LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 123-15 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu selon l'arrêt attaqué (Besançon, 30 mars 2012), que le groupement agricole d'exploitation en commun X... (le GAEC), représenté par son gérant M. Georges X..., a agi contre M. Y...pour se voir déclarer titulaire d'un bail rural sur une parcelle de terre appartenant à celui-ci par l'effet du report organisé par la loi en cas de remembrement et être indemnisé d'un manque à gagner ; que cette parcelle ayant fait l'objet d'un échange au cours de la procédure entre M. Y...et la société Viellard, Migeon et Cie (la société), celle-ci est intervenue dans la cause ;
Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt, qui relève que le GAEC a fait connaître à son ancien bailleur, M. Y..., lequel n'était pas tenu de le mettre en demeure, son intention de bénéficier du report du bail par une lettre du 19 octobre 2009, soit plus d'un an après la prise d'effet du remembrement intervenu en septembre 2008, en déduit que le locataire n'a pas exercé son choix dans un délai raisonnable ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le GAEC avait pris possession de la parcelle objet du litige et l'avait exploitée dès le mois d'avril 2009, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 mars 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. Y...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y...à payer au GAEC X... la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille treize, signé par M. Terrier, président, et par M. Dupont, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour le GAEC X...- M. Georges X....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté le GAEC X... de toutes ses prétentions et de l'AVOIR condamné à payer à monsieur Jean-Pierre Y...les sommes de 259, 92 euros en réparation du préjudice subi pour l'année 2009 et de 1. 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU'« en vertu de l'article L. 123-15 du Code rural et de la pêche dans sa version applicable au litige, « Le locataire d'une parcelle atteinte par l'aménagement foncier agricole et forestier a le choix ou d'obtenir le report des effets du bail sur les parcelles acquises en échange par le bailleur, ou d'obtenir la résiliation totale ou partielle du bail, sans indemnité dans la mesure où l'étendue de sa jouissance est diminuée par l'effet de l'aménagement agricole et forestier » ; il ressort du relevé d'exploitation au 1er janvier 2008 dont se prévaut le GAEC X... au soutien de ses prétentions qu'il exploitait à cette date les parcelles section A 95, A 121 et A 122 d'une superficie totale de 1 ha 17 a 80 ca lieudit Bermont sises à Grandvillars, dont le propriétaire est identifié sous le nom de M. Jean-Pierre Y...; les parcelles section A 66 et section A 69 (que M. Y...indique lui appartenir en propre à l'inverse des autres parcelles qui appartiennent à la communauté formée avec son épouse) ne figurent pas sur ce relevé, le GAEC X... ayant expliqué qu'il avait été amené à exploiter ces parcelles dans le cadre d'un échange avec le GAEC des GRANDS VERDATS, ce que confirment les termes d'un courrier adressé à M. Y...par la MSA (sa pièce 1) ; pour soutenir qu'il a, après remembrement foncier intervenu en septembre 2008, exercé tacitement son droit de report du bail rural verbal portant sur ces trois parcelles en exploitant la parcelle ZB 13 lieudit Bermont à Grandvillars d'une superficie de 2 ha 28 a, le GAEC X... allègue qu'il a procédé au labour de cette parcelle à l'automne 2008, qu'il a payé le fermage, que M. Y...ne pouvait pas ignorer cette situation de fait et qu'il aurait agi autrement en cas de refus ; le GAEC X... ajoute qu'il a, au printemps 2009, semé du maïs et que M. Y...était d'accord ; il ressort de ces allégations du GAEC X... qu'il a choisi unilatéralement la parcelle ZB 13 pour exercer le report du bail sans rechercher l'accord préalable de M. Y..., étant observé que cette parcelle est quasiment d'une superficie double de celles objets du bail rural initial ; si le GAEC X... se prévaut d'une situation de fait dès l'automne 2008 que M. Y...ne pouvait ignorer, ces allégations sont pour le moins contradictoires avec le premier courrier daté du 19 octobre 2009 qu'il a adressé après remembrement à M. Y..., au terme duquel il s'adresse au bailleur dans les termes suivants :
« Les opérations d'aménagement foncier sur la commune de Grandvillars sont à ce jour terminées.
En vous rendant, fin avril, sur notre exploitation, vous avez manifesté le souhait de reprendre vos parcelles pour les exploiter.
A ce jour, vous n'avez entrepris aucune démarche légale dans ce sens.
Etant fermier, vous ne pouvez en aucun cas évincer un voire plusieurs des précédents locataires-exploitants.
Par conséquent, en application de l'article L. 123-15 du Code rural, nous sollicitons le report du bail sur les nouvelles parcelles » ;
Les termes de ce courrier adressé par le GAEC X... à M. Y...plus d'un an après les opérations de remembrement font état, au contraire des allégations développées par le preneur dans le cadre de la présente procédure, non pas d'une situation de fait connue et acceptée à l'automne 2008 par le bailleur, mais au contraire d'une volonté claire manifestée dès le printemps 2009 par M. Y...de ne pas permettre au GAEC X... de prendre possession des « nouvelles parcelles » ; dans un second courrier daté du 14 novembre 2009, le GAEC X... indique à M. Y...:
« Nous avons, au printemps dernier, cultivé en nature d'ensilage maïs la parcelle n° 13 d'une contenance de 2 ha 28 a 00 ca sise au lieu-dit « Bermont » en section ZB dont vous êtes propriétaire. Nous nous acquittons ainsi du fermage pour l'année au tarif départemental fixé par arrêté du 22 septembre 2009. Je vous pris, pour des raisons comptables, de réaliser l'encaissement de cette somme due dans les plus brefs délais » ;
Il ressort des termes de ces courriers que c'est au plus tôt au printemps 2009 que le GAEC X... a unilatéralement choisi d'exploiter la parcelle n° 13 appartenant à M. et Mme Y...; les premiers juges ont d'ailleurs retenu cette date du printemps 2009 plus précisément d'avril 2009 comme celle à partir de laquelle le GAEC X... avait pris possession de la parcelle ZB 13 ; il est avéré, ne serait-ce qu'au regard du contenu du premier courrier adressé par le GAEC X..., que M. Y...a clairement fait connaître à celui-ci son désaccord quant à l'exploitation de la parcelle ZB n° 13 au printemps 2009 ; ce désaccord est d'autant plus compréhensible qu'avant cette date, soit selon acte sous seing privé en date du 18 décembre 2008 puis avenant en date du 2 février 2009, M. et Mme Jean-Pierre Y..., propriétaires de ladite parcelle, se sont engagés auprès de la société VIELLARD MIGEON et Compagnie, dans le cadre d'un compromis de vente et d'échange, à échanger leur parcelle ZB 13 contre une parcelle ZC 103 ; si les premiers juges ont rappelé que le droit de report des effets du bail n'est soumis à aucune forme particulière, telle qu'un écrit, et que le bailleur ne peut imposer au preneur l'emplacement du report, réciproquement le preneur ne peut imposer au bailleur un choix de parcelle, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une parcelle d'une superficie double, étant d'ailleurs observé que le GAEC FLLOTAT qui prétendait à l'origine à un droit de report sur la totalité de la parcelle ZB 13, ne sollicite à hauteur de cour que le report à hauteur de 1 ha 62 a 60 ca, ce qui lui a été consenti par les premiers juges ; c'est au GAEC X... qu'il appartenait bien évidemment de faire savoir au bailleur, en l'espèce les consorts Y..., les termes de son choix d'opter pour le report, étant observé que, selon une jurisprudence de la Cour de cassation, la carence du preneur après les opérations d'aménagement foncier peut valoir renonciation implicite de sa part à se prévaloir du bail dont il était titulaire, même si le bailleur ne l'a pas mis en demeure d'exercer l'option ; en l'espèce, il ne peut être sérieusement retenu comme l'ont fait les premiers juges que ce choix a été exprimé par le GAEC de façon implicite et non équivoque puisque c'est par un courrier du 19 octobre 2009, soit plus d'un an après le remembrement foncier, que celui-ci a fait connaître à M. Y...son choix de bénéficier d'un report de son droit de bail ; ce courrier a en outre été appuyé par une lettre du conseil du GAEC X... datée du 2 décembre 2009 qui précise d'une part quelles sont les parcelles concernées par le bail verbal, soit les parcelles A 95, A 121 et A 122, et qui d'autre part mentionne : « Suite à cet aménagement foncier, vous n'avez pas proposé une surface de substitution alors que mon client sollicite le report du bail en application de l'article L. 123-15 du Code rural. Aussi, je vous remercie de faire le nécessaire à réception, faute de quoi je serai contraint de saisir le Tribunal Paritaire des Baux ruraux de Belfort » ; le choix du GAEC X... a donc été formulé plus d'un an après le remembrement et n'a pas été exercé dans un délai raisonnable » ;
1°) ALORS QUE la renonciation du preneur à son droit d'opter pour le report des effets de son bail sur les parcelles attribuées au bailleur après remembrement, droit dont l'exercice n'est enfermé dans aucun délai, ne se présume pas et ne peut résulter que de manifestations non équivoques de volonté ; que cette renonciation ne peut être admise que si le preneur ne justifie pas avoir pris possession des nouvelles parcelles après remembrement, les avoir exploitées et avoir informé le bailleur d'un choix en faveur du report des effets du bail ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que, dès la saison de labour suivant le remembrement du 22 septembre 2008, le GAEC X..., preneur, avait labouré et ensemencé en maïs la parcelle ZB 13 attribuée en remplacement, qu'en avril 2009, monsieur Y..., bailleur, avait constaté et déploré cet état de fait et avait exprimé son souhait de reprendre ses terres et qu'en octobre 2009, le GAEC X..., constatant l'absence de démarche de son bailleur en suite de cette annonce, avait, pour plus de sécurité, confirmé exercer, depuis le début, son droit de report ; qu'en considérant cependant que le GAEC X... devait être considéré comme n'ayant pas exercé en temps voulu son droit de report, et y avoir par là-même renoncé, la Cour d'appel a violé l'article L. 123-15 du Code rural ;
2°) ALORS QU'institué dans un but de protection du fermier, le droit au report s'impose au bailleur lequel n'a pas à consentir à son exercice ; qu'en retenant que l'occupation effective, si elle avait été connue de monsieur Y..., n'avait pas été acceptée par lui, notamment en avril 2009, pour en déduire que le GAEC X... n'avait pas utilement opté pour le report, la Cour d'appel a ignoré la portée du droit au report et a violé l'article L. 123-15 du Code rural ;
3°) ALORS subsidiairement QUE le bailleur rural, qui souhaite reprendre son bien à l'issue de l'aménagement foncier, et qui constate que le preneur occupe les terres attribuées après cet aménagement, doit justifier de l'envoi d'une missive avec avis de réception, destinée à enjoindre le preneur d'exercer son option dans un délai raisonnable et de préciser ainsi qu'il opte pour le report ; qu'en permettant à monsieur Y...d'invoquer utilement la renonciation du GAEC X... à son droit au report faute d'exercice de ce droit dans un délai raisonnable sans exiger de lui qu'il justifie de l'envoi d'une mise en demeure afin que le GAEC X..., occupant et exploitant des terres attribuées après aménagement, précise sa position, la Cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 123-15 du Code rural ;
4°) ALORS en tout état de cause QUE le preneur exprime son choix pour le report en occupant et en exploitant les terres attribuées après aménagement foncier ; qu'il s'ensuit qu'appréciant le caractère raisonnable du délai dans lequel le preneur doit exercer l'option qui lui est offerte, le juge doit prendre en compte cette circonstance sans pouvoir isoler l'envoi ultérieur, pour cause d'opposition du bailleur, d'une lettre confirmant le choix du report ; qu'en se plaçant en l'espèce à la date des courriers adressés à monsieur Y...par le GAEC X... à l'automne 2009 quand ces courriers ne faisaient que confirmer le choix du report d'ores et déjà exprimé par l'occupation et l'exploitation des terres et n'avaient été rendus nécessaires que par la propre ambiguïté de l'attitude passive de monsieur Y...depuis sa réprobation exprimée au printemps 2009, suite au constat de l'occupation et de l'exploitation de la parcelle litigieuse, la Cour d'appel a violé l'article L. 123-15 du Code rural ;
5°) ALORS QUE le bailleur ne peut, à peine trois mois après le remembrement, de surcroît en une période d'inactivité agricole, décider de vendre et d'échanger la parcelle de remplacement, en la présentant comme libre de toute occupation, sans mettre en demeure son preneur d'exercer son choix entre le report et la résiliation ; qu'en retenant que le désaccord de monsieur Y...au printemps 2009 était « légitime », celui-ci ayant signé, dès le 18 décembre 2008, un acte de vente et d'échange avec la société VIELLARD MIGEON et CIE, quand le remembrement datait du 22 septembre 2008, et en en déduisant que le GAEC X... n'avait pas valablement exercé son droit de report, la Cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 123-15 du Code rural ;
6°) ALORS QUE le fait pour le preneur de choisir unilatéralement la parcelle de report n'est pas une cause de déchéance du droit au report ; qu'en retenant que le GAEC X... avait unilatéralement choisi la parcelle ZB 13 pour exercer le report du bail et en sanctionnant cette attitude par la privation du droit au report et le prononcé de la résiliation du bail, la Cour d'appel a violé l'article L. 123-15 du Code rural.