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14/01/2015 | FRANCE | N°13-20350

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 janvier 2015, 13-20350


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en vertu d'une sentence rendue en Russie et exécutoire en France, la société Orion Satellite Communications ("Orion") a fait procéder à une saisie conservatoire convertie en saisie-vente au préjudice de la société Russian Satellite Communication Company ("RSCC") ; que cette mesure a été contestée par la société RSCC devant un juge de l'exécution ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches : Attendu que la société RSCC fait grief à l'ar

rêt de dire que le taux d'intérêt applicable à la condamnation résultant de la...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en vertu d'une sentence rendue en Russie et exécutoire en France, la société Orion Satellite Communications ("Orion") a fait procéder à une saisie conservatoire convertie en saisie-vente au préjudice de la société Russian Satellite Communication Company ("RSCC") ; que cette mesure a été contestée par la société RSCC devant un juge de l'exécution ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches : Attendu que la société RSCC fait grief à l'arrêt de dire que le taux d'intérêt applicable à la condamnation résultant de la sentence arbitrale du 3 décembre 2004 est le taux Libor Euro à un an, et de dire en conséquence que le calcul des intérêts sera effectué en appliquant l'option n° 3 développée à la pièce n° 24 de l'intimée, consultation PWC du 16 avril 2012, soit le taux à J-2 et base de calcul réel /365, les intérêts étant dus jusqu'au règlement du principal et recouvrables en exécution de l'acte de conversion du 28 septembre 2010, alors, selon le moyen :
1°/ que saisi d'une difficulté d'exécution d'une sentence arbitrale rédigée en langue étrangère mais dont une traduction française est revêtue de l'exequatur, le juge de l'exécution ne peut pas faire prévaloir la version non traduite sur la version française ; qu'en l'espèce, la société Orion soutenait que la version originale de la sentence, en langue russe, qui avait assorti la condamnation en principal d'« intérêts annuels au taux LIBOR » devait l'emporter sur sa traduction française, selon laquelle les mêmes intérêts devaient se calculer au « taux LIBOR » ; qu'en accueillant cette prétention, la cour d'appel, écartant la version française pourtant revêtue de l'exequatur au profit de la version russe, a violé les articles 1498 et 1499 du code de procédure civile dans leur version issue du décret n° 81-500 du 12 mai 1981, applicable aux faits de l'espèce ;
2°/ que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; qu'en faisant droit à la prétention de la société Orion qui, après avoir fourni la traduction française dans l'instance en exequatur, en a ensuite contesté le contenu dans l'instance portant sur son exécution, les juges d'appel ont violé le principe susvisé ;
Mais attendu que la traduction en langue française de la sentence n'étant exigée que pour s'assurer de l'intégrité du document présenté à l'exequatur, la cour d'appel a exactement décidé que c'est à la sentence arbitrale elle-même que l'exequatur est accordé, et non à sa traduction en tant que telle; que les deux premières branches ne sont pas fondées ;
Mais sur la troisième branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour dire que le taux d'intérêt applicable à la condamnation résultant de la sentence arbitrale du 3 décembre 2004 est le taux Libor Euro à un an, l'arrêt retient que les parties tenues d'exécuter la sentence de bonne foi, s'accordent sur ce que dans la décision en langue russe, l'arbitre précise que ce sont des "intérêts annuels au taux Libor", précision omise lors de la traduction ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions, la société RSCC contestait que le taux d'intérêts ait été précisé dans la sentence, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a infirmé le jugement qui limitait les effets de l'acte de conversion au principal de la créance, l'arrêt rendu le 31 janvier 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Orion Satellite Communications Inc. aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Federal State Unitary Entreprise Russian Satellit Communication Company
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit que le taux d'intérêt applicable à la condamnation résultant de la sentence arbitrale du 3 décembre 2004 est le taux LIBOR EURO à un an, et dit en conséquence que le calcul des intérêts sera effectué en appliquant l'option numéro 3 développée à la pièce n° 24 de l'intimée, consultation du cabinet PWC du 16 avril 2012, soit le taux à J -2 et base de calcul réel /365, les intérêts étant dus jusqu'au règlement du principal et recouvrables en exécution de l'acte de conversion du 28 septembre 2010 ;
AUX MOTIFS QUE « le principal de la créance, dont le montant a été recouvré par ORION par l'effet de la saisie-attribution pratiquée le 20 avril 2012, la contestation de la validité de cette mesure ayant été rejetée par jugement du juge de l'exécution de Paris le 14 septembre 2012, actuellement frappé d'appel, ne fait pas l'objet de contestation en la présente instance, seuls l'étant les intérêts prévus par la sentence arbitrale et les accessoires de la créance ; considérant qu'il ressort de la sentence arbitrale dans sa traduction revêtue de l'exequatur, page 18, que, en cas de défaut d'exécution de l'obligation pour RSCC de céder les actions à ORION, elle est condamnée à verser à cette société « une somme de 42 820 000 euros produisant intérêts au taux LIBOR à compter de l'expiration du délai établie dans le présent paragraphe de la partie décisoire de la sentence jusqu'à la date du paiement effectif » ; qu'à ce titre les parties exposent que cette traduction est inexacte, l'indication d'un « taux LIBOR » sans autre précision étant inutilisable, alors même que la sentence comporterait une précision supplémentaire en ce qu'il s'agirait des intérêts annuels au taux LIBOR ; qu'ORION soutient qu'il appartient au juge de l'exécution, exerçant son pouvoir d'interprétation, de statuer sur ce point, tandis que RSCC s'y oppose, faisant valoir que, sous couvert d'interprétation, il est demandé au juge d'ajouter au titre que constitue la traduction de la sentence revêtue de l'exequatur, et qu'en tout état de cause le décompte d'intérêts figurant aux actes de saisie, au surplus différent de celui proposé en ses écritures par ORION, est erroné, entraînant la nullité desdits actes en ce qu'il lui causerait grief par son indétermination qui l'a contrainte à agir en justice ; considérant qu'il appartient au juge de l'exécution, et à la cour statuant avec les mêmes pouvoirs, d'interpréter si nécessaire la décision servant de fondement aux poursuites, dans la limite de l'interdiction qui lui est faite par l'article R 121-1 du code des procédures civiles d'exécution de modifier le dispositif de celle-ci ; qu'en l'espèce, l'arbitre a clairement indiqué que la condamnation était assortie d'intérêts dont il a fixé le point de départ à l'expiration d'un délai de 60 jours après la remise de le sentence aux parties ; que, si la traduction revêtue de l'exequatur indique qu'il s'agit d'intérêts au « taux LIBOR », les parties, tenues d'exécuter la sentence de bonne foi, s'accordent sur ce que dans la décision en langue russe, l'arbitre précise que ce sont « des intérêts annuels au taux LIBOR », précision omise lors de la traduction ; qu'ainsi il apparaît que le point à interpréter ne porte pas sur une question dont la solution aurait pour effet de conduire à la modification de la sentence, décision qui relèverait des seuls arbitres, mais de simple interprétation, étant rappelé que c'est à la sentence arbitrale elle-même que l'exequatur est accordé, et non à sa traduction en tant que telle, même si celle-ci est indispensable, et qu'une simple omission affectant ladite traduction, aisément réparable à la lumière de l'acte lui-même, ne modifie nullement la teneur de la décision ni la portée de l'exequatur ; que l'interprétation en l'espèce relève donc de la compétence du juge de l'exécution, étant encore observé que la situation serait identique si la mention litigieuse n'avait pas été omise lors de la traduction, dès lors que la formule même dont les parties s'accordent à admettre qu'elle est bien celle voulue par l'arbitre : intérêts annuels au taux LIBOR, suscite de leur part des interprétations divergentes ; RSCC fait valoir que « intérêts annuels au taux LIBOR » ne signifie pas « taux LIBOR annuel », mais indique seulement que le taux d'intérêt doit être calculé d'année en année ; que le « taux LIBOR a un an » « ne veut en soi rien dire » dès lors qu'il serait affecté de variations journalières, le rendant « indéterminé », qu'il existe d'autres taux LIBOR, qui pourraient être calculés annuellement, en particulier le « LIBOR 3 mois » ; qu'elle produit aux débats une consultation du cabinet KPMG du 13 juillet 2012 (pièce n° 23 de l'appelante) relatant les difficultés auxquelles se heurte la liquidation des intérêts en application du taux LIBOR ; qu'Orion de son côté soutient que le « taux LIBOR à un an », seul compatible selon elle avec la formulation de la sentence, serait aisément déterminable et produit une consultation du cabinet PWC du 16 avril 2012 (pièce n° 24 de l'intimée) proposant quatre « option » de calcul des intérêts aux taux « LIBOR EUROS 12 MOIS » du 4 février 2005, date non contestée de départ des intérêts aux termes de la sentence, au 30 mai 2012 ; que ces calculs aboutissent à des montant variant entre 8.370.724 euros pour le plus élevé (n° 2) et 8.228.532 euros pour le moins élevé (n° 3) ; qu'il sera rappelé que, l'arbitrage est de nature hybride, à la fois décisionnel et conventionnel, en ce que l'arbitre est investi de la mission de trancher le litige en vertu d'un contrat, lui-même doté de la force obligatoire de l'article 1134 du code civil, et qu'ainsi la sentence intervenue, quoique nature juridictionnelle, est le produite d'une convention passée entre les intéressés ; que les parties, étant contraires sur le sens et la portée de la formule ordonnant l'application d'intérêts, il convient, en application des règles générales d'interprétation telles qu'elles résultent des articles 1156 et suivants du code civil, d'entendre la mention selon laquelle la condamnation est assortie d'intérêts annuels au taux LIBOR, dans le sens où elle peut avoir quelque effet plutôt que dans le sens où elle n'en pourrait produire aucun ; qu'à ce titre, la position de RSCC d'où il ressort que le calcul des intérêts se heurte à des difficultés insurmontables ôte tout effet à ladite mention, laquelle doit cependant être appliquée ; qu'il conviendra en conséquence de s'en tenir aux modalités de calcul proposées par Orion, et non sérieusement contestées, en retenant parti les quatre modalités envisagées la plus favorable à l'appelante, soit l'option numéro 3 : « Taux ) J-2 et base de calcul réel/365 » ; que le procès-verbal de saisie conservatoire du 8 février 2008 mentionne pour mémoire les « intérêts au taux annuel LIBOR à compter du 4 janvier 2005 » ; que cette mention n'est erronée qu'en ce qui concerne le mois, qui n'est pas janvier mais février ; qu'à l'acte de conversion du septembre 2010, qui vise « les intérêts au taux LIBOR » figure un décompte distinct des intérêts comprenant le taux appliqué, décompte certes erroné au fond au vu des développements précédents mais formellement conforme aux dispositions de l'article R 522-7 du code des procédures civiles d'exécution ; qu'il s'ensuit que l'acte n'encourt pas la nullité prévue par cet article, aucun grief n'étant au demeurant établi, dès lors que RSCC, qui ne propose que ce moyen, a agi en justice pour contester principalement le droit d'ORION d'exécuter la sentence, et non au seul motif d'un décompte erroné d'intérêts ; que la créance sera cependant limitée au seul montant dû ; qu'aux termes de l'article L 522-1 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier qui possède comme en l'espèce un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la vente des biens rendus indisponibles jusqu'à concurrence du montant de sa créance ; qu'ORION est donc fondée à retenir les intérêts sur le principal jusqu'au règlement de celui-ci selon ses modalités eu égard aux incidences de la saisie-attribution du 4 avril 2012 » ;
ALORS 1°) QUE : saisi d'une difficulté d'exécution d'une sentence arbitrale rédigée en langue étrangère mais dont une traduction française est revêtue de l'exequatur, le juge de l'exécution ne peut pas faire prévaloir la version non traduite sur la version française ; qu'en l'espèce, la société Orion soutenait que la version originale de la sentence, en langue russe, qui avait assorti la condamnation en principal d'« intérêts annuels au taux LIBOR » devait l'emporter sur sa traduction française, selon laquelle les mêmes intérêts devaient se calculer au « taux LIBOR » ; qu'en accueillant cette prétention, la cour d'appel, écartant la version française pourtant revêtue de l'exequatur au profit de la version russe, a violé les articles 1498 et 1499 du code de procédure civile dans leur version issue du décret n° 81-500 du 12 mai 1981, applicable aux faits de l'espèce ;
ALORS 2°) QUE : nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; qu'en faisant droit à la prétention de la société Orion qui, après avoir fourni la traduction française dans l'instance en exequatur, en a ensuite contesté le contenu dans l'instance portant sur son exécution, les juges d'appel ont violé le principe susvisé ;
ALORS 3°) QUE : la société RSCC contestait expressément dans ses conclusions d'appel que le taux ait été précisé dans la sentence (conclusions signifiées le 5 décembre 2012, p. 25) ; qu'en retenant, pour considérer que la sentence rédigée en russe incluait la mention « intérêts annuels au taux LIBOR », que les parties s'accordaient sur ce point, les juges d'appel méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS 4°) QUE : l'arbitre dispose, seul, du pouvoir d'interpréter sa sentence, à l'exclusion de toute juridiction étatique en ce compris le juge de l'exécution ; qu'en retenant que l'interprétation d'une sentence arbitrale relève de la compétence du juge de l'exécution tant qu'elle ne conduit pas à une modification de la teneur de la sentence, les juges du fond ont violé l'article 1485 alinéa 2 du code de procédure civile, ensemble l'article 1506 4° du même code dans leur rédaction issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage, applicable en l'espèce.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 13-20350
Date de la décision : 14/01/2015
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Sentence étrangère - Exequatur - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Traduction

ARBITRAGE - Arbitrage international - Sentence - Sentence étrangère - Traduction - Finalité - Vérification de l'intégralité du document présenté

L'exequatur est accordé à la sentence arbitrale, non à sa traduction, qui n'est exigée que pour s'assurer de l'intégrité du document présenté


Références :

articles 1498 et 1499 du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 81-500 du 12 mai 1981

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 31 janvier 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 jan. 2015, pourvoi n°13-20350, Bull. civ. 2015, I, n° 1
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2015, I, n° 1

Composition du Tribunal
Président : Mme Bignon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat général : M. Bernard de La Gatinais (premier avocat général)
Rapporteur ?: M. Hascher
Avocat(s) : Me Foussard, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:13.20350
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