LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, qu'à l'occasion de la construction et de la réhabilitation de logements locatifs, l'Office public de l'habitat Reims Habitat Champagne-Ardenne (l'OPH) a confié la réalisation de travaux d'électricité à la société Lannez, qui a passé commande de matériels auprès de la société SNE ; que par trois conventions tripartites, l'OPH s'est engagé à payer à la société SNE les créances correspondant aux commandes effectuées par la société Lannez ; que la société SNE, agissant en vertu de ces délégations, a assigné l'OPH en paiement d'une provision ; que celui-ci a soulevé l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire au profit des juridictions administratives ;
Attendu que pour déclarer les juridictions judiciaires incompétentes pour connaître du litige et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt, après avoir relevé que le délégué s'était obligé à payer au délégataire les créances du délégant "sur la base des décomptes mensuels correspondant aux chantiers", retient qu'en acceptant de signer les délégations de créances litigieuses, l'OPH a poursuivi l'objectif d'assurer l'exécution d'une mission de service public, en aménageant les rapports le liant à son cocontractant originaire au stade du règlement des marchés publics de travaux, de sorte que ces délégations ne constituent qu'une modalité d'exécution des stipulations contractuelles relatives au paiement desdits marchés, dont elles sont indissociables ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la convention tripartite par laquelle la société adjudicataire d'un marché public délègue le pouvoir adjudicateur pour le paiement de la créance due à son fournisseur est, eu égard à son objet purement financier, l'accessoire du contrat de fourniture et revêt, par suite, un caractère de droit privé, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne l'Office public de l'habitat Reims Habitat Champagne-Ardenne aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'Office public de l'habitat Reims Habitat Champagne-Ardenne et le condamne à payer à la société SNE la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Crédeville, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société SNE
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande formée par la société Sanelec et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
Aux motifs qu'il résulte des dispositions de l'article 1er I du code des marchés publics que les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ; que dès lors, les marchés en date des 29 décembre 2005, 29 mai 2009 et 12 mai 2010 par lesquels l'OPH Reims Habit Champagne Ardenne, venant aux droits de l'office public d'aménagement et de construction de Reims, a attribué à la société Lannez les lots n° 14, 08 et 07 (électricité-chauffage-VMC) des marchés de réhabilitation et : ou de construction de logement locatifs entrent bien dans la sphère des marchés publics de travaux, la cour observant à cet égard que l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne constitue un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 2 2° du code sus-visé, comme étant un établissement public local ; que s'agissant des actes en litige, datés du 21 décembre 2011 et intitulés « délégations de créances », il ressort des débats et conclusions que ces actes ont été conclus de manière tripartite entre d'une part, la société Lannez, le délégant qui, pour les besoins du chantier avait passé commande de matériels auprès de la société Sanelec, fournisseur de matériel électrique pour des montants de 15.621,16 € pour les travaux de la rue des romains, de 27.348,98 € pour ceux de la rue Gurerez et 23.139,59 € pour le chantier de Dizy, d'autre part la société Sanelec, le délégataire et enfin l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne ; qu'ainsi le délégué s'est obligé à payer au délégataire la créance correspondant à la commande de matériaux du délégant « sur la base des décomptes mensuels correspondant aux chantiers précités » ; que cette dernière précision renvoie nécessairement aux stipulations des marchés de travaux publics et notamment à l'article 13.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux qui prévoit notamment que « avant la fin de chaque mois, l'entrepreneur remet au maître d'oeuvre un projet de décompte établissant le montant total, arrêté à la fin du mois précédent, des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l'exécution du marché depuis le début de celle-ci » ; qu'il suit de cela que l'obligation souscrite par le délégué est directement soumise à la réalisation effective par le délégant des travaux utilisant les fournitures du délégataire, ainsi qu'à la remise par la société Lannez des décomptes mensuels prévus par l'article 13.1 ; qu'en acceptant de signer ces délégations de créances, l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, a incontestablement poursuivi l'objectif d'assurer l'exécution d'une mission de service public, en aménageant pour ce faire les rapports le liant à son cocontractant originaire, au stade du règlement des marchés de travaux publics, et en déduisant ainsi du montant des décomptes mensuels produits par la société Lannez, le coût des fournitures livrées par la société Sanelec, mises en oeuvre dans les chantiers par le délégant et payées par le délégué ; que lesdites délégations de créances ne constituant en réalité qu'une modalité d'exécution des stipulations contractuelles relatives au règlement des marchés de travaux, l'intimée ne peut raisonnablement soutenir que l'engagement souscrit par l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne ne constitue que l'accessoire d'un contrat de droit privé conclu entre elle, en sa qualité de fournisseur, et la société Lannez, en sa qualité de client, ces délégations s'avérant au contraire indissociables des marchés publics de travaux originaires, conclus entre l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne et la société Lannez ; qu'au surplus, pour trancher le litige opposant les parties, relatif au quantum de la créance détenue par la société Sanelec à l'encontre de l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne, la juridiction compétente devra nécessairement se prononcer au préalable, en considération de la stipulation figurant dans les actes de délégation de créances, sur les conditions d'exécution des marchés principaux de travaux publics ; que ce pouvoir d'investigation échappant manifestement à la compétence du juge judiciaire, il convient en définitive d'accueillir le déclinatoire de compétence présenté par l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir et d'infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance prononcée le 17 octobre 2012 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Reims ;
ALORS D'UNE PART QUE la délégation de créance emporte création à la charge du délégué d'une obligation nouvelle, distincte et indépendante de son obligation primitive envers le délégant, de payer directement au délégataire sa créance sur le délégant ; que quand cette créance, objet de l'obligation nouvelle du délégué, est née d'un contrat passé entre deux personnes privées, le litige relatif à son règlement par le délégué relève de la compétence des juridictions judiciaires, peu important à cet égard que la dette originaire du délégué envers le délégant soit née d'un marché de travaux publics ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que l'obligation souscrite par le délégué est directement soumise à la réalisation effective par le délégant des travaux utilisant les fournitures du délégataire et qu'en acceptant de signer les délégations de créance litigieuses, l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne a aménagé les rapports le liant au délégant, au stade du règlement des marchés de travaux publics, la cour d'appel a violé l'article 1275 du code civil, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
ALORS D'AUTRE PART QUE la convention tripartite conclue entre le pouvoir adjudicateur d'un marché public, un entrepreneur et son fournisseur par laquelle l'entrepreneur délègue l'établissement public au fournisseur pour le paiement de sa créance, constitue un accessoire du contrat de fourniture dont il acquiert la nature de droit privé, eu égard à son objet purement financier et à ce qu'il n'a pas pour objet de faire participer le fournisseur à l'exécution de travaux publics ; qu'ayant constaté qu'en exécution des délégations de créance litigieuses, l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne, délégué, devait payer le coût des fournitures livrées par la société Sanelec et mises en oeuvre dans les chantiers par le délégant, la société Lannez, la cour d'appel, qui a ce faisant mis en évidence leur objet purement financier et écarté toute participation de la société SNE Sanelec à l'exécution des travaux publics eux-mêmes, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en en déduisant que l'engagement ainsi souscrit par l'OPH Reims Habitat Champagne Ardenne ne constituait pas l'accessoire du contrat de droit privé conclu entre le fournisseur et l'entrepreneur de travaux publics, et a violé, en déclinant la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
ALORS ENFIN QUE tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que dans ses conclusions d'appel (p. 6 et suivantes), la société SNE Sanelec rappelait les clauses des délégations de créance litigieuses selon lesquelles « dès la livraison du matériel et présentation de la facture, le délégué s'engage à régler le délégataire par virement à réception de facture », et « le délégué ne peut opposer au délégataire aucune exception ni aucun moyen de défense qu'il prétendrait tirer de ses relations avec le délégant ou encore du rapport entre le délégant et le délégataire » ; qu'elle faisait valoir qu'en application de ces clauses parfaitement claires et précises, non seulement la transmission par le délégant d'une situation de travaux au délégué n'a jamais été envisagée, dans la relation délégué/délégataire, comme une condition préalable au paiement, mais qu'en outre le délégué a expressément renoncé à se prévaloir envers le délégataire de l'absence de transmission de situations de travaux par le délégant ; qu'elle précisait que la référence faite dans l'acte à l'imputation des paiements sur les situations de travaux concernait exclusivement les relations entre le délégué et le délégant et ne lui était pas opposable ; qu'en se fondant exclusivement sur cette référence aux décomptes mensuels pour exclure la compétence des juridictions judiciaires, sans répondre à ces conclusions péremptoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.