LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Ali X... qui avait conclu, le 4 décembre 2008, avec la société d'auto-école
Y...
, assurée auprès de la Mutuelle assurance technicien éducation routière (Master), un contrat de formation à la conduite d'une motocyclette qui prévoyait un minimum de 20 heures de pratique, a été grièvement blessé, le 27 décembre 2008, au cours de sa septième leçon ; que M. Ali X... a assigné la société Y... en responsabilité et en réparation de son préjudice ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de déclarer la société Y... responsable de l'accident, de la condamner à indemniser M. Ali X..., la CPAM de Maine-et-Loire, alors, selon le moyen :
1°/ que l'obligation de sécurité mise à la charge de l'enseignement de la conduite des motocyclettes est une obligation de moyen ; qu'il résultait des constatations de l'arrêt qu'au moment de l'accident, il ne faisait pas trop froid pour prendre une leçon de conduite, et donc que le froid n'était pas objectivement un obstacle à la poursuite de l'exercice, que le moniteur avait adapté l'exercice à l'expérience de M. Ali X... et aux conditions météorologiques et qu'il avait donné à M. Ali X... un moyen de se réchauffer les mains ; qu'en jugeant néanmoins que la société Y... avait commis une faute en ne prenant pas l'initiative de suspendre la leçon de conduite et en ne signifiant pas clairement à la victime qu'il était imprudent de continuer l'exercice car il n'était pas en mesure de manipuler les commandes et de doser la pression sur l'accélérateur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du code civil ;
2°/ que la faute de la victime limite son droit à indemnisation ; qu'en s'abstenant de rechercher si M. Ali X... n'avait pas commis une faute de nature à limiter son droit à indemnisation en ne mettant pas lui-même fin à sa leçon bien que ces doigts aient été engourdis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt énonce à bon droit qu'une société d'auto-école est tenue envers ses élèves d'une obligation contractuelle de sécurité, qui est de moyens ; que constatant que M. Ali X... avait indiqué à deux reprises au moniteur que ses doigts étaient engourdis par le froid et retenant qu'ainsi averti de ce danger particulier, aggravé par le fait que l'élève était encore en début d'apprentissage, le moniteur aurait dû suspendre la leçon jusqu'à la disparition de cet état ou lui signifier qu'il était imprudent de continuer l'exercice dans ces conditions, à défaut de pouvoir manipuler les commandes et doser la pression sur l'accélérateur en toute sécurité, la cour d'appel, effectuant la recherche prétendument omise, a pu en déduire que le défaut de maîtrise de M. Ali X... était la conséquence de la seule faute d'imprudence commise par la société Y... ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen qui est recevable :
Vu l'article 4 du code civil ;
Attendu que pour condamner la société Y... à payer à la CPAM de Maine-et-Loire la somme de 73 078,24 euros au titre de ses débours actuels, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur réalisation, les dépenses de santé relatives aux futurs appareillages rendus nécessaires par l'accident, l'arrêt énonce que la caisse, retenant que la prothèse doit être changée en moyenne une fois par an, évalue ses frais futurs à la somme de 768 002,22 euros sur la base d'une annuité viagère de 32 933,20 euros capitalisée en fonction d'un euro de rente de 23,320, que la société Y... et son assureur concluent à titre principal au débouté de la caisse au motif que le renouvellement de la prothèse ne doit s'effectuer que tous les cinq ans, qu'à titre subsidiaire, ils proposent une indemnisation sur cette base, avec application d'un euro de rente de 16,764, que la caisse sollicite pour sa part, à titre subsidiaire, une indemnisation sur la base d'une périodicité de renouvellement de l'appareillage tous les deux ans et à titre infiniment subsidiaire, un remboursement au fur et à mesure des futurs appareillages qu'elle devra exposer, que l'expert judiciaire, M. Z..., conclut à un changement de prothèse tous les quinze à vingt-quatre mois environ, que M. A..., dont la consultation est produite par les intimés, fait état d'un renouvellement tous les cinq ans ou tous les trois ans en fonction des caractéristiques de la prothèse, et que compte tenu de ces éléments, il convient de dire que les frais futurs d'appareillage seront remboursés au fur et à mesure de leur engagement ;
Qu'en statuant ainsi sans se prononcer sur les conditions d'évaluation du coût de la prothèse et sur la périodicité de son renouvellement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Y... à payer à la CPAM de Maine-et-Loire la somme de 73 078,24 euros au titre de ses débours actuels, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur réalisation, les dépenses de santé relatives aux futurs appareillages rendus nécessaires par l'accident, l'arrêt rendu le 21 mars 2013, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la CPAM de Maine-et-Loire aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze octobre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la Mutuelle assurance technicien éducation routière et la société Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré la société Y... responsable de l'accident dont Monsieur ALI X... a été victime le 27 décembre 2008, d'AVOIR condamné la société Y... à payer à Monsieur ALI X..., déduction faite de l'avance déjà perçue en application de la garantie « spéciale élèves » la somme de 117.741,69 euros en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et d'AVOIR condamné la société Y... à payer à la CPAM de MAINE-ET-LOIRE la somme de 73.078,24 euros au titre de ses débours actuels, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur réalisation, les dépenses de santé relatives aux futurs appareillages rendus nécessaires par l'accident ;
AUX MOTIFS QUE « selon les pièces produites, M. ALI X... a conclu le 4 décembre 2008 avec la société Y... un contrat de formation à la conduite moto, prévoyant un minimum de 20 heures de pratique, son besoin ayant été évalué entre 20/25 heures dans la fiche prévisionnelle.
Il résulte de l'enquête de police diligentée après l'accident dont s'agit survenu le 27 décembre suivant, que celui-ci s'est produit lors de sa septième leçon, alors qu'il effectuait avec deux autres élèves, sous la direction de M. Xavier Y..., un exercice à vitesse lente consistant en des slaloms, sur le circuit plateau du parc des Prairies à Cholet, après avoir fait auparavant le trajet Saint Macaire en Mauges-Cholet.
Il est constant que la température était basse et admis par les parties que, sous l'effet du froid, la main droite de M. ALI X... s'est crispée sur la poignée de l'accélérateur en fin de parcours au moment d'effectuer un demi-tour sur la gauche, provoquant son accélération et la perte de contrôle de son engin, lequel est allé percuter violemment les montants d'un quai de transit du marché de bestiaux implanté en limite du parking.
Lors de son audition, M. Xavier Y... a expliqué que, compte tenu du froid, il avait décidé de faire des leçons à vitesse lente et non à allure normale, d'autres moniteurs donnant également des leçons ce jour-là. Il a déclaré que M. ALI X... lui avait dit qu'il avait "les doigts engourdis". Il lui avait alors conseillé de mettre les mains avec ses gants sur les cylindres du moteur pour se réchauffer. Mais quelques secondes après, M. ALI X... lui avait dit que "cela ne marchait pas" et avait décidé de continuer sa leçon, alors que ses élèves savent très bien, ce qui a été confirmé par l'un des deux autres élèves, qu'ils peuvent arrêter la leçon à tout moment. Il a ajouté que le lieu était assez mal fait pour les leçons de moto en raison de l'absence de dégagement, mais qu'il s'agit du seul lieu habilité sur CHOLET.
Il n'est pas contesté que, sur le plan contractuel, une société auto-école est tenue envers ses élèves d'une obligation de sécurité, qui est de moyens et évolutive en fonction des capacités et de la progression de ceux-ci.
Il appartient donc à M. ALI X... de démontrer que la société Y... a commis une faute en lien de causalité avec l'accident.
Le Tribunal, retenant que l'obligation de sécurité était réduite du fait que M. Ali X... était à son septième cours et effectuait pour la quatrième fois un circuit simple à vitesse lente, a écarté toute faute de la société Y..., considérant notamment qu'il ne saurait lui être reproché, ni d'avoir donné une leçon malgré le froid, dans la mesure où cela fait partie des conditions normales de conduite d'une motocyclette et où M. ALI X... a décidé en conscience de son froid aux mains de poursuivre la leçon qu'il savait pouvoir interrompre, ni d'avoir fait choix d'un lieu inadapté, compte tenu que le circuit du parc des Prairies est constitué d'une route plate en état normal utilisée par les auto-écoles pour initier les élèves motards à la conduite et qu'au surplus l'accident n'est pas dû à la configuration des lieux mais à un défaut de maîtrise.
S'il relève dans ses conclusions d'appel que le lieu d'apprentissage était par nature dangereux, M. ALI X... ne fait pas reproche devant la cour au moniteur d'avoir fait choix de ce lieu, qui est habilité à cet effet. Il soutient en revanche que celui-ci a commis une erreur de jugement caractérisant un défaut de vigilance en ne mettant pas un terme à sa leçon, alors qu'étant encore un conducteur inexpérimenté, il s'est plaint à deux reprises du froid auprès de lui.
La société Y... et son assureur font valoir pour leur part que l'exercice proposé était adapté aux capacités de M. ALI X..., qui n'était plus un débutant, s'agissant d'un exercice simple et de circonstances de conduite normales même s'il faisait froid ce jour là. Ils ajoutent que c'est M. ALI X... qui a voulu continuer, alors qu'il savait qu'il pouvait arrêter la leçon à tout moment. Ils observent en outre qu'il s'est d'ailleurs reconnu responsable de l'accident.
Il est vrai que la température, autour d'un degré, permettait parfaitement la réalisation d'une leçon de conduite.
Il est aussi exact que l'exercice simple proposé ne présentait pas objectivement de difficultés excédant les capacités acquises par M. ALI X....
Il reste que celui-ci a clairement fait part à deux reprises au moniteur que ses doigts étaient engourdis par le froid. Ainsi averti de ce danger particulier, aggravé par le fait que M. ALI X... était encore en début d'apprentissage, le moniteur se devait dès lors de prendre l'initiative de suspendre sa leçon jusqu'à la disparition de cet état ou à tout le moins de lui signifier très clairement qu'il était particulièrement imprudent de continuer l'exercice dans ces conditions, n'étant pas en mesure de manipuler les commandes et de doser la pression sur l'accélérateur en toute sécurité.
Le défaut de maîtrise de M. ALI X... est ainsi la conséquence de la faute d'imprudence commise par la société Y... qui l'a laissé continuer sa leçon sans avoir la pleine possession de ses moyens.
Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer la société Y... responsable de l'accident sur le fondement de l'article 1147 du Code civil » ;
1°) ALORS QUE l'obligation de sécurité mise à la charge de l'enseignement de la conduite des motocyclettes est une obligation de moyen ; qu'il résultait des constatations de l'arrêt qu'au moment de l'accident, il ne faisait pas trop froid pour prendre une leçon de conduite, et donc que le froid n'était pas objectivement un obstacle à la poursuite de l'exercice, que le moniteur avait adapté l'exercice à l'expérience de Monsieur ALI X... et aux conditions météorologiques et qu'il avait donné à Monsieur ALI X... un moyen de se réchauffer les mains ; qu'en jugeant néanmoins que la société Y... avait commis une faute en ne prenant pas l'initiative de suspendre la leçon de conduite et en ne signifiant pas clairement à la victime qu'il était imprudent de continuer l'exercice car il n'était pas en mesure de manipuler les commandes et de doser la pression sur l'accélérateur, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1147 du Code civil ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la faute de la victime limite son droit à indemnisation ; qu'en s'abstenant de rechercher si Monsieur ALI X... n'avait pas commis une faute de nature à limiter son droit à indemnisation en ne mettant pas lui-même fin à sa leçon bien que ces doigts aient été engourdis, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré la société Y... responsable de l'accident dont Monsieur ALI X... a été victime le 27 décembre 2008, et d'AVOIR condamné la société Y... à payer à la CPAM de MAINE-ET-LOIRE la somme de 73.078,24 euros au titre de ses débours actuels, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur réalisation, les dépenses de santé relatives aux futurs appareillages rendus nécessaires par l'accident ;
AUX MOTIFS QUE « la CPAM de MAINE-ET-LOIRE, retenant que la prothèse doit être changée en moyenne une fois par an, évalue ses frais futurs à la somme de 768.002,22 euros sur la base d'une annuité viagère de 32.933,20 euros capitalisée en fonction d'un euro de rente de 23,320.
La société Y... et son assureur concluent à titre principal au débouté de la caisse au motif que le renouvellement de la prothèse ne doit s'effectuer que tous les cinq ans. A titre subsidiaire, ils proposent une indemnisation sur cette base, avec application d'un euro de rente de 16,764.
La CPAM sollicite pour sa part, à titre subsidiaire, une indemnisation sur la base d'une périodicité de renouvellement de l'appareillage tous les deux ans et à titre infiniment subsidiaire, un remboursement au fur et à mesure des futurs appareillages qu'elle devra exposer.
Alors que le docteur Z... conclut à un changement de prothèse tous les quinze à vingt-quatre mois environ, le Docteur A..., dont la consultation est produite par les intimés, fait état selon divers documents d'un renouvellement tous les cinq ans ou tous les trois ans en fonction des caractéristiques de la prothèse.
que compte tenu de ces éléments, il convient de dire que les frais futurs d'appareillage seront remboursés au fur et à mesure de leur engagement » (arrêt p. 9, al. 3).
ALORS QUE le juge saisi d'un litige doit le trancher ; que la CPAM et les sociétés MASTER et Y... s'opposaient notamment, pour évaluer le montant de l'indemnisation de la victime au titre des frais futurs, sur le coût et la périodicité de renouvellement de la prothèse de la victime ; qu'en jugeant qu'« il convient de dire que les frais futurs d'appareillage seront remboursés au fur et à mesure de leur engagement » (arrêt p. 9, al. 3), sans préciser la périodicité de ce renouvellement et le coût de la prothèse, la Cour d'appel n'a pas tranché la contestation qui lui était soumise, et a entaché sa décision d'un déni de justice en violation de l'article 4 du Code civil.