LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 16 mai 2012), que les consorts X... ont consenti, par trois actes notariés des 28 décembre 1992 et 19 mai 1993, des baux d'une durée de dix huit ans expirant le 1er novembre 2010, respectivement aux époux Y..., aux époux Z... et aux époux A... ; que le 27 avril 2009, les consorts X... ont délivré congés pour reprise aux preneurs qui ont contesté lesdits congés ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant retenu à bon droit que, si les conditions de la reprise doivent s'apprécier à la date pour laquelle le congé est donné, cette appréciation s'effectue par rapport au congé tel qu'il a été donné et au vu des mentions qui y figurent et que toute modification du congé en cours de procédure est inopérante, la cour d'appel, qui a constaté que les congés délivrés le 27 avril 2009 indiquaient que William X..., bénéficiaire de la reprise, était domicilié à Lamotte Beuvron et précisaient " habitation qu'il occupera après la reprise des biens loués " et relevé que, si l'indication était erronée, l'inexactitude commise était de nature à induire les preneurs en erreur sur le caractère réaliste du projet d'exploitation personnelle des terres, en a exactement déduit que les congés délivrés devaient être annulés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 416-8 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 415-12 du même code ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que les dispositions de l'article L. 411-58, alinéas 2 à 4, du code rural et de la pêche maritime ne sont pas applicables aux baux à long terme ;
Attendu que pour ordonner la prorogation du bail des époux Y... jusqu'à ce que M. Y... ait atteint l'âge de la retraite, l'arrêt retient qu'aucune disposition d'ordre public ne s'oppose à ce qu'une telle prorogation soit conventionnellement stipulée ;
Qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné la prorogation du bail consenti le 19 mai 1993 aux époux Y... jusqu'à ce que M. Y... ait atteint l'âge de la retraite, l'arrêt rendu le 16 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne les époux Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux Y... à payer aux consorts X... la somme de 1 500 euros ; rejette la demande des époux Y... et des consorts Z... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf avril deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour les consorts X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR ordonné la prorogation du bail rural consenti le 19 mai 1993 par les consorts X... aux époux Y... jusqu'à ce que Jean-Pierre Y... ait atteint l'âge de la retraite ;
AUX MOTIFS QU'en vertu des dispositions de l'article L. 411-58 du Code rural, le preneur peut s'opposer à la reprise, lorsque lui-même, ou en cas de co-preneurs l'un d'entre eux, se trouve à moins de 5 ans de l'âge de la retraite ; que, contrairement aux allégations des intimés, la demande formée sur ce fondement par les époux Y... n'est pas nouvelle en cause d'appel, puisqu'elle était déjà formulée dans les conclusions récapitulatives n° 2 prises par les intéressés devant le Tribunal paritaire des baux ruraux (audience du 27 juin 2011), qu'elle est donc recevable ; qu'ensuite, s'il résulte de l'article L. 416-8 du Code rural que la disposition susvisée n'est pas applicable aux baux à long terme, la faculté pour le preneur de solliciter la prorogation de son bail lorsqu'il se trouve à moins de 5 ans de l'âge de la retraite est, en l'espèce, expressément prévue par le bail conclu entre les consorts X... et les époux Y... le 19 mai 1993 ; qu'aucune disposition d'ordre public ne s'oppose à ce qu'une telle faculté de prorogation soit conventionnellement stipulée ; que les époux Y... peuvent donc s'en prévaloir ; que l'âge du preneur s'apprécie à la date d'effet du congé, que les époux Y... justifient par la production de la copie de leurs cartes nationales d'identité qu'ils sont nés, le mari le 27/ 10/ 1954 et l'épouse le 12/ 02/ 1954 ; qu'au 1er novembre 2010, date d'effet du congé, ils étaient âgés l'un et l'autre de 56 ans, qu'ils se trouvaient donc bien tous les deux à moins de 5 ans de l'âge de la retraite, qu'ils remplissent ainsi les conditions requises pour bénéficier de la prorogation conventionnellement prévue au bail ; que la prorogation ne pouvant, toutefois, être attribuée qu'à un seul des co-preneurs, le bail sera, conformément à leur demande, prorogé jusqu'à ce que Jean-François Y... ait atteint l'âge de la retraite ; que le jugement sera infirmé de ce chef et le congé délivré aux époux Y... annulé ;
1) ALORS QUE le régime de prorogation du bail, qui permet au preneur de s'opposer à la reprise lorsqu'il se trouve à moins de cinq ans de l'âge légal de la retraite, n'est pas applicable aux baux à long terme ; qu'en laissant produire effet à la stipulation du bail à long terme conclu entre les consorts X... et Y..., autorisant le preneur à s'opposer au congé aux fins de reprise du bailleur en faisant valoir qu'il se trouve à moins de cinq ans de l'âge légal de la retraite, tandis que cette stipulation contrevenait aux dispositions de l'article L. 416-8 du Code rural et de la pêche maritime qui sont d'ordre public, la Cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles 6 et 1133 du code civil ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE le terme du bail prorogé correspond non pas à la date à laquelle le preneur pourra effectivement faire valoir ses droits à la retraite mais à la date à laquelle il aura atteint l'âge légal de la retraite tel que déterminé à la date d'effet du congé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le bail conclu entre les consorts X... et les époux Y... arrivait à son terme le 1er novembre 2010 ; qu'à cette date, l'âge légal de la retraite était fixé à 60 ans ; que la cour d'appel a également relevé que M. Y... est né le 27 octobre 1954, ce qui signifie qu'il ne pourra prendre sa retraite qu'à l'âge de 61 ans et 7 mois ; qu'en ordonnant la prorogation du bail jusqu'à ce que M. Y... ait atteint l'âge de la retraite, soit jusqu'au 27 mai 2016, quand cette prolongation ne pouvait être prononcée que jusqu'à ses 60 ans, c'est-à-dire jusqu'au 27 octobre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 411-58 du code rural du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la nullité du congé délivré, le 27 avril 2009 pour le 31 octobre 2010, par les consorts X..., aux fins de reprise au profit de William X..., aux consorts Z... et à l'EARL les Epis ;
AUX MOTIFS QUE sur le moyen de nullité tiré du défaut d'habitation : aux termes de l'article L. 411-59 du Code rural, le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe ; que le congé doit mentionner, notamment, outre l'identité du bénéficiaire de la reprise, son domicile, sa profession, ainsi que l'habitation qu'il occupera après la reprise ; qu'en l'espèce, le congé délivré le 27 avril 2009 par les consorts X... mentionne que William X..., bénéficiaire désigné de la reprise, est domicilié ...à Lamotte-Beuvron (41) et porte la précision expresse suivante : « habitation qu'il occupera après la reprise des biens loués », que les terres, objet de la reprise, sont situées sur la commune de Grangermont (45), soit à une distance d'environ 110 km du lieu d'habitation du repreneur, que les consorts X... allèguent, toutefois, que, à la date d'effet du congé, William X... résidera bien sur le lieu d'exploitation, dans l'habitation mise à disposition par ses parents ... à Grangermont ; que, si les conditions de la reprise doivent s'apprécier à la date pour laquelle le congé est donné, cette appréciation s'effectue par rapport au congé tel qu'il a été délivré et au vu des mentions qui y figurent ; que toute modification du congé en cours de procédure, sans l'accord du preneur, est inopérante ; qu'en l'occurrence, il a été, expressément et sans la moindre ambigüité, mentionné que, après la reprise, William X... fixerait sa résidence à Lamotte-Beuvron (41), que les intimés ne peuvent aujourd'hui ignorer cette mention du congé, que si l'indication donnée était erronée, l'inexactitude commise a induit en erreur les preneurs sur le caractère réaliste du projet d'exploitation personnelle des terres par William X... et emporte sa nullité ; qu'au surplus, la volonté manifestée par ce dernier de fixer sa résidence à Grangermont (45) ne procède, en l'état, que d'une déclaration d'intention et ne résulte d'aucun élément de preuve tangible, qu'une telle preuve ne peut résulter de l'attestation émanant des parents de l'intéressé, eux-mêmes parties à l'instance, que l'installation de William X... dans la Commune de Grangermont se trouve au contraire contredite par l'attestation de la mairie de cette commune, en date du 3 janvier 2012, indiquant que, à cette date, celui-ci ne figure toujours pas sur les listes électorales, ainsi que de l'attestation de Clause B..., voisin des époux X..., qui indique que, au 6 janvier 2012, William X... n'habite pas ... à Grangermont ; que la distance qui sépare les terres, objets de la reprise, du lieu d'habitation de William X..., tel qu'il résulte des mentions du congé, non démenties dans les faits, contrevient aux exigences de l'article L. 411-59 du Code rural ; que par ces seuls motifs et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de nullité soulevés par les appelants, le congé sera annulé ;
1) ALORS QUE les conditions d'une reprise doivent être appréciées à la date d'effet du congé délivré à cette fin ; qu'en considérant que la volonté manifestée par M. X... de fixer sa résidence à Grangermont ne procédait que d'une déclaration d'intention et ne résultait d'aucun élément de preuve tangible, la cour d'appel s'est placée en amont de la date d'effet du congé litigieux pour apprécier sa validité, violant par là l'article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime ;
2) ALORS subsidiairement QUE l'obligation pour le bénéficiaire de la reprise d'occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds s'apprécie au jour de la reprise effective ; qu'en reprochant à M. X... de s'en tenir à une simple déclaration d'intention sans constater la moindre circonstance de nature à l'empêcher de remplir son engagement d'habiter les lieux concernés à la date d'effet du congé, la Cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime ;
3) ALORS QU'un bailleur qui demande que son congé soit déclaré valable n'est pas tenu de maintenir jusqu'à son terme la demande telle qu'elle avait été formulée à l'origine ; qu'en refusant de prendre acte de l'engagement de M. X... de résider sur les lieux de l'exploitation à la date de reprise effective des parcelles, la Cour d'appel a violé l'article L. 411-59 du Code rural et de la pêche maritime.