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19/11/2013 | FRANCE | N°12-23020

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 novembre 2013, 12-23020


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 19 avril 2012), que, par acte du 31 mai 2007, la société civile immobilière Éminence (la société Eminence) s'est rendue caution de la société Fourtune participations (société Fourtune), établie au Luxembourg, en garantie d'une ouverture de crédit consentie à celle-ci par la société Dexia banque internationale ; que la société Éminence ayant été mise en liquidation judiciaire en France et la date de la cessation de ses paiements repor

tée au 22 janvier 2007, le liquidateur a demandé l'annulation du cautionnemen...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 19 avril 2012), que, par acte du 31 mai 2007, la société civile immobilière Éminence (la société Eminence) s'est rendue caution de la société Fourtune participations (société Fourtune), établie au Luxembourg, en garantie d'une ouverture de crédit consentie à celle-ci par la société Dexia banque internationale ; que la société Éminence ayant été mise en liquidation judiciaire en France et la date de la cessation de ses paiements reportée au 22 janvier 2007, le liquidateur a demandé l'annulation du cautionnement comme acte gratuit intervenu en période suspecte ;
Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que dans ses conclusions d'appel signifiées le 17 février 2012 le liquidateur faisait valoir que l'article L. 632-1 du code de commerce français devait recevoir application et que « même si l'on considérait que la loi luxembourgeoise est applicable, ce qui n'est pas le cas, la nullité de l'acte en cause doit être prononcée par application de l'article 445 du code de commerce luxembourgeois » ; qu'en affirmant cependant que « les parties admettent, au vu de l'acte notarié du 31 mai 2007, que l'acte de cautionnement est soumis au droit Luxembourgeois », la cour d'appel a dénaturé les conclusions du liquidateur en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges doivent préciser le fondement juridique de leur décision ; qu'en affirmant que la constitution de la sûreté litigieuse n'était pas inopposable à la procédure collective en vertu du dernier paragraphe de l'article 445 du code luxembourgeois ou de l'article L. 632-1 du code de commerce français, laissant ainsi subsister une incertitude sur le fondement juridique de sa décision et sur la loi applicable, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
3°/ que si un acte de cautionnement réel n'emporte pas dessaisissement immédiat et définitif, il constitue cependant un acte irréversible de disposition et interdit de fait de disposer du bien compte tenu de la sûreté qui le grève ; qu'en décidant cependant que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'est pas en soi un acte translatif de propriété et n'emporte pas dessaisissement immédiat et définitif d'un élément du patrimoine, mais donne simplement vocation à appréhender le bien en cas de défaillance du débiteur principal, la cour d'appel a violé l'article L. 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin l'article 445 du code de commerce luxembourgeois ;
4°/ qu'en énonçant par voie d'affirmation générale que le cautionnement réel litigieux n'avait pas été consenti à titre gratuit par la société Éminence, filiale de la société Fourtune, motif pris qu'au sein d'un groupe de deux sociétés la filiale a un intérêt à favoriser le financement de sa mère qui pourra ainsi participer à son développement, la cour d'appel a statué par un motif d'ordre général en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
5° / qu'un acte gratuit en période suspecte est nul ; que la notion de gratuité ne peut être écartée par la considération que celui qui pose l'acte en retire un avantage économique indirect ; que la SCI Éminence, filiale de la société Fourtune, n'avait qu'un intérêt général à ce que sa mère prospère et ne tombe pas sous le coup d'une procédure collective ; qu'en l'espèce, le cautionnement réel était gratuit pour être privé de contrepartie ; qu'en décidant cependant que l'acte du 31 mai 2007 n'avait pas été consenti à titre gratuit au motif inopérant que la société Fourtune, dont la dette avait été ainsi garantie, était l'associée majoritaire de la société Éminence et que celle-ci avait intérêt à financer sa société mère afin que cette dernière participe ensuite à son développement, la cour d'appel a violé l'article L. 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin l'article 445 du code de commerce luxembourgeois ;
6°/ qu'en statuant comme elle a fait sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions du liquidateur, si le cautionnement réel litigieux avait une contrepartie réelle et ne grevait pas inutilement les ressources et le patrimoine immobilier de la filiale, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard de l'article L. 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin de l'article 445 du code de commerce luxembourgeois ;
Mais attendu, en premier lieu, que, si la cour d'appel s'est référée aussi bien à l'article L. 632-1 I 1° du code de commerce français qu'à l'article 445, alinéa 2, du code de commerce luxembourgeois, elle a fait de ces deux textes, rédigés en termes semblables, une application identique, conforme à celle du droit français qu'invoquait le liquidateur, de sorte que celui-ci est sans intérêt à critiquer une mise en oeuvre seulement apparente du droit luxembourgeois, qui ne laisse pas d'incertitude quant à la loi réellement appliquée ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir retenu que les sociétés Fourtune et Éminence forment un groupe de deux sociétés, que la société cautionnée est l'associée majoritaire de la société caution, que celle-ci, en tant que filiale, a un intérêt à favoriser le financement de sa société mère, laquelle pourra ainsi participer à son propre développement, l'arrêt en déduit que l'acte du 31 mai 2007 a une contrepartie ; que, par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, en effectuant les recherches prétendument omises et sans statuer par un motif d'ordre général, a souverainement décidé que le cautionnement litigieux ne constituait pas un acte à titre gratuit au sens de l'article L. 632-1 I 1° du code de commerce ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa première branche et critique, en sa troisième, un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Francis Villa, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société Francis Villa, ès qualités.
IL EST FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'hypothèque constituée par la SCI EMINENCE au profit de la société BANQUE DEXIA INTERNATIONALE sur l'immeuble situé sur la commune de PRUNIERS en SOLOGNE lieudit LONGUEVIELLE est opposable à la liquidation judiciaire de la société constituante
AU MOTIF QUE les parties admettent, au vu de l'acte notarié du 31 mai 2007, que l'acte de cautionnement est soumis au droit Luxembourgeois ; que la société DEXIA se réfère à l'exception prévue à l'article 13 du règlement CE du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité qui dispose que la règle de compétence de la loi de l'Etat d'ouverture de la procédure collective fixée par l'article 4 de ce règlement n'est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d'un acte préjudiciable à l'ensemble des créanciers apporte la preuve que cet acte est soumis à la loi d'un autre État membre que l'État d'ouverture, et que cette loi ne permet en l'espèce, par aucun moyen, d'attaquer cet acte ; Qu'en l'occurrence, l'article 445 du code de commerce du Luxembourg est ainsi rédigé : « Sont nuls et sans effet, relativement à la masse, lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de ses paiements ou dans les dix jours qui auront précédé cette époque : Tous actes translatifs de propriété mobilière ou immobilière à titre gratuit, ainsi que les actes, opérations ou contrats commutatifs ou à titre onéreux, si la valeur de ce qui a été donné par le failli dépasse notablement celle de ce qu'il a reçu en retour ;Tous paiements, soit en espèces, soit par transport, vente, compensation ou autrement pour dettes non échues et pour dettes échues, tous paiements faits autrement qu'en espèces ou effets de commerce ; Toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire et tous droits d'antichrèse ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées » ; Que l'exception de l'article 13 du règlement insolvabilité n'est pas présentement d'un grand secours car même si les nullités des actes préjudiciables à l'ensemble des créanciers relèvent du droit luxembourgeois, ce dernier est pratiquement identique au droit français contenu à l'article L. 632-1 du code de commerce ; Attendu, en premier lieu, que l'hypothèque litigieuse prise sur les biens de la SCI EMINENCE était destinée à garantir, non ses dettes personnelles, mais l'ouverture de crédit en compte courant consenti à la société FOURTUNE PARTICIPATIONS et qu'elle est au surplus concomitante et non antérieure de la dette contractée, de sorte que la constitution de cette sûreté n'est pas inopposable à la procédure collective en vertu du dernier paragraphe de l'article 445 du code luxembourgeois ou de l'article L. 632-1-1-6 du code de commerce français ; Qu'en second lieu, la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'est pas en soi un acte translatif de propriété et n'emporte pas dessaisissement immédiat et définitif d'un élément du patrimoine, mais donne simplement vocation à appréhender le bien en cas de défaillance du débiteur principal ; qu'en outre, la société FOURTUNE PARTICIPATIONS était l'associée majoritaire de la SCI EMINENCE, et au sein d'un groupe de deux sociétés, la filiale a un intérêt à favoriser le financement de sa mère qui pourra ainsi participer à son développement ; qu'il s'ensuit qu'il existe à l'affectation hypothécaire une contrepartie faisant obstacle à une qualification d'acte gratuit ; Attendu qu'il résulte de ce qui précède que, par infirmation du jugement, la constitution de l'hypothèque par la SCI EMINENCE sur sa propriété sise sur la Commune de Pruniers en Sologne, lieudit «Longueville», en garantie du prêt accordé par la société DEXIA, sera déclarée opposable à la procédure collective de la SCI EMINENCE ;
ALORS QUE D'UNE PART dans ses conclusions d'appel signifiées le 17 février 2012 (p 6 § 3 et § 5), la SELARL VILLA, esqualités, faisait valoir que l'article L 632-1 du code de commerce français devait recevoir application et que « même si l'on considérait que la loi luxembourgeoise est applicable, ce qui n'est pas le cas, la nullité de l'acte en cause doit être prononcée par application de l'article 445 du code de commerce luxembourgeois » ; qu'en affirmant cependant que « les parties admettent, au vu de l'acte notarié du 31 mai 2007, que l'acte de cautionnement est soumis au droit Luxembourgeois », la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la SELARL VILLA, es-qualités en violation de l'article 4 du code de procédure civile
ALORS QUE D'AUTRE PART les juges doivent préciser le fondement juridique de leur décision ; qu'en affirmant que la constitution de la sûreté litigieuse n'était pas inopposable à la procédure collective en vertu du dernier paragraphe de l'article 445 du code luxembourgeois ou de l'article L 632-1 du code de commerce français, laissant ainsi subsister une incertitude sur le fondement juridique de sa décision et sur la loi applicable, la Cour d'appel a violé l'article 12 du Code de procédure civile
ALORS QUE DE TROISIEME PART si un acte de cautionnement réel n'emporte pas dessaisissement immédiat et définitif, il constitue cependant un acte irréversible de disposition et interdit de fait de disposer du bien compte tenu de la sureté qui le grève ; qu'en décidant cependant, la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'est pas en soi un acte translatif de propriété et n'emporte pas dessaisissement immédiat et définitif d'un élément du patrimoine, mais donne simplement vocation à appréhender le bien en cas de défaillance du débiteur principal, la cour d'appel a violé l'article L 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin l'article 445 du code de commerce luxembourgeois
ALORS QUE DE QUATRIEME PART en énonçant par voie d'affirmation générale que le cautionnement réel litigieux n'avait pas été consenti à titre gratuit par la SCI EMINENCE, filiale de la société FOURTUNE PARTICIPATIONS motif pris qu'au sein d'un groupe de deux sociétés la filiale a un intérêt à favoriser le financement de sa mère qui pourra ainsi participer à son développement, la cour d'appel a statué par un motif d'ordre général en violation de l'article 455 du code de procédure civile
ALORS QUE DE CINQUIEME PART un acte gratuit en période suspecte est nul ; que la notion de gratuité ne peut être écartée par la considération que celui qui pose l'acte en retire un avantage économique indirect ; que la SCI EMINENCE, filiale de la société FOURTUNE PARTICIPATIONS, n'avait qu'un intérêt général à ce que sa mère prospère et ne tombe pas sous le coup d'une procédure collective ; qu'en l'espèce, le cautionnement réel était gratuit pour être privé de contrepartie ; qu'en décidant cependant que l'acte du 31 mai 2007 n'avait pas été consenti à titre gratuit au motif inopérant que la société FOURTUNE PARTICIPATIONS, dont la dette avait été ainsi garantie, était l'associée majoritaire de la SCI EMINENCE et que celle-ci avait intérêt à financer sa société mère afin que cette dernière participe ensuite à son développement, la cour d'appel a violé l'article L 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin l'article 445 du code de commerce luxembourgeois
ALORS QUE DE SIXIEME PART en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions de la SELARL exposante (cf dernières conclusions p 5 et 6), si le cautionnement réel litigieux avait une contrepartie réelle et ne grevait pas inutilement les ressources et le patrimoine immobilier de la filiale, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard de l'article L 632-1-1 1° du code de commerce et en tant que de besoin de l'article 445 du code de commerce luxembourgeois


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 12-23020
Date de la décision : 19/11/2013
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005) - Redressement judiciaire - Nullité des actes de la période suspecte - Nullité de droit - Actes à titre gratuit - Cautionnement - Existence d'une contrepartie - Qualification - Acte non gratuit

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005) - Redressement judiciaire - Nullité des actes de la période suspecte - Nullité de droit - Actes à titre gratuit - Cautionnement - Caractère gratuit - Appréciation souveraine

Ayant retenu qu'une filiale avait cautionné les dettes de sa société mère, avec laquelle elle formait un groupe réduit à deux sociétés, parce qu'elle avait un intérêt à favoriser le financement de la société cautionnée, laquelle pourrait ainsi participer à son propre développement, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'une cour d'appel décide que ce cautionnement, ayant une contrepartie, ne constitue pas un acte à titre gratuit


Références :

Sur le numéro 1 : article L. 632-1 du code de commerce

article 445 du code de commerce luxembourgeois

articles 4 et 12 du code de procédure civile
Sur le numéro 2 : article L. 632-1, I, 1°, du code de commerce

Décision attaquée : Cour d'appel d'Orléans, 19 avril 2012

Sur le n° 2 : Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967, dans le même sens que :Com., 14 février 1989, pourvoi n° 87-14798, Bull. 1989, IV, n° 62 (1) (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 19 nov. 2013, pourvoi n°12-23020, Bull. civ. 2013, IV, n° 168
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2013, IV, n° 168

Composition du Tribunal
Président : M. Espel
Avocat général : M. Le Mesle (premier avocat général)
Rapporteur ?: M. Rémery
Avocat(s) : SCP Baraduc et Duhamel, SCP Le Bret-Desaché

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2013:12.23020
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