillement confirmées ; qu'à titre de peine complémentaire, l'affichage de l'arrêt sera ordonné pendant une durée de deux mois à la porte de la mairie du Guilvinec aux frais de la SA Armement Bigouden, dans la limite de 2 000 euros ;
" alors que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure que la prévenue avait été citée à comparaître pour avoir causé la mort d'autrui dans le cadre d'une relation de travail, par manquement à des règles particulières prescrites en matière de sécurité et de formation des travailleurs ; qu'en jugeant la société Armement Bigouden pour des faits distincts d'homicide involontaire, en l'occurrence un manquement à l'obligation générale de prévention édictée par les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, au seul motif que les parties avaient été invitées à s'expliquer contradictoirement sur l'application de ce texte, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et a ainsi violé les textes susvisés " ;
Attendu que la demanderesse ne saurait se faire grief de ce que les juges aient retenu un manquement à des obligations générales de prévention édictées par les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, sur lesquelles elle a été mise en mesure de s'expliquer lors des débats, dès lors qu'il appartenait à la cour d'appel de rechercher toute faute d'imprudence ou de négligence entrant dans les prévisions de l'article 221-6 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7, 8, 9, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique soulevée par la société Armement Bigouden, représentée par le président du directoire Mme D...- E..., pour ce qui concerne les contraventions qui lui étaient reprochées et, en conséquence, a retenu la culpabilité de la société Armement Bigouden des chefs d'évaluation par employeur des risques professionnels sans mise à jour conforme du document d'inventaire des résultats, de non mise à disposition à bord d'une navire de commerce ou pêche d'équipement de protection individuelle conforme, de mise à disposition à bord d'un navire de commerce ou pêche d'équipement de protection individuelle sans information ou formation et de non port d'équipement de protection individuelle destiné à prévenir les risques de noyade à bord d'un navire de commerce ou pêche et a condamné la société Armement bigouden à payer une amende de 5 000 euros pour chacune de ces infractions ;
" aux motifs que les contraventions visées dans l'acte de poursuite délivré à la prévenue le 16 août 2010 sont connexes et inséparables des poursuites d'homicides involontaires auxquelles elles servent de base ; que la prescription de l'action publique a été valablement interrompue par la convocation du 16 août 2010, le jugement du tribunal correctionnel de Quimper le 23 juin 2011 et le mandement de citation du procureur général le 16 avril 2013 ; que l'interruption de la prescription triennale s'étend à toutes les infractions connexes et indivisibles visées dans l'acte de poursuite délivré à la société d'Armement Bigouden, de sorte que la prescription des contraventions n'est pas acquise ;
" 1°) alors qu'en matière de contravention la prescription de l'action publique est d'une année révolue ; qu'en retenant que la prescription des contraventions reprochées à la société d'Armement Bigouden n'était pas acquise quand il avait été interjeté appel du jugement en date du 23 juin 2011 par la prévenue et le procureur de la République le 28 juin 2011, puis par trois des parties civiles le 30 juin 2011 sur les seules dispositions civiles, de sorte que plus d'une année s'était écoulée entre le dernier acte de poursuite et le mandement de citation du procureur général en date du 16 avril 2013 et que la prescription des contraventions était donc acquise, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'un acte interruptif de la prescription triennale de l'action publique concernant un délit ne peut avoir pour effet d'interrompre la prescription d'une année de l'action publique relative à une contravention connexe lorsqu'à la date de sa réalisation la prescription de cette dernière action était d'ores et déjà acquise ; qu'en retenant que l'interruption de la prescription triennale s'étendait à toutes les infractions connexes et indivisibles visées dans l'acte de poursuite délivré à la société d'Armement Bigouden de sorte que la prescription des contraventions n'était pas acquise, quand en dépit de la connexité des infractions le mandement aux fins de citation en date du 16 avril 2013 ne pouvait avoir eu pour effet de faire de nouveau courir la prescription déjà acquise pour les contraventions, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Vu les articles 7, 9 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que l'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours ;
Attendu que pour dire les contraventions poursuivies non prescrites, l'arrêt énonce que la prescription de l'action publique a été valablement interrompue par la convocation du 16 août 2010, le jugement du tribunal correctionnel de Quimper le 23 juin 2011 et le mandement de citation du procureur général, le 16 avril 2013 ; que les juges ajoutent que l'interruption de la prescription triennale s'étend à toutes les infractions connexes et indivisibles visées dans l'acte de poursuite délivré à la société Armement Bigouden, de sorte que la prescription des contraventions n'est pas acquise ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'action publique était déjà prescrite concernant les contraventions reprochées à la date du mandement de citation du procureur général, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 septembre 2013, en ses seules dispositions ayant prononcé sur la prescription des contraventions poursuivies, sur la culpabilité de la société Armement Bigouden et sur les peines afférentes à ces contraventions, toutes autres dispositions de l'arrêt étant expressément maintenues ;
CONSTATE l'extinction de l'action publique pour les quatre contraventions poursuivies ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois juin deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 13-86922
Date de la décision : 23/06/2015
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESCRIPTION - Action publique - Délai - Contravention - Contravention connexe à un délit - Prescription annale

PRESCRIPTION - Action publique - Délai - Contravention - Contravention connexe à un délit - Prescription triennale - Interruption - Effets - Interruption de la prescription annale - Condition ACTION PUBLIQUE - Extinction - Prescription - Délai - Contravention - Contravention connexe à un délit - Prescription triennale - Interruption - Effets - Interruption de la prescription annale - Condition CONTRAVENTION - Action publique - Prescription - Délai - Contravention connexe à un délit - Prescription triennale - Interruption - Effets - Interruption de la prescription annale - Condition

L'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise après une année révolue, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours. Dès lors, encourt la censure l'arrêt d'une cour d'appel qui déclare non acquise la prescription de contraventions prévues par le code du travail au motif qu'elles sont connexes à des délits d'homicides involontaires et d'embauche de travailleurs sans organisation de formation pratique et appropriée en matière de sécurité, et indivisibles de ces derniers, alors que le mandement de citation avait été délivré par le procureur général plus d'un an après le dernier acte interruptif l'ayant précédé


Références :

article 9 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 26 septembre 2013

Sur la prescription de l'action publique s'agissant d'une contravention connexe à un délit, à rapprocher :Crim., 20 janvier 2009, pourvoi n° 08-80021, Bull. crim. 2009, n° 21 (cassation partielle)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 jui. 2015, pourvoi n°13-86922, Bull. crim. 2015, n° 833, Crim., n° 1270
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle 2015, n° 833, Crim., n° 1270

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Liberge
Rapporteur ?: M. Straehli
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:13.86922
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