LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 4612-8 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que lors de la réunion du 13 mai 2011 de son comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le centre hospitalier universitaire de Rangueil (CHU) a présenté un projet de réorganisation du service de réanimation des grands brûlés ; qu'invoquant l'existence d'un trouble manifestement illicite, le CHSCT a assigné le CHU en référé, pour obtenir la suspension de la mise en oeuvre du projet, dans l'attente des résultats de l'expertise ;
Attendu que pour débouter le CHSCT de sa demande, l'arrêt retient que les informations communiquées par l'employeur sous forme d'un « power-point » de huit pages contiennent une description sommaire du projet dans ses grandes lignes, présenté sous le seul angle de l'amélioration de la qualité des soins et des conditions de travail, les inconvénients prévisibles comme la fatigue du personnel n'étant nullement examinés, que pour autant, cette insuffisance ne permet pas de conclure que le CHU a méconnu l'obligation de consulter le CHSCT ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les informations données par l'employeur au CHSCT étaient sommaires et ne comportaient pas d'indications relatives aux conséquences de la réorganisation du service sur les conditions de travail des salariés, de sorte que le comité ne pouvait donner un avis utile, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations qui caractérisaient l'existence d'un trouble manifestement illicite, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du centre hospitalier de Rangueil de sa demande de suspension de la mesure de réorganisation du service des grands brûlés, l'arrêt rendu le 3 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne le centre hospitalier de Rangueil aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne le centre hospitalier de Rangueil à payer au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail la somme de 1 913,60 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail du centre hospitalier de Rangueil
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, statuant en référé, débouté le CHSCT du CHU de Rangueil de sa demande tendant à voir ordonner la suspension de la réorganisation du service de réanimation des grands brûlés dans l'attente des résultats de l'expertise mise en oeuvre en application de l'article L.4614-12 du Code du travail ;
AUX MOTIFS QUE "aux termes de l'article L.4614-12 2° du Code du travail, le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L.4612-8 ; que cet article précise que le C.H.S.C.T est consulté avant "toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail" ; que le périmètre de consultation préalable du C.H.S.C.T dépasse ainsi le seul cas du projet important, puisqu'il inclut une modification des cadences, fût-elle de faible impact ; qu'en l'espèce, justement c'est bien une modification des cadences de travail qui est au centre du projet de réorganisation du service des grands brûlés, occupant 29 personnes (personnel infirmier et aide-soignant) ; que le fait que le nombre de salariés concernés soit de faible importance au regard du personnel employé dans l'entreprise n'est pas incompatible avec la notion de projet important ; que de même, la mise en oeuvre d'une réorganisation du même type dans un autre service peut s'avérer présenter une importance différente selon le secteur concerné, en fonction de son impact sur les conditions de travail et sur la santé du personnel ; que la notion de projet important s'apprécie ainsi au regard de l'objet de la mesure projetée, et de son incidence sur les conditions de travail dans le service considéré ;
QU'en l'espèce, il est acquis que le projet de réorganisation présenté le 13 mai 2011 au C.H.S.C.T de Rangueil modifie en profondeur les cadences de travail puisque :- la durée quotidienne de travail passe pour un salarié de 7h42 à 12h,- la durée annuelle de travail passe de 210 jours à 130 jours,- les périodes de congés payés et de repos compensateurs sont accrues ;
QUE cette modification s'inscrit dans un service soumis à des contraintes thermiques fortes (35°) ; que c'est dès lors à juste titre que le premier juge a reconnu qu'il s'agissait d'un projet important autorisant le C.H.S.C.T à recourir à une expertise afin de vérifier l'impact prévisible de cette modification sur la santé et la sécurité des salariés, et de proposer toute amélioration possible ; que le C.H.U de Rangueil est malvenu à invoquer le caractère expérimental de ce projet, alors qu'il l'a mis en oeuvre et maintenu depuis lors, sans suspendre son application ; que l'ordonnance est confirmée en ce qu'elle refuse d'annuler la décision du C.H.S.C.T., ainsi qu'en ce qui concerne la mission confiée, le C.H.S.C.T ne remettant pas en cause la décision en ce qu'elle exclut le point relatif à l'élaboration d'un plan de prévention des risques professionnels (¿)" (arrêt p.3 in fine, p.4 alinéas 1 à 5) ;
ET AUX MOTIFS QUE " - sur la demande en suspension de la réorganisation, selon l'article L.4612-8 du Code du travail, le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail doit être consulté préalablement à la mise en oeuvre de tout projet important modifiant les conditions de travail ; qu'il bénéficie d'un droit à l'information de la part de l'employeur (article L.4614-9) et que le droit de faire appel à un expert agréé qui lui est ouvert par l'article L.4614-12 2° est destiné à lui permettre d'obtenir les informations et éclaircissements suffisants afin d'exercer sa mission ; que dans cette hypothèse l'expertise doit être réalisée dans le délai d'un mois, de 45 jours en cas de nécessité (article R 4614-18) ;
QU' en l'espèce, les informations communiquées par l'employeur sous forme d'un Powerpoint de 8 pages contiennent une description sommaire du projet dans ses grandes lignes, présentée sous le seul angle de l'amélioration de la qualité des soins et des conditions de travail, les inconvénients prévisibles (fatigue du personnel) n'étant nullement examinés ; que pour autant, cette insuffisance ne permet pas de conclure que le C.H.U a méconnu l'obligation de consulter le C.H.S.C.T ;
QUE de plus, la désignation d'un expert par le C.H.S.C.T en cas de projet important modifiant les conditions de travail ne suspend pas l'exécution de la décision prise par l'employeur jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ; que dès lors c'est à juste titre que le premier juge a refusé de suspendre la mise en oeuvre du projet" (arrêt p.5 pénultième et dernier alinéas, p.6 alinéas 1 et 2) ;
1°) ALORS QU'aux termes de l'article L.4612-8 du Code du travail, le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail doit être consulté préalablement à la mise en oeuvre de tout projet important modifiant les conditions de travail ; que selon l'article L.4614-9 du même code "le Comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail reçoit de l'employeur les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions" ; que manque à ces obligations l'employeur qui ne fournit pas au CHSCT, avant cette consultation, une information suffisante pour lui permettre d'apprécier l'impact du projet sur la santé et la sécurité des travailleurs concernés ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de la Cour d'appel, d'une part, que la réorganisation du service de réanimation des grands brûlés constituait une décision d'aménagement important, d'autre part, que les informations communiquées par le CHU de Rangueil sur cette réorganisation étaient insuffisantes pour permettre au CHSCT d'apprécier, notamment, les inconvénients de cette organisation nouvelle sur la santé des salariés, ; qu'en considérant "que cette insuffisance ne permettait pas de conclure que le CHU a(vait) méconnu l'obligation de consulter le CHSCT", la Cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article 809 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE il appartient au juge des référés de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que constitue un trouble manifestement illicite par manquement de l'employeur à son obligation de sécurité toute mise en place d'une organisation du travail de nature à compromettre la santé des travailleurs concernés ; qu'en l'espèce, il ressortait des propres constatations de la Cour d'appel, saisie par le CHSCT d'une demande de suspension de la réorganisation du service de réanimation des grands brûlés, d'une part, que cette réorganisation représentait une "décision d'aménagement important" au sens de l'article L.4612-8 du Code du travail, et un "projet important" au sens de l'article L.4614-12 justifiant la consultation du CHSCT et l'expertise sollicitée par ce dernier, d'autre part, que les informations données au CHSCT par l'employeur quant à l'impact de la réorganisation concernée sur la santé des travailleurs étaient insuffisantes ; qu'en le déboutant de sa demande de suspension de mise en oeuvre de l'organisation nouvelle jusqu'au dépôt du rapport expertal au motif inopérant que la désignation d'un expert par le CHSCT n'était pas elle-même suspensive de l'exécution, par l'employeur, de la décision importante ainsi prise dans des conditions irrégulières, la Cour d'appel a violé l'article 809 du Code de procédure civile.
3°) ALORS QUE l'obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l'employeur lui impose d'adopter les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit en conséquence de prendre, dans l'exercice de son pouvoir de direction et dans l'organisation du travail, des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ; que la consultation obligatoire et préalable du CHSCT en cas de réorganisation importante constitue une mesure destinée à la protection de la sécurité et de la santé des salariés en permettant à cet organisme de s'assurer, au besoin par recours à l'avis d'un expert, que l'organisation projetée n'est pas de nature à compromettre la santé des travailleurs concernés ; que dès lors, l'employeur qui met en oeuvre une telle réorganisation sans avoir mis le CHSCT à même de s'assurer utilement, au besoin par recours à une expertise, de l'innocuité de cette organisation nouvelle manque à son obligation de sécurité et se rend l'auteur d'un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, il ressortait des propres constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que la réorganisation opérée était de nature à avoir des conséquences sur la santé des salariés, la fatigue du personnel oeuvrant douze heures d'affilée dans des conditions extrêmes de température et de vigilance étant considérée comme un "inconvénient prévisible" de cette nouvelle organisation, d'autre part, que les informations données au CHSCT par l'employeur quant à l'impact de la réorganisation concernée sur la santé des travailleurs étaient insuffisantes et justifiaient le recours à une expertise ; qu'en le déboutant cependant de sa demande de suspension de cette réorganisation jusqu'aux résultats de cette expertise, la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.4121-1 du Code du travail et 809 du Code de procédure civile.