LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 26 février 2013), que par acte du 29 avril 1987, la société Foncière Les Pins Setim (la société Setim), a donné à bail commercial à M. X... un local industriel ; que par acte du 29 mai 1990, la société Setim a vendu l'immeuble à la société Sbegi ; que la société Xuri Tokia a acquis le fonds de commerce exploité dans les locaux loués, la société Setim déclarant agréer la cession ; que par acte du 29 octobre 2004, la société Setim a délivré congé à la société Xuri Tokia pour le 30 avril 2005, sans offre de renouvellement, avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction ; que la société preneuse a assigné par actes des 10 avril 2007 et 1er octobre 2008 les sociétés Sbegi et Setim en paiement d'une indemnité d'éviction ; que ces dernières ont soulevé la nullité du congé délivré par une société qui n'était plus bailleresse ;
Attendu que les sociétés Sbegi et Setim font grief à l'arrêt de retenir que les sociétés Sbegi et Xuri Tokia ont entendu se prévaloir du congé du 29 octobre 2004, alors, selon le moyen :
1°/ qu'est entaché d'une irrégularité de fond le congé délivré par une personne autre que le bailleur et n'ayant pas reçu pouvoir de représenter ce dernier ; qu'en faisant néanmoins produire effet à un congé entaché d'une telle irrégularité, et dont elle avait au demeurant expressément constaté qu'il était « atteint d'une nullité absolue » pour n'avoir « pas été délivré par le propriétaire des locaux », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 117 et 119 du code de procédure civile ;
2°/ que le congé nul, comme délivré par une personne qui n'était pas le bailleur, est insusceptible de régularisation, même par un acte d'exécution effectué par le bailleur lui-même ; qu'en retenant néanmoins que des actes d'exécution effectués par le bailleur ¿ en l'occurrence l'envoi au preneur de quatorze factures mentionnant le paiement d'indemnités d'occupation ou lieu de celui de loyers et l'invitation faite au preneur de dresser un état des lieux de sortie ¿ étaient de nature à couvrir la nullité et à conférer plein effet au congé précédemment délivré par une personne qui n'était pas le bailleur, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés, ensemble, par fausse application, l'article 121 du code de procédure civile ;
3°/ que seule une contradiction volontaire ou une fraude du bailleur commise au détriment du preneur pourrait, à la supposer caractérisée, être de nature à priver le bailleur de la possibilité de se prévaloir, envers le preneur, de la nullité d'un congé délivré par un tiers dénué de qualité ; qu'en retenant que la société Sbegi, bailleresse, et la société Foncière Les Pins Setim, auteur du congé argué d'irrégularité, étaient privées du droit d'invoquer l'irrégularité de ce congé dès lors qu'elles avaient entretenu aux yeux du preneur une confusion entre elles et qu'elles étaient les auteurs des inexactitudes entachant l'acte, sans constater que cette confusion et ces inexactitudes auraient procédé d'une contradiction volontaire ou d'une fraude - l'arrêt affirmant même qu'il importait peu que la confusion ait été volontaire ou soit provenue d'une erreur de gestion -, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 117 et 119 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le propriétaire des lieux loués couvre l'irrégularité de fond entachant un congé délivré par celui qui n'est plus le propriétaire des lieux loués s'il manifeste par des actes positifs son intention d'exécuter le congé ; qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Sbegi avait adressé, en qualité de bailleresse, 14 factures de paiement d'indemnités d'occupation à la société preneuse à partir de la date d'expiration du bail au 1er mai 2005 alors qu'elle avait adressé des factures de loyer sur la période antérieure et qu'elle avait convié la locataire à un rendez-vous d'état des lieux de sortie, la cour d'appel a pu en déduire que la société Sbegi avait expressément entendu exécuter le congé délivré par la société Setim bien qu'entaché d'une irrégularité de fond et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d'octroyer au preneur l'indemnité d'éviction qui lui avait été offerte par ce congé ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que le premier moyen étant rejeté, le second moyen, pris d'une cassation par voie de conséquence, est sans portée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Setim et Sbegi aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des sociétés Setim et Sbegi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, avocat aux Conseils, pour la Société basque d'exploitation et de gestion d'immeubles commerciaux professionnels et d'habitations et la société Foncière Les Pins SetimPREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR constaté que les parties avaient toutes deux entendu se prévaloir des effets du congé du 29 octobre 2004 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le bail d'origine concernant les locaux situés au rez-de-chaussée du centre commercial et artisanal Chikitoys route d'Aritxage à Anglet avait été consenti par acte sous seing privé du 29 avril 1987 par la Sas Foncière les Pins-Setim, représentée par monsieur Léon Y..., agissant en qualité de PDG, à monsieur X..., pour y exercer une activité de blanchisserie en gros ; que ce bail avait été renouvelé par acte du 19 avril 1996 entre monsieur Léon Y..., agissant en qualité de PDG de la Sas Sbegi et monsieur X..., cet acte exposant préalablement qu'en date du 29 mai 1990 la Sas Foncière les Pins-Setim avait vendu les locaux objet des présentes à la Sas Sbegi, actuel propriétaire, ce qui n'était pas contesté ; que par acte authentique reçu le 31 août 2000 en l'étude de Maître Z..., notaire à Bayonne, le fonds de commerce de teinturerie blanchisserie dont s'agissait, acquis par la Sarl Etxeko selon acte des 16, 18 et 19 juin 1997 de monsieur X..., représenté par son mandataire liquidateur, avait été cédé à la Sarl Xuri Tokia ; que cet acte rappelait le bail initial du 28 avril 1987 consenti par la Sas Foncière les Pins-Setim, son renouvellement par acte du 19 avril 1996 avec effet au 1er mai 1996 pour se terminer le 30 avril 2005, une copie étant annexée ; que c'était la Sas Foncière les Pins-Setim qui était intervenue à cet acte authentique pour agréer la cession de bail, accepter le cessionnaire avec dispense de la notification de l'article 1690 du code civil, alors qu'elle n'était plus la bailleresse depuis 1990 ; que c'était encore la Sas Foncière les Pins-Setim, agissant poursuites et diligences de son PDG monsieur Léon Y... qui, par acte d'huissier du 29 octobre 2004 en sa qualité de propriétaire des locaux, telle que précisée dans l'acte, délivré à la Sarl Xuri Tokia, locataire suite à la cession du fonds de commerce, avait donné congé pour le 30 avril 2005 ; que dès lors que ce congé n'avait pas été délivré par le propriétaire des locaux la Sas Sbegi (depuis la vente intervenue le 29 mai 1990) mais par le bailleur initial la Sas Foncière les Pins-Setim ce congé était atteint d'une nullité absolue ; que les parties étaient contraires sur les effets de ce congé nul, la Sas Sbegi et la Sas Foncière les Pins-Setim soutenant son inexistence juridique, la Sarl Xuri Tokia demandant la confirmation du jugement en ce qu'il avait constaté que les parties avaient entendu se prévaloir des effets de ce congé, sauf la forclusion à l'encontre de la sas Foncière les Pins-Setim, ; que sur les effets de la nullité du congé du 29 octobre 2004, ce congé délivré par la Sas Foncière les Pins-Setim était régulier en la forme ; qu'il précisait qu'il était donné afin de mettre un terme au bail qui venait à l'expiration le 30 avril 2005, et faisait obligation (au preneur) de quitter les lieux, qu'il serait dû jusqu'à restitution des locaux, une indemnité d'occupation égale au montant du loyer actuel, précisant que le bailleur offrait de lui verser l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-9 du code de commerce ¿ qui serait déterminée à défaut d'accord par le tribunal à dire d'expert ; que contrairement à ce que prétendaient les appelants, ce congé avait été exécuté par la Sas Sbegi, en sa qualité de bailleresse, en ce qu'elle avait adressé 14 factures de paiement d'indemnités d'occupation à la Sarl Xuri Tokia, à partir de la date d'expiration du bail au 1er mai 2005 (facture du 2 mai 2005 pour un montant TTC de 537, 04 €, comprenant un acompte sur charges) et jusqu'en juin 2006 compris (facture du 1er juin 2006 pour un montant TTC de 467, 04 €) ; que la Sas Sbegi ne pouvait davantage se prévaloir d'une quelconque erreur matérielle dans l'intitulé de ces 14 factures, dès lors qu'elle avait adressé des factures de loyer sur la période antérieure, qu'elle avait persisté à adresser à la Sarl Xuri Tokia de telles factures malgré la correspondance de son conseil du 2 mars 2006, qu'elle ne pouvait prétendre sérieusement à une confusion entre des loyers et des indemnités d'occupation, dont le régime juridique tout à fait distinct résultait de l'article L. 145-28 du code de commerce et des termes mêmes du congé délivré le 29 octobre 2004, qui lui rappelait précisément qu'une indemnité d'occupation était due jusqu'à restitution des lieux ; que dès lors que la Sas Sbegi avait expressément entendu exécuter le congé délivré par la Sas Foncière les Pins-Setim le 29 octobre 2004 pendant 14 mois, étant constaté que ces deux sociétés avaient le même siège social et le même PDG monsieur Léon Y..., elle n'était pas fondée à se prévaloir de la nullité de ce congé, régulier en la forme, en raison de ce qu'il n'avait pas été délivré par le réel propriétaire des locaux, la confusion entretenue sur cette qualité étant constante depuis l'agrément du fonds de commerce intervenue par acte authentique du 31 août 2000 dont il importait peu qu'elle soit volontaire ou provienne d'une faute de gestion dans les affaires de ces deux sociétés ; que la correspondance adressée le 2 mars 2006 par le conseil de la Sarl Xuri Tokia à monsieur Léon Y..., sans autres précisions sur sa ou ses qualités, n'emportait aucune conséquence sur les effets du congé délivré le 29 octobre 2004 et son exécution en cours, dès lors qu'à cette date le preneur se trouvait dans la situation du maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, opposable au bailleur quel qu'il soit, que cette simple correspondance, nonobstant l'argumentation juridique sur la nullité du congé exposée avant toute action judiciaire, n'avait pour seul objectif que de proposer le versement à l'amiable d'une indemnité d'éviction, ce qui tendait à démontrer, si besoin était, que la volonté du preneur se situait dans le cadre de l'article L. 145-28 du code de commerce, et de l'offre de versement de l'indemnité d'éviction contenue dans le congé du 29 octobre 2004 (arrêt, pp. 8 et 9) ; ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE selon l'adage " nemo auditur propriam turpitudinem allegans ", nul ne pouvait se prévaloir de ses propres turpitudes, et que les défenderesses ne pouvaient invoquer les inexactitudes du congé dont elles étaient les auteurs pour se prévaloir à leur profit de la nullité du congé ; qu'en second lieu, loin de se prévaloir de la nullité du congé, la société SBEGI avait repris celui délivré par la bailleresse initiale à son compte, de deux manières, d'une part en éditant à 14 reprises, de mai 2005 à juin 2006, des factures d'indemnités d'occupation et non de loyers contre la société Xuri Tokia, d'autre part en conviant la locataire à un rendez-vous d'état des lieux de sortie comme elle l'a reconnu dans ses écritures en justice ; que si la société SBEGI avait considéré qu'elle n'était pas engagée par le congé délivré par la société SETIM à tort, elle aurait considéré que la bail se poursuivait, elle aurait réclamé à la locataire des loyers et non des indemnités d'occupation, surtout à 14 reprises, et elle n'aurait eu aucune raison de convier la locataire à un état des lieux de sortie ; qu'ainsi, bien que le congé puisse paraître nul pour défaut de qualité de son auteur, les deux parties au contrat de bail s'étaient accordées pour donner effet au congé, la bailleresse en réclamant des indemnités d'occupation et un état des lieux de sortie et la locataire en réclamant une indemnité d'éviction (jugement, p. 4) ; ALORS, D'UNE PART, QU'est entaché d'une irrégularité de fond le congé délivré par une personne autre que le bailleur et n'ayant pas reçu pouvoir de représenter ce dernier ; qu'en faisant néanmoins produire effet à un congé entaché d'une telle irrégularité, et dont elle avait au demeurant expressément constaté qu'il était « atteint d'une nullité absolue » pour n'avoir « pas été délivré par le propriétaire des locaux », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 117 et 119 du code de procédure civile ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE le congé nul, comme délivré par une personne qui n'était pas le bailleur, est insusceptible de régularisation, même par un acte d'exécution effectué par le bailleur lui-même ; qu'en retenant néanmoins que des actes d'exécution effectués par le bailleur - en l'occurrence l'envoi au preneur de quatorze factures mentionnant le paiement d'indemnités d'occupation ou lieu de celui de loyers et l'invitation faite au preneur de dresser un état des lieux de sortie - étaient de nature à couvrir la nullité et à conférer plein effet au congé précédemment délivré par une personne qui n'était pas le bailleur, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés, ensemble, par fausse application, l'article 121 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE seule une contradiction volontaire ou une fraude du bailleur commise au détriment du preneur pourrait, à la supposer caractérisée, être de nature à priver le bailleur de la possibilité de se prévaloir, envers le preneur, de la nullité d'un congé délivré par un tiers dénué de qualité ; qu'en retenant que la société Sbegi, bailleresse, et la société Foncière Les Pins Setim, auteur du congé argué d'irrégularité, étaient privées du droit d'invoquer l'irrégularité de ce congé dès lors qu'elles avaient entretenu aux yeux du preneur une confusion entre elles et qu'elles étaient les auteurs des inexactitudes entachant l'acte, sans constater que cette confusion et ces inexactitudes auraient procédé d'une contradiction volontaire ou d'une fraude - l'arrêt affirmant même qu'il importait peu que la confusion ait été volontaire ou soit provenue d'une erreur de gestion -, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 117 et 119 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR ordonné une expertise pour la détermination de l'indemnité d'éviction due à la société Xuri Tokia ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QU'en réclamant l'une et l'autre expressément l'exécution du congé, les deux parties avaient implicitement renoncé à se prévaloir de sa nullité ; que pour le surplus, il y avait lieu de faire droit à la demande d'expertise pour la détermination du montant de l'indemnité d'éviction (jugement, p. 4) ; qu'il convenait de confirmer le jugement en ce qu'il avait dit que la société Xuri Tokia était en droit de revendiquer le paiement d'une indemnité d'éviction (arrêt, p. 10, deuxième alinéa) ;
ALORS QUE c'est en application de la prétendue commune intention des parties au bail de se prévaloir des effets du congé du 29 octobre 2004 que les juges du fond ont retenu que ledit congé devait produire son effet et que la locataire avait droit au paiement d'une indemnité d'éviction, de sorte qu'en l'état d'un lien de dépendance nécessaire entre les dispositions concernées de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef des effets du congé, emportera, par voie de conséquence, cassation de la disposition ordonnant une expertise aux fins de détermination de l'indemnité d'éviction, conformément à l'article 624 du code de procédure civile.