LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Mohammed X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 30 octobre 2013, qui, dans la procédure suivie contre Mme Laurence Y... du chef de concussion par dépositaire de l'autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 novembre 2014 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme de la Lance, conseiller rapporteur, Mmes Nocquet, Ract-Madoux, M. Soulard, Mme Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mme Planchon, conseillers de la chambre, M. Azema, Mme Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Bonnet ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DE LA LANCE, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, MARLANGE et DE LA BURGADE, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense, de l'article 6 de la Convention des droits de l'homme, des articles 432-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de base légale et dénaturation ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris du tribunal correctionnel de Paris rendu le 10 janvier 2012 ayant débouté la partie civile de ses demandes ;
"aux motifs que, le prévenu demande de dire et juger Mme Y... coupable du seul délit de concussion ; que considérant que le délit de concussion suppose que l'agent exige ou ordonne de percevoir à titre de droits ou de contribution, impôts ou taxes publics, une somme qu'il sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ; que considérant que rien n'interdit à l'administration d'écarter une pièce qu'elle n'estime pas suffisamment probante pour fonder sa conviction ; qu'en l'espèce, Mme Y... pouvait, en conséquence, parfaitement douter de l'authenticité de l'attestation litigieuse et considérer que les impôts étaient dus par M. X... ; que, dans une telle situation, il appartient au contribuable de contester devant le juge administratif la position de l'administration fiscale et d'indiquer en quoi, selon lui, tel ou tel document produit est valable ; que considérant qu'outre l'exercice de ses prérogatives, rien ne démontre en l'espèce qu'une quelconque animosité, mauvaise foi ou volonté de nuire aurait animé Mme Y... dans l'exercice de ses fonctions à l'encontre de M. X... et l'aurait conduit à exiger le paiement d'un impôt qu'elle savait indu ; que l'explication du requérant selon laquelle cet "acharnement" à son encontre serait lié à son refus de coopérer avec les autorités françaises pour communiquer des informations relatives à l'activité de l'industrie pétrolière algérienne n'est, en l'état, nullement avérée ; que dans ces conditions, les faits de concussion n'étant nullement caractérisés, la demande de dommages-intérêts formulée par l'appelant doit, en conséquence, être rejetée ;
"alors que le délit de concussion est constitué si une personne dépositaire de l'autorité publique ordonne de percevoir à titre d'impôt une somme qu'elle sait ne pas être due ou excéder ce qui est dû ; qu'il résulte du certificat fiscal algérien du 21 octobre 2007 et de sa traduction agréée en langue française ; que M. X... était imposé en Algérie en 2004, de sorte que celui-ci entrait dans le champ de la convention fiscale franco-algérienne ; que, pour refuser d'accorder à M. X... le bénéfice de la convention fiscale franco-algérienne, Mme Y..., en sa qualité d'inspectrice des impôts, a écarté ce certificat en considérant qu'il ne mentionnait ni l'adresse du service d'origine, ni l'identité du signataire, cependant que ces données ressortent des termes clairs et précis du certificat ; qu'aussi bien, en estimant, pour débouter M. X... de ses demandes, que Mme Y... pouvait «parfaitement douter de l'authenticité de l'attestation litigieuse et considérer que les impôts étaient dus, la cour d'appel a dénaturé les termes du certificat fiscal algérien du 21 octobre 2007, privant de ce fait son arrêt de toute base légale au regard des textes susvisés" ;
Attendu que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance, contradiction ou dénaturation, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé qu'en l'état des éléments soumis à son examen, aucune faute civile n'était démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 472, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, infirmant le jugement entrepris du tribunal correctionnel de Paris rendu le 10 janvier 2012 ayant débouté la prévenue de sa demande sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale, a condamné la partie civile, seule appelante, à payer à la prévenue, intimée, des dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile ;
"aux motifs que sur le caractère abusif de la citation directe : considérant que la prévenue relaxée sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande formée sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale qui permet à la juridiction, lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l'action publique, de statuer par le même jugement sur la demande de dommages-intérêts formée par la personne relaxée contre la partie civile pour abus de constitution de partie civile ; que considérant que les dispositions de l'article 515 alinéa 2 ne font pas obstacle à ce que le prévenu, relaxé en première instance, puisse saisir la juridiction du second degré, statuant sur le seul appel de la partie civile ayant mis en mouvement l'action publique d'une demande tendant à faire constater que la poursuite exercée est abusive et qu'elle lui cause un préjudice ouvrant droit à réparation ; que considérant, en l'espèce, que, force est de constater que, sans aucun élément tangible, susceptible de mettre en cause personnellement Mme Y... comme ayant participé à une opération visant à le spolier, en représailles à son prétendue refus de coopérer avec le services diplomatiques français, M. X... n'a pas hésité à citer cette fonctionnaire devant le tribunal correctionnel ; qu'une telle action, consistant à attraire, sans élément de preuve, une inspectrice des impôts devant une juridiction dans le but de mettre en cause son honnêteté et sa probité, non seulement témoigne d'une témérité et d'une mauvaise foi évidentes, mais cause nécessairement un préjudice à la prévenue ; que Mme Y... souligne, qu'ayant en outre été intimée en appel, la procédure est également abusive devant cette cour, aggravant ainsi le préjudice subi en première instance ; que considérant que compte tenu de ce qui précède, il convient de faire droit à la demande de dommages-intérêts et d'accorder à Mme Y... la somme de trois mille euros à titre de dommages-intérêts ;
"alors qu'une cour d'appel ne peut, sur le seul appel de la partie civile, aggraver le sort de celle-ci ; qu'en infirmant sur le seul appel de la partie civile le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté la prévenue de sa demande sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale, puis en condamnant la partie civile appelante à payer à la prévenue intimée une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en application de cet article, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du principe et des textes susvisés" ;
Vu les articles 515 et 472 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il se déduit de ces textes qu'à l'égard du prévenu relaxé et débouté par le tribunal de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive qu'il avait formée contre la partie civile ayant engagé l'action publique, les juges du second degré, saisis du seul appel de cette dernière, sont tenus de limiter l'indemnisation susceptible d'être accordée à la réparation du préjudice résultant, pour le prévenu intimé, de la poursuite de cette procédure devant eux ;
Attendu que, sur le seul appel de M. X..., l'arrêt infirme le jugement ayant rejeté la demande de Mme Y... fondée sur l'article 472 du code de procédure pénale et condamne la partie civile appelante à verser à la prévenue intimée des dommages et intérêts en raison de la procédure abusive dont celle-ci a été l'objet, non seulement devant la cour d'appel, mais aussi devant le tribunal ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 octobre 2013, en ses seules dispositions relatives à la condamnation de M. X... prononcée sur le fondement de l'article 472 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de Mme Y..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept décembre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.