LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon les arrêts attaqués (Pau, 22 avril 2013 et 1er octobre 2013), que M. et Mme X...
Y..., propriétaires d'un fonds jouxtant une carrière de calcaire exploitée par la société Cemex Granulat Sud-Ouest (la société Cemex), ont assigné celle-ci en suppression de l'empiétement qu'elle a réalisé en sous-sol de leur parcelle, dans le cadre de l'exploitation de sa carrière ;
Attendu que la société Cemex fait grief à l'arrêt du 1er octobre 2013 d'accueillir la demande alors, selon le moyen :
1°/ que l'empiétement constitue, comme la cour d'appel l'énonce, « l'aliénation de la propriété d'autrui » et emporte, par l'auteur de l'empiétement, incorporation de la partie empiétée pour permettre à ce dernier d'en jouir à son seul profit ; qu'en conséquence, la cour d'appel ne pouvait retenir qu'était constitutif d'un empiétement l'extraction réalisée par la société Cemex sur une partie de la parcelle n° A 476 appartenant aux époux X...
Y..., dès lors qu'il n'y avait aucune volonté d'appropriation par cette société de l'espace laissé vacant par cette extraction, laquelle était éventuellement constitutive d'un trouble du voisinage ; qu'en retenant l'existence d'un empiétement et, en conséquence et notamment, non prescrite l'action immobilière entreprise aux fins de le faire cesser, la cour d'appel a violé les articles 544 et 545 du code civil, outre l'article 2270-1 du code civil dans la rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 applicable en la cause ;
2°/ que l'action en suppression d'un empiétement constitue une action personnelle ; qu'en conséquence, en déclarant non prescrite l'action entreprise par les époux X...
Y... motif pris de son caractère immobilier, alors que personnelle, cette action se prescrivait tout au plus par dix ans, la cour d'appel a violé les articles 2262 et 2270-1 du code civil dans leurs rédactions antérieures à la loi du 17 juin 2008 applicable en la cause ;
Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le front de la carrière exploitée par la société Cemex débordait sur la propriété de M. et Mme X...
Y..., la cour d'appel, qui a justement énoncé qu'une activité d'extraction industrielle au-delà de la limite séparative d'une propriété constituait un empiétement par appropriation du sous-sol, en a déduit à bon droit que l'action tendant à la remise en état des lieux par la suppression de l'empiétement était une action immobilière non soumise à la prescription de dix ans ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'aucun grief n'est dirigé contre l'arrêt rendu le 22 avril 2013 par la cour d'appel de Pau ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cemex Granulats Sud-Ouest aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Cemex Granulats Sud-Ouest à payer à M. et Mme X...
Y... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Cemex Granulats Sud-Ouest ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société Cemex Granulats Sud-Ouest
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la SAS CEMEX GRANULATS SUD OUEST à procéder à la suppression de l'empiètement réalisé par le front de carrière qu'elle exploite sur la parcelle n° A 476 appartenant à Monsieur et Madame X...
Y... située sur la commune de CARRESSE CASSABER ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Les dégâts à la propriété d'autrui commis à l'occasion de l'exploitation d'une activité industrielle telle que l'exploitation d'une carrière, relèvent de la responsabilité de l'exploitant dont il peut s'exonérer en rapportant la preuve qu'ils ont été commis par son prédécesseur. Il s'agit d'une action personnelle mobilière soumise à la prescription de dix ans à compter du dommage. En revanche, l'aliénation de la propriété d'autrui est une action immobilière non soumise à la prescription décennale. Elle est attachée à l'immeuble de sorte que le propriétaire qui l'a acquis postérieurement à l'aliénation et en toute connaissance de cause, n'est pas privé de son droit d'agir en réparation, droit qu'il a reçu, à titre d'ayant cause de son vendeur. L'empiètement sur la propriété d'autrui constitue une véritable aliénation de cette propriété pour l'incorporer dans son patrimoine et en jouir à son seul profit, l'emprise sur le terrain d'autrui se matérialisant sous diverses formes, qu'il s'agisse d'édifier des constructions ou de détruire la partie aliénée. L'empiètement peut être réalisé par aliénation du sous-sol (article 552 du code civil). En l'espèce, il n'est pas contesté que l'exploitation de la carrière par la SARL Sophitra (autorisée par arrêté préfectoral du 13 mars 1992) puis par la Société Morillon Corvol (arrêté du 23 juin 1992) devenue la SAS Cemex Granulats Sud Ouest (suivant décision du 26 janvier 2007), s'est poursuivie sur la parcelle 476 appartenant à M. et Mme X...
Y..., non comprise dans l'autorisation préfectorale d'exploitation du 13 mars 1992 et des arrêtés postérieurs déterminant les modalités d'exploitation. En revanche, il n'est pas justifié ni reconnu un débordement de l'exploitation sur la parcelle n° 47 7, le procès-verbal de constat d'huissier du 23 avril 2007 et l'expertise de M. A... n'en faisant pas état ni même les plans cadastraux produits par M. et Mme X...
Y... eux mêmes. Le jugement sera infirmé sur ce point. La SAS Cemex Granulats Sud Ouest reconnaît implicitement qu'il ne s'agit pas d'un simple « dégât de surface » constitutif d'une dégradation ou d'un trouble de jouissance, dès lors qu'elle admet que la remise en état nécessiterait, non pas le « recouvrement par des terres de découverte », mais un remblaiement de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. L'atteinte à la propriété d'autrui par empiètement est donc rapportée et l'action immobilière n'est pas prescrite. La SAS Cemex Granulats Sud Ouest ne conteste pas le manquement à l'obligation de respecter un recul de « 10 mètres au moins des limites de la zone d'exploitation autorisée ainsi que de l'emprise des éléments de surface dont l'intégrité conditionne le respect de la sécurité et de la salubrité publiques » ainsi qu'il est prévu à l'article 4c) de l'arrêté d'autorisation d'exploitation du 13 mars 1992. Il importe peu à cet égard, que la DRIRE n'ait pas constaté cette infraction par elle-même, dès lors que la matérialité de l'empiètement est démontrée par la réduction de l'assiette de la parcelle 476. Par conséquent, elle n'est pas fondée à invoquer :- le principe d'immunité de l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation qui dispose que : « Les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail, établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions »,- ni le fait d'autrui,- ni enfin, l'acceptation de l'état des lieux antérieur à l'acquisition par M. et Mme X...
Y..., puisque l'action est attachée à l'immeuble et non à la personne du propriétaire et ce d'autant, que la clause de non-garantie des surfaces prévue à l'acte de vente du 27 décembre 1989 n'est opposable qu'entre les parties à l'acte. Le juge judiciaire est compétent pour statuer sur une demande en réparation des atteintes à la propriété privée sur le fondement des articles 544 et 545 du code civil et prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l'infraction, dès lors qu'elles ne contredisent pas les prescriptions de l'administration. La seule preuve de l'atteinte à la propriété constitutive d'une voie de fait, suffit au succès de ces actions. Et, dès lors que la réparation en nature, par la remise en l'état antérieur n'est pas impossible elle doit être privilégiée. En ordonnant une expertise avant dire droit à cette fin, destinée notamment à vérifier la faisabilité du rétablissement du fonds n° 476 dans ses limites initiales, « dans le respect des dispositions réglementaires », le premier juge a fait une juste appréciation de la situation dans le respect du périmètre de sa compétence. Sa décision sera confirmée sauf à exclure de la mesure d'expertise la parcelle n° 477. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme la SAS Cemex Granulats Sud Ouest, au vu du dispositif de leurs dernières conclusions, M. et Mme X...
Y... n'ont pas sollicité d'expertise aux fins de « décrire les travaux de nature à sécuriser la limite des propriétés ». Concernant les demandes visant la réparation des troubles anormaux de voisinage, force est de constater avec le premier juge, que l'expertise de M. A... n'a pas permis de rapporter la preuve que les tirs et explosions réalisés à l'occasion de l'exploitation de la carrière, ont créé des nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage ni qu'ils sont à l'origine des fissures et dégradations des bâtis (façades de l'habitation et murets de clôture) eu égard à la fragilité et la vétusté de ces constructions. Une nouvelle expertise aux même fins apparaît donc inutile et la SAS Cemex Granulats Sud Ouest sera déboutée de cette demande. Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en indemnisation des troubles de voisinage pour défaut de preuve de leur caractère anormal » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Aux termes de l'article 545 du Code Civil : " Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est que pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ". En l'espèce, il ressort des pièces produites par les époux X... que le front de la carrière actuellement exploitée par la Société CEMEX, déborde sur leur propriété notamment sur la partie limitrophe de la parcelle A 476 leur appartenant avec la parcelle A 469 exploité par la défenderesse. Si cette dernière ne conteste pas l'extraction de matériaux sur la parcelle A 476 appartenant aux époux X...
Y..., elle fait valoir, d'une part, que cette extraction ne constituerait pas un empiétement, et d'autre part, qu'elle ne proviendrait pas de son fait personnel, mais de celui de l'ancien exploitant. Cependant, si un empiètement sur le fonds d'autrui peut résulter de l'édification d'un ouvrage débordant sur ce fonds, l'exercice, comme en l'espèce, d'une activité d'extraction industrielle au-delà de la limite séparative d'une propriété constitue autant un empiètement qu'une atteinte à la propriété constitutive de voie de fait. De plus, il ressort des pièces produites aux débats que l'autorisation d'exploiter la carrière a été transférée à la Sté SABLIERE ET ENTREPRISES MORILLON CORVOL le 23 juin 1992, Société aux droits de laquelle vient aujourd'hui la CEMEX, de sorte que celle-ci est devenue titulaire des droits et obligations résultant de l'autorisation d'exploiter. L'exploitant est dès lors susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard des tiers du fait des dommages causés à ces tiers du fait de cette exploitation. De même, même s'ils ont pu acquérir l'immeuble postérieurement à la réalisation de l'empiètement et en connaissance de l'état des lieux, les époux X...
Y... sont bien fondés à exercer à l'encontre de l'exploitant une action qu'ils ont reçue de leur vendeur comme ayant cause de ce dernier. En conséquence, il y a lieu de condamner la Société CEMEX GRANULATS SUD OUEST à procéder à la remise en état des lieux par la suppression de l'empiètement réalisé par le front de carrière sur les parcelles A 476 et A 477. Cependant, avant dire droit, sur les solutions techniques à mettre en oeuvre pour procéder à une remise en état et l'évaluation des préjudices éventuellement subis de ce chef, il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise aux frais avancés de la Société CEMEX GRANULATS SUD OUEST » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'empiètement constitue, comme la Cour d'appel l'énonce, « l'aliénation de la propriété d'autrui » et emporte, par l'auteur de l'empiètement, incorporation de la partie empiétée pour permettre à ce dernier d'en jouir à son seul profit ; qu'en conséquence, la Cour d'appel ne pouvait retenir qu'était constitutif d'un empiètement l'extraction réalisée par la société CEMEX sur une partie de la parcelle n° A 476 appartenant aux époux X...
Y..., dès lors qu'il n'y avait aucune volonté d'appropriation par cette société de l'espace laissé vacant par cette extraction, laquelle était éventuellement constitutive d'un trouble du voisinage ; qu'en retenant l'existence d'un empiètement et, en conséquence et notamment, non prescrite l'action immobilière entreprise aux fins de le faire cesser, la Cour a violé les articles 544 et 545 du Code civil, outre l'article 2270-1 du Code civil dans la rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 applicable en la cause ;
ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'action en suppression d'un empiètement constitue une action personnelle ; qu'en conséquence, en déclarant non prescrite l'action entreprise par les époux X...
Y... motif pris de son caractère immobilier, alors que personnelle, cette action se prescrivait tout au plus par dix ans, la Cour a violé les articles 2262 et 2270-1 du Code civil dans leurs rédactions antérieures à la loi du 17 juin 2008 applicable en la cause.