Arrêt n° 279 P + B + R + I Pourvoi n° Q 13-19. 684
LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société Proximmo, société à responsabilité limitée, dont le siège est 8 boulevard Gally, 12000 Rodez,
contre l'arrêt rendu le 30 mai 2013 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre, section A01), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société d'architecture et d'urbanisme Arnal-Lafon-Cayrou, société civile professionnelle, dont le siège est 10 rue du Faubourg Lo Barry Le Serial, 12000 Rodez,
2°/ à la société OCD 34, société à responsabilité limitée, dont le siège est 1272 rue de Fontcouverte, 34070 Montpellier,
défenderesses à la cassation ;
Par arrêt du 4 juin 2014, la troisième chambre a renvoyé le pourvoi devant une chambre mixte. Le premier président a, par ordonnance du 26 novembre 2014, indiqué que cette chambre mixte serait composée des première, deuxième et troisième chambres civiles, de la chambre commerciale, financière et économique et de la chambre sociale ;
La demanderesse invoque, devant la chambre mixte, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Proximmo ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boulloche, avocat de la société d'architecture et d'urbanisme Arnal-Lafon-Cayrou ;
Le rapport écrit de M. Chauvin, conseiller, et l'avis écrit de M. Charpenel, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en chambre mixte, en l'audience publique du 28 novembre 2014, où étaient présents : M. Louvel, premier président, M. Terrier, Mmes Flise, Batut, M. Frouin, Mme Mouillard, présidents, M. Chauvin, conseiller rapporteur, MM. Gridel, Chollet, Mmes Bardy, Riffault-Silk, Levon-Guérin, Feydeau, Geerssen, MM. Le Dauphin, Taillefer, Mme Deurbergue, MM. Liénard, Maunand, Parneix, Truchot, conseillers, M. Charpenel, premier avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Chauvin, conseiller, assisté de M. Cardini, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, de la SCP Boulloche, l'avis de M. Charpenel, premier avocat général, auquel les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la société Proximmo du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société OCD 34, lequel rend sans objet le second moyen ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 30 mai 2013), qu'en 2006, la société Proximmo a fait construire un ensemble immobilier, après avoir confié des missions de maîtrise d'oeuvre à la société Arnal-Lafon-Cayrou, d'étude de béton à la société OCD 34 et d'étude de sols à la société Arcadis ; que le contrat d'architecte conclu le 3 février 2006 entre la société Proximmo et la société Arnal-Lafon-Cayrou stipulait : " En cas de litige portant sur l'exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le Conseil régional de l'ordre des architectes dont relève le maître d'oeuvre, avant toute procédure judiciaire. A défaut d'un règlement amiable, le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes " ; que, les travaux ayant nécessité une quantité de béton supérieure à celle préconisée par la société OCD 34 à partir de l'étude de sols réalisée par la société Arcadis, une ordonnance de référé du 28 septembre 2006 a prescrit une mesure d'instruction ; que, par acte du 11 août 2009, à la suite du dépôt du rapport d'expertise, la société Proximmo a assigné les sociétés Arnal-Lafon-Cayrou et OCD 34 en paiement de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1146 et suivants du code civil ;
Attendu que la société Proximmo fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action à l'encontre de la société Arnal-Lafon-Cayrou, alors, selon le moyen, que le défaut de mise en oeuvre d'une clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée jusqu'au jour où le juge statue, même postérieurement à l'acte introductif d'instance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la saisine pour avis du Conseil régional de l'ordre des architectes avait eu lieu avant que les premiers juges statuent et qu'en se fondant, pour accueillir la fin de non-recevoir, sur la circonstance inopérante que cette saisine est intervenue après l'introduction de l'instance, la cour d'appel a, par refus d'application, violé l'article 126 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en oeuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution du litige par le recours à un tiers, n'est pas susceptible d'être régularisée par la mise en oeuvre de la clause en cours d'instance ; que la cour d'appel, ayant constaté que la société Proximmo n'avait pas saisi le Conseil régional de l'ordre des architectes préalablement à l'introduction de l'instance, a exactement décidé que la demande était irrecevable ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Proximmo aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé le douze décembre deux mille quatorze par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Proximmo
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'action de la SARL Proximmo contre la SCP d'architecture Arnal-Lafon-Cayrou ;
AUX MOTIFS QUE : « La clause de conciliation préalable à toute action judiciaire prévue dans le contrat du maître d'oeuvre oblige le maître de l'ouvrage qui recherche la responsabilité contractuelle de son architecte à s'y conformer en saisissant l'autorité de conciliation avant l'introduction du procès. À défaut, son action doit être déclarée irrecevable, aucune régularisation postérieure à l'introduction de l'instance n'étant envisageable ; que le contrat d'architecte signé le 3 février 2006 par la SARL Proximmo avec la SCP Arnal-Lafon-Cayrou prévoit « en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, la saisine pour avis du Conseil Régional de l'Ordre des architectes dont relève le maître d'oeuvre, avant toute procédure judiciaire. À défaut d'un règlement amiable, le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles » ; que la SARL Proximmo recherche la responsabilité contractuelle de son architecte sur le fondement des articles 1146 et suivants du code civil ; qu'il n'est pas contesté qu'elle n'a pas procédé à la saisine du Conseil régional de l'ordre des architectes, préalablement à l'introduction de l'instance du 11 août 2009 ; que certes, la SARL Proximmo justifie de l'envoi d'une demande d'avis au Conseil régional en date du 21 septembre 2010, mais cette démarche n'est pas susceptible de régulariser la fin de non-recevoir puisque la tentative de conciliation devait être effectuée avant l'introduction de l'instance, en application de la clause précitée qui est licite et constitue la loi des parties ; que l'action de la SARL Proximmo contre la SCP d'architecture Arnal-Lafon-Cayrou doit être déclarée irrecevable, ce qui rend l'appel en garantie de la SARL OCD 34 dirigée contre l'architecte sans objet ; que le jugement sera infirmé de ce chef » ;
ALORS QUE : le défaut de mise en oeuvre d'une clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée jusqu'au jour où le juge statue, même postérieurement à l'acte introductif d'instance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la saisine pour avis du conseil régional de l'ordre des architectes avait eu lieu avant que les premiers juges statuent ; qu'en se fondant, pour accueillir la fin de non-recevoir, sur la circonstance inopérante que cette saisine est intervenue après l'introduction de l'instance, la cour d'appel a, par refus d'application, violé l'article 126 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déboutant la SARL Proximmo de ses demandes dirigées à l'encontre de la SARL OCD 34 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « La Sarl OCD 34 a été chargée par la Sarl Proximmo d'une étude de béton suivant contrat du 30 janvier 2006 ; sa mission comprenait, à partir des documents établis par l'architecte, l'établissement de tous les plans, CCTP, notes de calculs relatifs au béton, permettant l'exécution des travaux par une entreprise qualifiée ; le contrat exclut expressément les missions de contrôle des travaux et de suivi du chantier ; le béton qui a été nécessaire aux fondations a dépassé de 240, 71 m3 la quantité prévue par la Sarl OCD 34, ce qui correspond à près de 100 % d'augmentation pour un coût supplémentaire de 31 668 euros TTC ; l'expert judiciaire X... ne met pas en évidence de manquements de la Sarl OCD 34 dans la réalisation de ses calculs, ceux-ci étant conformes à l'étude géotechnique de la société Arcadis qui préconisait des fondations de type superficiel ou semi-profond avec, comme sol d'assise, le substratum altéré à des niveaux compris entre 1, 50 m et 3, 10 m avec une contrainte admissible de 6 bars pour ces schistes altérés ; selon l'expert X..., la faute de la Sarl OCD 34 aurait été commise en cours d'exécution des travaux, lorsque celle-ci s'est aperçue que l'entreprise chargée du creusement avait trouvé « le bon sol » à des niveaux de profondeur bien supérieurs à ceux envisagés ; l'expert indique qu'il appartenait à l'entreprise OCD 34 de prévenir le maître de l'ouvrage de la nécessité de faire intervenir à nouveau la société en charge des études géotechniques ; cependant ce raisonnement de l'expert ne peut être suivi dès lors que le contrat d'étude de béton excluait toute mission de contrôle des travaux ou de suivi du chantier à la charge de la Sarl OCD 34 » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE : « la Sarl Proximmo reproche à la Sarl OCD 34 d'avoir manqué à son devoir de conseil dans le cadre de l'étude de sol en ne lui demandant pas de faire à nouveau intervenir la société Arcadis ESG pour qu'il soit déterminé le niveau à atteindre pour obtenir une contrainte de sol de 6 bars ; que toutefois le contrat qui lie la Sarl Proximmo et la Sarl OCD 34 confie à cette dernière l'établissement de tous les plans, CCTP, notes de calculs relatifs au béton, permettant l'exécution des travaux par une entreprise qualifiée ; que le contrat exclut spécialement de la mission le contrôle des travaux et le suivi du chantier ; que la mission de la SARL OCD 34 s'est donc limitée à une prestation intellectuelle sur la base de l'étude de sol effectuée par la société Arcadis ; qu'il n'est pas allégué que ses calculs auraient été erronés au regard des éléments qui lui ont été fournis ; que privée du suivi de chantier, mission confiée à la SCP d'architecture et d'urbanisme Arnal-Lafon-Cayrou, elle aurait été illégitime à inviter le maître de l'ouvrage à contacter de nouveau la société Arcadis lorsqu'elle a su, comme le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre, que la SA EGB effectuait un creusement bien au delà du niveau initialement arrêté ; que juger autrement aurait pour effet de mettre à la charge de la SARL OCD 34 une obligation de suivi du chantier et de conseil qui n'est pas incluse dans le contrat et pour laquelle elle n'a pas été rémunérée ; que la Sarl doit donc être mise hors de cause » ;
ALORS QUE : le bureau d'étude est tenu, en sa qualité de professionnel et dans le cadre de l'exercice de sa mission, d'une obligation de conseil et d'information au profit du maître de l'ouvrage ; qu'en retenant, pour écarter cette obligation, que le contrat d'étude de béton excluait toute mission de contrôle des travaux ou de suivi du chantier à la charge du bureau, la cour d'appel a violé les articles 1135 et 1147 du code civil.