LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 mars 2012),que la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse (Spedidam) estimant que la mise en ligne des phonogrammes que la société iTunes proposait à ses clients de télécharger, était soumise, en application de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, à l'autorisation préalable des artistes-interprètes dont la prestation était fixée sur ces phonogrammes, a assigné la société iTunes en réparation du préjudice personnel subi par les artistes-interprètes concernés et du préjudice résultant de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession ; que le Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), les sociétés Emi Music France, Sony BMG Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France sont intervenus volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la Spedidam fait reproche à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts, alors, selon le moyen :
1°/ que la Spedidam faisait valoir que la combinaison de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle et de ses statuts l'autorisait à ester en justice pour la défense des droits des artistes-interprètes, que ceux-ci soient ses associés ou non ; qu'elle ne revendiquait aucun pouvoir exclusif interdisant aux artistes-interprètes l'exercice de leurs droits ou leur défense en justice ; qu'en retenant cependant, pour dénier à la Spedidam le droit d'agir en justice pour la défense des intérêts d'artistes-interprètes qui n'étaient pas ses associés, que cet organisme revendiquait le pouvoir exclusif d'exercer les prérogatives que l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle confère aux artistes-interprètes, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Spedidam, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu'aux termes de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, « les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes ¿ ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge » ; que le législateur a ainsi accordé aux sociétés de gestion collective des droits des artistes-interprètes la faculté de déterminer, dans leurs statuts, l'étendue de leur droit d'action en justice, ce qui supposait que les juges du fond procèdent à l'analyse des statuts de la Spedidam pour décider si celle-ci était en droit d'agir pour la défense des droits de tous les artistes-interprètes, indépendamment de leur qualité d'associé de cet organisme ; qu'en statuant cependant par des motifs inopérants, sans rechercher la teneur des dispositions statutaires de la Spedidam quant à l'étendue de son droit d'action en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que la cour d'appel a relevé que, pour les cinquante-quatre artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts, la Spedidam produisait des feuilles de présence ; qu'elle a constaté que ces documents, renseignés et signés par les artistes-interprètes, manifestaient « la volonté de l'artiste-interprète de confier à la Spedidam le soin de donner en son nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation » et s'est placée dans l'hypothèse où « ces feuilles de présence ou d'enregistrement pourraient être regardées comme contenant un mandat d'agir en justice en paiement de dommages-intérêts à l'occasion d'une exploitation non autorisée » ; qu'en retenant cependant que la preuve n'était pas rapportée que ces artistes-interprètes avaient donné mandat à la Spedidam, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1984, 1985 du code civil et 117 du code de procédure civile ;
4°/ que le mandat donné par une personne à une autre de gérer l'un de ses droits, qui implique le droit pour le mandataire d'agir en justice pour la défense de ce droit, peut être conclu postérieurement à la naissance de ce droit et suppose seulement un accord entre le mandant et le mandataire ; que pour déclarer la Spedidam irrecevable à agir au nom des artistes-interprètes n'étant pas ses associés, bien qu'elle ait constaté que ces artistes-interprètes avaient renseigné et signé des feuilles de présence manifestant leur volonté de confier à la Spedidam le soin de donner en leur nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation de l'enregistrement auquel ils avaient participé, la cour d'appel s'est fondée sur l'absence de signature des feuilles de présence par le producteur et sur leur établissement postérieurement aux enregistrements ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984, 1985 du code civil et 117 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle que, quels que soient ses statuts, une société de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes ne peut être admise à ester en justice pour défendre les droits individuels d'un artiste-interprète qu'à la condition qu'elle ait reçu de celui-ci pouvoir d'exercer une telle action ;
Que la cour d'appel a retenu dès lors à bon droit que la Spedidam était irrecevable à agir pour la défense des intérêts individuels des artistes-interprètes à l'égard desquels elle ne justifiait ni d'une adhésion ni d'un mandat ;
Et attendu qu'appréciant souverainement la force probante des feuilles de présence produites aux débats pour cinquante-quatre artistes-interprètes, la cour d'appel a estimé que les mentions figurant sur celles-ci étaient insuffisantes à justifier du mandat dont la Spedidam se prévalait pour agir en leur nom ;
Que le moyen, inopérant en sa première branche dirigée contre un motif surabondant, ne peut, pour le surplus, être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la Spedidam fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés, alors, selon le moyen :
1°/ que les héritiers étant tenus par les conventions que leur auteur a passées, l'apport par un artiste de ses droits de propriété intellectuelle à une société de gestion collective perdure après le décès de l'artiste ; que cet apport confère à la société de gestion collective la qualité pour défendre en justice ces droits, sans avoir à solliciter un quelconque mandat des héritiers ; qu'en l'espèce, la Spedidam faisait valoir que son droit d'action ne résultait pas d'un mandat qui lui aurait été conféré par l'artiste-interprète ou ses héritiers mais de l'apport que fait l'artiste-interprète de ses droits à la Spedidam lors de son adhésion, cet apport restant propriété de la Spedidam lors du décès de l'artiste-interprète ; qu'en s'abstenant de répondre à cette argumentation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les parties au litige s'opposaient sur l'étendue de la liste des artistes-interprètes décédés, la Spedidam reprochant à ses contradicteurs de citer « le nom de « certains » artistes-interprètes qui seraient prétendument décédés, sans apporter aucun élément de preuve » ; qu'en déclarant la Spedidam « irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés », sans trancher la question de l'identité des artistes interprètes décédés, la cour d'appel a commis un déni de justice, violant ainsi l'article 4 du code civil ;
3°/ que les parties au litige s'opposaient sur l'étendue de la liste des artistes-interprètes décédés, la Spedidam reprochant à ses contradicteurs de citer « le nom de « certains » artistes-interprètes qui seraient prétendument décédés, sans apporter aucun élément de preuve » ; qu'en déclarant la Spedidam « irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés » sans préciser le nom de ces artistes-interprètes et sans répondre aux conclusions de la Spedidam, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que les pièces versées aux débats établissaient le décès de certains des artistes-interprètes, retient que l'invocation par la Spedidam de ses statuts (article 14) et de son règlement général, selon lesquels en cas de décès d'un associé, les rémunérations continuent à être versées à ses héritiers identifiés, est sans pertinence en l'espèce où il est question, non de la répartition des rémunérations dues aux ayants cause de l'artiste décédé, mais d'action en réparation d'un préjudice, et que le droit d'agir en justice dans l'intérêt d'autrui, revêtant un caractère exceptionnel, ne peut résulter que de la loi, sans que la Spedidam prétende qu'une disposition de celle-ci l'investirait pour agir en toutes circonstances en réparation d'un préjudice subi par tel de ses adhérents décédés pour le compte des héritiers de celui-ci, au demeurant en l'espèce non identifiés, et donc non avertis de cette action ; que par ces motifs qui font exactement ressortir qu'une créance de réparation, élément de l'actif successoral transmis ensuite aux ayants cause de l'artiste décédé, ne peut être invoquée en justice que par eux, sauf à ce qu'ils aient donné à un tiers mandat d'y procéder, élément dont l'absence est constatée en l'espèce, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la Spedidam reproche en outre à l'arrêt de la débouter de ses autres prétentions, alors, selon le moyen :
1°/ que sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, toute nouvelle destination ou tout nouveau mode d'exploitation de l'enregistrement devant faire l'objet d'une autorisation distincte ; que l'autorisation donnée par des artistes-interprètes à l'utilisation de leur prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce ne permet pas au producteur ou à l'exploitant d'un service sur internet de commercialiser le phonogramme par voie de téléchargement à la demande, la notion de « publication » supposant la mise en circulation d'un support matériel ; qu'en retenant cependant que l'exploitation immatérielle de la prestation ne correspondait pas à une nouvelle forme d'exploitation de l'enregistrement et ne nécessitait donc pas l'autorisation des artistes-interprètes, la cour d'appel a violé les articles L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, 3.d) de la Convention de Rome du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes-interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion et 2.e) du traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 20 décembre 1996 sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ;
2°/ que les directives du Parlement européen et du Conseil n° 2001/29 du 22 mai 2001 et n° 2006/115 du 12 décembre 2006 prévoient que les artistes-interprètes sont titulaires, d'une part, d'un droit de distribution, défini comme un droit exclusif de mise à la disposition du public de l'original et des copies des fixations de leurs exécutions par la vente ou autrement, et, d'autre part, du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public des fixations de leurs exécutions, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ; que le traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 20 décembre 1996 octroie également aux artistes-interprètes deux droits distincts de distribution et de mise à disposition du public de leurs prestations fixées sur phonogramme ; qu'il en résulte que l'autorisation donnée par des artistes-interprètes à l'utilisation de leur prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce, qui relève de l'exercice de leur droit de distribution, ne vaut pas autorisation de commercialiser le phonogramme par voie de téléchargement à la demande, qui relève de l'exercice de leur droit de mise à disposition des prestations au public ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3.2 de la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001, 9.1 de la directive n° 2006/115 du 12 décembre 2006, 8 et 10 du traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 20 décembre 1996 sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ;
3°/ qu'il y a lieu de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante : « Résulte-t-il des articles 3.2 de la directive n° 2001/29 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 et 9.1 de la directive n° 2006/115 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, imposant aux Etats membres de prévoir pour les artistes-interprètes des droits exclusifs distincts de distribution et de mise à la disposition du public de leurs interprétations, que l'artiste-interprète qui a autorisé l'utilisation de sa prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce peut interdire la commercialisation de ce phonogramme par voie de téléchargement à la demande ? » ;
Mais attendu qu'ayant rappelé qu'aux termes de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, l'artiste-interprète devait autoriser la communication au public de son interprétation, et relevé, par motifs propres et adoptés, que selon les mentions figurant sur les feuilles de présence qu'ils avaient émargées, les artistes-interprètes en cause avaient autorisé l'exploitation de l'enregistrement de leurs interprétations, sous la forme de « phonogrammes publiés à des fins de commerce », la cour d'appel, qui a exactement retenu que, au sens des articles 3 b) de la Convention de Rome du 26 octobre 1961 et 2 e) du Traité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 20 décembre 1996, la qualification juridique de phonogramme était indépendante de l'existence ou non d'un support tangible, en a déduit que les autorisations litigieuses données par les artistes-interprètes incluaient la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant, justifiant ainsi légalement sa décision ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la Spedidam reproche également à l'arrêt de la condamner à verser à chacune des sociétés en la cause une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen, qu'en condamnant la Spedidam au paiement de sommes très importantes au titre des frais irrépétibles - à savoir 95 000 euros pour cette seule procédure -, sans tenir compte des cinq autres procédures similaires intentées à l'encontre de plateformes de téléchargement, mettant en cause, à une exception près dans chaque procédure, les mêmes parties défendues par les mêmes avocats produisant des conclusions similaires reprenant la même argumentation ¿ la totalité des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles pour ces six procédures s'élevant à la somme de 566 000 euros ¿, sans motiver sa décision prononcée à l'encontre d'une société de gestion collective qui a vocation à engager régulièrement des procédures dans l'intérêt des artistes-interprètes qu'elle a pour objet de défendre, la cour d'appel n'a pas respecté l'obligation de motivation des décisions de justice, a créé un doute sur son impartialité et a privé la Spedidam de son droit d'accès au juge, violant ainsi l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, exclusif de l'exigence de motivation, que la cour d'appel a fixé le montant des sommes allouées au titre des frais exposés, de sorte que l'allocation de ces sommes n'est de nature ni à créer un doute sur l'impartialité du juge ni à constituer un obstacle à l'accès à celui-ci ; que, dès lors, le moyen est dépourvu de fondement ;
Sur le cinquième moyen :
Attendu que la Spedidam fait reproche à l'arrêt de la condamner aux dépens et à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 3 000 euros au SNEP, et 8 000 euros à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France et de confirmer le jugement ayant condamné la Spedidam à payer au SNEP et aux sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France la somme de 5 000 euros pour chacun, alors, selon le moyen, que l'intervenant qui prend part au procès à titre accessoire doit supporter les frais et dépens de son intervention, lesquels ne peuvent être mis à la charge de la partie qui succombe ; qu'en l'espèce, le SNEP et les sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France étaient intervenus à l'instance à titre accessoire, pour soutenir la thèse de la société iTunes, seule attraite en justice par la Spedidam ; qu'en mettant cependant à la charge de la Spedidam les frais de ces interventions, la cour d'appel a violé les articles 330, 696 et 700 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'article 700 du code de procédure civile n'exclut pas de son bénéfice les parties qui interviennent volontairement dans une instance ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le sixième moyen :
Attendu que la Spedidam fait grief à l'arrêt attaqué de la condamner à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 8 000 euros à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France et de confirmer le jugement ayant condamné la Spedidam à payer à chacune de ces sociétés la somme de 5 000 euros, alors, selon le moyen, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que les sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France demandaient à la cour d'appel de confirmer le jugement en ce qu'il avait condamné la Spedidam à leur verser à chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de leur accorder une indemnité complémentaire de 3 000 euros, l'indemnité totale demandée au titre des procédures de première instance et d'appel s'élevant ainsi à la somme de 8 000 euros ; qu'en condamnant cependant la Spedidam à payer à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France la somme de 8 000 euros au titre de la procédure d'appel, en sus de la somme de 5 000 euros déjà octroyée à chacune de ces sociétés en première instance, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'octroi de plus qu'il n'a été demandé ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Spedidam aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la Spedidam irrecevable à agir dans l'intérêt des artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts ;
AUX MOTIFS que « les intimées contestent, en premier lieu, la recevabilité à agir de la Spedidam pour la défense des droits individuels des artistes-interprètes qui n'ont pas adhéré à ses statuts et dénient son affirmation selon laquelle elle disposerait d'une habilitation légale lui conférant non seulement le droit exclusif d'exercer, au lieu et place de tous les artistes-interprètes, adhérents ou non, les prérogatives reconnues à ces derniers par l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, mais encore, et par voie de conséquence, le droit d'agir en justice pour faire valoir ces droits ; ... que l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle ne donne pas aux sociétés qu'il vise la qualité pour agir en justice au nom de tous ceux, pris individuellement, qui exercent les activités concernées ; que ce texte se réfère seulement à la défense des droits dont ces sociétés ont statutairement la charge ; que l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle soumet à l'autorisation écrite des artistes-interprètes la fixation, la reproduction et la communication au public de leurs prestations et la rémunération afférente ; ... au contraire de ce qu'elle soutient opiniâtrement, que la Spedidam ne tient pas de la loi, telle qu'elle résulte de la combinaison des dispositions ci-dessus rappelées, le pouvoir exorbitant de donner, au lieu et place de tous les artistes-interprètes, l'autorisation écrite préalable à la fixation, à la reproduction et la communication au public de leurs prestations ; que l'article L.321-1 ne peut en effet donner à la Spedidam les prérogatives que l'article L.212-3 confère aux artistes-interprètes, ce que l'appelante n'hésite pourtant pas à revendiquer en affirmant que les statuts qu'elle s'est donnée lui confèrent le pouvoir exclusif d'exercer ce droit au lieu et place des artistes-interprètes quand même ces derniers, non seulement n'auraient pas adhéré à ces statuts, mais ne lui auraient pas même confié le mandat exprès de les représenter ; ... en réalité, que les statuts de la Spedidam ne peuvent interdire à un artiste-interprète de se prévaloir personnellement des droits qu'il tient de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'il appartient à chaque artiste-interprète, et à lui seul, d'apprécier les conditions d'exercice de ses droits, de saisir éventuellement la juridiction compétente, de transiger, de se désister, d'exécuter ou non un jugement rendu en sa faveur ou d'exercer une voie de recours ; que, si rien n'interdit à un artiste-interprète de s'en remettre à la Spedidam pour agir en son nom en cette matière, soit en devenant l'un de ses membres, soit en lui donnant un mandat spécial, rien, en revanche, n'autorise la Spedidam à s'arroger de manière universelle le droit de réclamer, à la place de tout artiste-interprète victime supposée d'une atteinte à ses droits, la condamnation à son profit de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette atteinte, non par elle-même, mais par l'artiste-interprète intéressé ; ... que c'est donc à tort que le tribunal a retenu que la Spedidam a qualité à agir pour la défense des droits individuels des artistes-interprètes, qu'ils soient ou non adhérents à ses statuts, et a rejeté en conséquence la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité à agir dans l'intérêt d'artistes-interprètes qui ne lui ont pas fait apport de leurs droits ; ... que la Spedidam verse à la procédure les actes d'adhésion de 218 artistes-interprètes sur les 272 artistes-interprètes ayant participé aux enregistrements des phonogrammes litigieux et mis à la disposition du public par la société i Tunes par téléchargement ; qu'elle prétend pallier l'absence de preuve de l'adhésion à ses statuts des autres 54 artistes-interprètes au nom desquels elle prétend agir par la production des feuilles de présence des intéressés aux enregistrements concernés ; qu'elle soutient en effet que « la signature de la feuille de présence ... matérialise le mandat spécial que l'artiste-interprète entend donner à la Spedidam pour la défense et la gestion de ses droits dans le cadre d'une utilisation secondaire de son interprétation » ; ... que ces documents consistent en formulaires préimprimés destinés à être renseignés par les artistes-interprètes au moment de la séance d'enregistrement pour indiquer notamment la date et la durée de la séance et la nature de la prestation (instrument, titre de l'oeuvre...) et formaliser la cession au producteur par l'artiste-interprète de ses droits sur la première destination de sa prestation, soit la réalisation et l'exploitation d'un « phonogramme du commerce » ou d'un « phonogramme publié à des fins de commerce » ; qu'ils comportent en principe à cette fin la signature du producteur auquel l'artiste-interprète cède ses droits ; que ces documents manifestent par ailleurs la volonté de l'artiste-interprète de confier à la Spedidam le soin de donner en son nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation ; ... à supposer que ces feuilles de présence ou d'enregistrement puissent être regardées comme contenant un mandat d'agir en justice en paiement de dommages-intérêts à l'occasion d'une exploitation non autorisée, que les documents versés au débat ne peuvent en toute hypothèse être retenus comme moyens de preuve de la qualité revendiquée par la Spedidam ; ... en effet que les documents produits ont été établis, non pas au moment de l'enregistrement de la prestation de l'artiste-interprète, mais plusieurs années plus tard, qu'ils ne comportent jamais la signature du producteur et sont dépourvus de tout caractère contradictoire, qu'ils ont en réalité été établis a posteriori à la demande de la Spedidam pour appuyer ses prétentions ; ... quelle que soit la bonne foi des artistes-interprètes qui ont renseigné et signé les formulaires produits, que les indications portées sur ces documents longtemps après l'événement n'offrent aucune garantie d'exactitude ; ... qu'aucune foi ne peut être en conséquence accordée à ces pièces, ne serait-ce qu'au regard du principe en vertu duquel nul ne peut être admis à se constituer ses propres moyens de preuve ; ... que la Spedidam doit en conséquence être déclarée irrecevable à agir au nom des 58 artistes-interprètes dont elle ne rapporte pas la preuve qu'ils lui ont fait apport de leurs droits »
ALORS, d'une part, que la Spedidam faisait valoir que la combinaison de l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle et de ses statuts l'autorisait à ester en justice pour la défense des droits des artistes-interprètes, que ceux-ci soient ses associés ou non ; qu'elle ne revendiquait aucun pouvoir exclusif interdisant aux artistes-interprètes l'exercice de leurs droits ou leur défense en justice ; qu'en retenant cependant, pour dénier à la Spedidam le droit d'agir en justice pour la défense des intérêts d'artistes-interprètes qui n'étaient pas ses associés, que cet organisme revendiquait le pouvoir exclusif d'exercer les prérogatives que l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle confère aux artistes-interprètes, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Spedidam, violant ainsi l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, d'autre part, qu'aux termes de l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle, « les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes ¿ ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge » ; que le législateur a ainsi accordé aux sociétés de gestion collective des droits des artistes-interprètes la faculté de déterminer, dans leurs statuts, l'étendue de leur droit d'action en justice, ce qui supposait que les juges du fond procèdent à l'analyse des statuts de la Spedidam pour décider si celle-ci était en droit d'agir pour la défense des droits de tous les artistes-interprètes, indépendamment de leur qualité d'associé de cet organisme ; qu'en statuant cependant par des motifs inopérants, sans rechercher la teneur des dispositions statutaires de la Spedidam quant à l'étendue de son droit d'action en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.321-1 du code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, encore, que la cour d'appel a relevé que, pour les 54 artistes-interprètes n'ayant pas adhéré à ses statuts, la Spedidam produisait des feuilles de présence ; qu'elle a constaté que ces documents, renseignés et signés par les artistes interprètes, manifestaient « la volonté de l'artiste-interprète de confier à la Spedidam le soin de donner en son nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation » et s'est placée dans l'hypothèse où « ces feuilles de présence ou d'enregistrement pourraient être regardées comme contenant un mandat d'agir en justice en paiement de dommages-intérêts à l'occasion d'une exploitation non autorisée » ; qu'en retenant cependant que la preuve n'était pas rapportée que ces artistes-interprètes avaient donné mandat à la Spedidam, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1984, 1985 du code civil et 117 du code de procédure civile ;
ALORS, enfin, que le mandat donné par une personne à une autre de gérer l'un de ses droits, qui implique le droit pour le mandataire d'agir en justice pour la défense de ce droit, peut être conclu postérieurement à la naissance de ce droit et suppose seulement un accord entre le mandant et le mandataire ; que pour déclarer la Spedidam irrecevable à agir au nom des artistes-interprètes n'étant pas ses associés, bien qu'elle ait constaté que ces artistes interprètes avaient renseigné et signé des feuilles de présence manifestant leur volonté de confier à la Spedidam le soin de donner en leur nom les autorisations nécessaires pour les destinations secondaires ou les autres formes d'exploitation de l'enregistrement auquel ils avaient participé, la cour s'est fondée sur l'absence de signature des feuilles de présence par le producteur et sur leur établissement postérieurement aux enregistrements ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984, 1985 du code civil et 117 du code de procédure civile ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la Spedidam irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés ;
AUX MOTIFS que « la société i Tunes, le Snep et les sociétés Emi, Sony et Warner concluent à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a admis la recevabilité à agir de la Spedidam au nom d'artistes-interprètes qui seraient décédés avant l'introduction de l'instance ; que la Spedidam maintient qu'elle est recevable à agir au nom des artistes-interprètes décédés et invoque à cette fin les dispositions de ses statuts selon lesquelles « en cas de décès d'un associé, les rémunérations continueront à être versées à ses ayants droit » (article 14) et celles de son règlement général qui prévoient que « en cas de décès d'un ayant droit, les droits lui revenant seront versés par la Spedidam à ses héritiers identifiés » ; mais que la référence à ces différentes dispositions, qui ont pour objet de prévoir que la Spedidam doit payer aux héritiers de ses adhérents décédés les sommes qu'elle continue de percevoir pour leur compte est sans pertinence en l'espèce où il est question, non des conditions de répartition des rémunérations perçues ou dues à des artistes-interprètes, mais d'action en justice en réparation d'un préjudice ; en effet que la Spedidam ne poursuit pas dans la présente instance le paiement des rémunérations dues à chacun des membres au nom desquelles elle prétend agir, mais le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice personnel causé à chacun d'eux par la faute de la société i Tunes pour ne pas s'être assurée de leur autorisation avant de mettre leurs prestations à la disposition du public par voie de téléchargement ; que nul n'est admis à agir dans l'intérêt d'autrui s'il n'est légalement qualifié à cette fin ; qu'une telle attribution de qualité ne peut résulter que de la loi et revêt un caractère exceptionnel ; que la Spedidam ne prétend pas qu'elle serait investie par une disposition de la loi de la qualité pour agir en toutes circonstance en réparation d'un préjudice prétendument subi par tel de ses adhérents décédé pour le compte des héritiers de celui-ci, au demeurant non identifiés en l'espèce et donc, par hypothèse, non avertis de cette action, alors que le droit d'agir en justice est une liberté fondamentale, qui appartient à chacun dans son propre intérêt et n'appartient, en principe, à personne d'autre ; ¿ qu'il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a admis la recevabilité de la Spedidam à agir au nom des héritiers non identifiés de ses adhérents dont le décès est établi par les pièces versées au débat »
ALORS, d'une part, que les héritiers étant tenus par les conventions que leur auteur a passées, l'apport par un artiste de ses droits de propriété intellectuelle à une société de gestion collective perdure après le décès de l'artiste ; que cet apport confère à la société de gestion collective la qualité pour défendre en justice ces droits, sans avoir à solliciter un quelconque mandat des héritiers ; qu'en l'espèce, la Spedidam faisait valoir que son droit d'action ne résultait pas d'un mandat qui lui aurait été conféré par l'artiste-interprète ou ses héritiers mais de l'apport que fait l'artiste-interprète de ses droits à la Spedidam lors de son adhésion, cet apport restant propriété de la Spedidam lors du décès de l'artiste-interprète (conclusions de la société Spedidam, p. 39 à 41) ; qu'en s'abstenant de répondre à cette argumentation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, d'autre part, que les parties au litige s'opposaient sur l'étendue de la liste des artistes-interprètes décédés, la Spedidam reprochant à ses contradicteurs de citer « le nom de « certains » artistes-interprètes qui seraient prétendument décédés, sans apporter aucun élément de preuve » (conclusions de la société Spedidam, p.38) ; qu'en déclarant la Spedidam « irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés », sans trancher la question de l'identité des artistes interprètes décédés, la cour d'appel a commis un déni de justice, violant ainsi l'article 4 du code civil ;
ALORS, en tout état de cause, que les parties au litige s'opposaient sur l'étendue de la liste des artistes-interprètes décédés, la Spedidam reprochant à ses contradicteurs de citer « le nom de « certains » artistes-interprètes qui seraient prétendument décédés, sans apporter aucun élément de preuve » (conclusions de la société Spedidam, p.38) ; qu'en déclarant la Spedidam « irrecevable à agir dans l'intérêt individuel des artistes-interprètes décédés » sans préciser le nom de ces artistes interprètes et sans répondre aux conclusions de la Spedidam, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Spedidam de toutes ses prétentions ;
AUX MOTIFS qu' « aux termes de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, « Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public » ; qu'il est constant que les 272 artistes-interprètes dans l'intérêt desquels la Spedidam prétend agir dans la présente instance ont donné l'autorisation prévue par les dispositions ci-dessus rappelées pour la totalité des phonogrammes visés ; cependant que la Spedidam maintient devant la cour la thèse soutenue par elle devant le tribunal selon laquelle l'autorisation donnée par les artistes-interprètes dans les termes de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle précédemment rappelés ne vaut que pour la communication au public de phonogrammes publiés à des fins de commerce, concept dont elle prétend qu'il n'inclut pas la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant ; qu'il y a lieu d'observer que la Spedidam fonde le premier niveau de son argumentaire devant la cour, comme elle l'avait fait devant le tribunal : - sur les expressions contenues dans les feuilles de présence pour désigner, après les notions de fixation et de reproduction, celles de la destination de la séquence sonore fixée, soit la réalisation de « phonogrammes publiés à des fins de commerce » ou, sous une forme abrégée tenue pour équivalente, « phonogrammes du commerce », - sur la Convention de Rome du 26 octobre 1961 au sens de laquelle un « phonogramme » s'entend comme « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d'une exécution ou d'autre sons » (article 3-b) et la « publication » est définie comme la mise à disposition du public d'exemplaires d'un phonogrammes en quantité suffisante » (article 3-d), - sur l'article 2 e du Traité OMPI de 1996, d'après lequel la « publication » consiste en « La mise à disposition du public de copies de l'interprétation ou exécution fixée ou d'exemplaires du phonogramme avec le consentement du titulaire des droits, et à condition que les copies ou exemplaires fixés soient mis à la disposition du public en quantité suffisante » ; que l'appelante, en soulignant les termes de « copies » et « d'exemplaires » contenus dans ces différents textes, réitère son affirmation selon laquelle la « publication à des fins de commerce » ne concerne que « l'exploitation commerciale de supports matériels » ; qu'elle explique que les artistes-interprètes, lorsqu'ils ont autorisé l'enregistrement de leur prestation, n'ont permis que la réalisation de supports physiques, dont l'évolution technologique, permettant le passage du disque en cire 78 tours au disque vinyle ou microsillon 45 et 33 tours, puis à la cassette audio, et au CD, n'a pas changé la nature « d'objets tangibles » destinés à être mis à la disposition du public dans des magasins, mais n'ont pu autoriser la transmission dématérialisée de celle-ci au public ; mais que le tribunal, par des motifs exacts, suffisants et pertinents que la cour fait siens, a jugé que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante de l'existence ou non d'un support physique ; qu'il en résulte que le phonogramme, séquence de sons fixée quel qu'en soit le mode de fixation, ne se confond pas avec « l'objet tangible » mis à la disposition du public dans les bacs des disquaires ; que la Spedidam, qui ne disconvient pas de cette constatation d'évidence, développe au soutien de son appel un deuxième niveau d'arguments, se référant non plus à la notion de « phonogramme », mais à celle de « publication à des fins de commerce », qui serait d'une nature autre que la « mise à disposition du public à la demande », laquelle, précisément parce qu'elle se passe de la remise au consommateur d'un objet tangible ou support matériel incorporant le phonogramme, impliquerait une destination différente de l'enregistrement ; que l'appelante invoque à cette fin les directives n° 2001/29 du 22 mai 2001 et n° 2006/115 du 12 décembre 2006 qui, selon elle, opèrent une distinction entre le droit de distribution, consistant en la mise à la disposition du public de copies fixées sur un « objet tangible », et le droit de mise à disposition du public à la demande ; mais, dès lors qu'il doit être admis que le phonogramme ne consiste en rien d'autre qu'une séquence de sons fixée, quel que soit le mode de fixation, sur un support, quel qu'il soit, qu'il peut donc consister en un fichier numérique sauvegardé sur une mémoire informatique tel qu'un disque dur ou autre ; que la circonstance qu'un phonogramme ainsi défini puisse être transmis sous forme dématérialisée n'en change ni la nature, ni la destination ; qu'il demeure en effet identique à lui même s'il est incorporé dans un support matériel tel qu'un disque vinyle microsillon ou chargé sur un disque dur d'ordinateur, une clé USB, ou un téléphone mobile, et comporte la même destination, qui est d'être écouté par celui qui en a fait l'acquisition ; enfin, à moins de cultiver délibérément le sophisme, qu'il ne peut être sérieusement soutenu qu'une société commerciale qui tire son profit de la mise à disposition du public, à la demande de celui-ci, de phonogrammes par le moyen du téléchargement, exercerait une activité qui ne constituerait pas une mise à disposition du public à fins de commerce, étant observé incidemment que l'exigence de mise à disposition d'un nombre d'exemplaires suffisants est évidemment satisfaite dans ce mode de mise à disposition »
Et AUX MOTIFS ADOPTES qu' « aux termes de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, « Sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image. Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L.762-1 et L.762-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L.212-6 du présent code. » ; que la Spedidam expose que les artistes-interprètes dont les prestations sont reproduites sur les 258 phonogrammes objets du présent litige ont autorisé par écrit la fixation, la reproduction et la communication au public de leurs prestations en vue uniquement de la réalisation de « phonogrammes publiés à des fins de commerce » ; qu'elle considère que tant la notion de « phonogrammes publiés à des fins de commerce » figurant sur les feuilles de présence signées par les musiciens, que la terminologie employée par la Convention de Rome et le Traité OMPI renvoient nécessairement à la fixation des sons sur un support physique et ne peuvent donc inclure le téléchargement à la demande de fichiers numérisés, qui constituerait selon elle une autre forme d'exploitation ; qu'elle estime que ce changement de destination aurait dû, en application des dispositions susvisées, être autorisé par les artistes-interprètes concernés, le cachet perçu par ces derniers lors de l'enregistrement de leur prestation ne couvrant que la fixation et la reproduction sur un support phonographique, et non les utilisations secondaires de celui-ci ; or qu'elle fait valoir qu'une telle autorisation n'a jamais été sollicitée par les plate-formes de téléchargement, ni pour la reproduction sous format numérique des prestations des artistes-interprètes sur le disque dur de leur serveur, ni pour la communication au public desdites prestations sous forme de fichier téléchargeable ; qu'elle en conclut donc en l'espèce que les 258 phonogrammes litigieux ont été illicitement reproduits et mis à la disposition du public sur le site www.apple.com/itunes/fr exploité par la société iTunes Sarl, ce en violation de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle ; que les parties défenderesses et intervenantes volontaires, se référant notamment aux accords professionnels signés les 17 avril 1959 et 1er mars 1969, soutiennent au contraire et en substance que le terme « phonogramme du commerce » sert à désigner la fixation d'une séquence de son ou d'une interprétation et ne se confond pas avec le support, physique ou non, incorporant cette fixation, de sorte que la mise à disposition par voie de téléchargement payant constitue une exploitation déjà autorisée qui n'implique pas de changement destination ; ¿ ceci étant exposé, que l'appréciation de la licéité des actes de reproduction et de communication au public incriminés suppose donc, avant même l'examen de leur matérialité et partant de la preuve de la participation des artistes-interprètes au nom desquels la Spedidam prétend agir dans le cadre de la présente instance, de déterminer la portée de l'autorisation de fixation, de reproduction et de communication au public donnée par ces derniers lors de l'enregistrement de leurs prestations ; que les feuilles de présence versées aux débats précisent, ainsi qu'il est justement rappelé en demande, que la destination des enregistrements est la suivante : « phonogramme publié à des fins de commerce » ou encore « phonogramme du commerce », lequel est défini au verso comme la « réalisation d'un enregistrement sonore et l'édition sur tous supports sonores de cet enregistrement pour la publication à des fins de commerce » ; que ces feuilles de présence comportent par ailleurs, après le rappel des termes de l'article L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, une mention selon laquelle « la signature de la feuille de séance vaut autorisation au sens de cet article L.213-3, exclusivement pour la première destination de l'enregistrement telle qu'indiquée ci-dessous. Toute utilisation autre que cette première destination est soumise à l'autorisation écrite de la Spedidam sur mandat de chacun des signataires de la présente feuille de séance ou apport statutaire des membres de cette société » ou encore qui prévoit que « la destination des bandes enregistrées dans le cadre de la séance objet de la présente feuille est limitée à une utilisation unique (...). Toute utilisation supplémentaire ou toute autre destination non prévue dans la liste ci-contre, sera soumise à l'accord préalable du Snam et de la Spedidam » ; que la société de gestion collective ne saurait déduire de ces stipulations, pas plus d'ailleurs que des conventions internationales en la matière, que les artistes musiciens n'ont autorisé la fixation de leur prestation et sa reproduction qu'aux fins exclusives de réalisation de disques du commerce destinés à être vendus au public sous forme de supports physiques à savoir, selon elle, Vinyle 16, 45, 33 ou 78 tours, cassettes audio, minidisc et disque compact ; qu'en effet, il est fait référence, dans la définition du phonogramme du commerce figurant sur les feuilles de présence, à « tous supports sonores », et non pas exclusivement aux supports matériels, tandis que l'article 3 de la Convention de Rome de 1961 définit le phonogramme comme « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d'une exécution ou d'autres sons » et sa publication comme « la mise à disposition du public d'exemplaires d'un phonogramme en quantité suffisante », et l'article 2 e) du Traité OMPI du 20 décembre 1996 quant à lui comme « la mise à la disposition du public de copies de l'interprétation ou exécution fixée ou d'exemplaires du phonogramme avec le consentement du titulaire des droits, et à condition que les copies ou exemplaires fixés soit mis à la disposition du public en quantité suffisante », les termes utilisés d'exemplaires mis à la disposition du public n'impliquant pas plus nécessairement l'existence d'un support tangible ; qu'il s'en suit, ainsi que les sociétés défenderesses et intervenantes volontaires le soutiennent à bon droit et comme il résulte d'ailleurs des travaux parlementaires de la loi du 03 juillet 1985, que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante d'un support et que la mise à la disposition du public, en quantité suffisante, de supports dématérialisés n'implique pas de changement de destination du phonogramme initialement fixé ; que dès lors, l'exploitation autorisée par les artistes-interprètes dont les prestations sont reproduites sur les 258 phonogrammes objets du présent litige inclut la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant ; que la Spedidam sera en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus des moyens présentés en défense, déboutée de l'intégralité de ses demandes. »
ALORS, d'une part, que sont soumises à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, toute nouvelle destination ou tout nouveau mode d'exploitation de l'enregistrement devant faire l'objet d'une autorisation distincte ; que l'autorisation donnée par des artistes-interprètes à l'utilisation de leur prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce ne permet pas au producteur ou à l'exploitant d'un service sur Internet de commercialiser le phonogramme par voie de téléchargement à la demande, la notion de « publication » supposant la mise en circulation d'un support matériel ; qu'en retenant cependant que l'exploitation immatérielle de la prestation ne correspondait pas à une nouvelle forme d'exploitation de l'enregistrement et ne nécessitait donc pas l'autorisation des artistes-interprètes, la cour d'appel a violé les articles L.212-3 du code de la propriété intellectuelle, 3.d) de la convention de Rome du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion et 2.e) du traité de l'OMPI du 20 décembre 1996 sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ;
ALORS, d'autre part, que les directives du Parlement européen et du Conseil n° 2001/29 du 22 mai 2001 et n°2006/115 du 12 décembre 2006 prévoient que les artistes-interprètes sont titulaires d'une part d'un droit de distribution, défini comme un droit exclusif de mise à la disposition du public de l'original et des copies des fixations de leurs exécutions par la vente ou autrement, et d'autre part du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la mise à la disposition du public des fixations de leurs exécutions, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement ; que le traité de l'OMPI du 20 décembre 1996 octroie également aux artistes-interprètes deux droits distincts de distribution et de mise à disposition du public de leurs prestations fixées sur phonogramme ; qu'il en résulte que l'autorisation donnée par des artistes-interprètes à l'utilisation de leur prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce, qui relève de l'exercice de leur droit de distribution, ne vaut pas autorisation de commercialiser le phonogramme par voie de téléchargement à la demande, qui relève de l'exercice de leur droit de mise à disposition des prestations au public ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3.2 de la directive n°2001/29 du 22 mai 2001, 9.1 de la directive n°2006/115 du 12 décembre 2006, 8 et 10 du traité de l'OMPI du 20 décembre 1996 sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes ;
ALORS, subsidiairement, qu'il y a lieu de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante : « Résulte-t-il des articles 3.2 de la directive n° 2001/29 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 et 9.1 de la directive n°2006/115 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, imposant aux Etats membres de prévoir pour les artistes-interprètes des droits exclusifs distincts de distribution et de mise à la disposition du public de leurs interprétations, que l'artiste-interprète qui a autorisé l'utilisation de sa prestation sous forme de phonogramme publié à des fins de commerce peut interdire la commercialisation de ce phonogramme par voie de téléchargement à la demande ? » ;
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Spedidam à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 30.000 € à la société iTunes, 3.000 € au Snep et 8.000 € à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France et d'avoir confirmé le jugement ayant condamné la Spedidam à payer au Snep et aux sociétés iTunes, Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France la somme de 5.000 € pour chacun ;
ALORS qu'en condamnant la Spedidam au paiement de sommes très importantes au titre des frais irrépétibles - à savoir 95.000 € pour cette seule procédure -, sans tenir compte des cinq autres procédures similaires intentées à l'encontre de plateformes de téléchargement, mettant en cause, à une exception près dans chaque procédure, les mêmes parties défendues par les mêmes avocats produisant des conclusions similaires reprenant la même argumentation - la totalité des condamnations prononcées au titre des frais irrépétibles pour ces six procédures s'élevant à la somme de 566.000 € -, sans motiver sa décision prononcée à l'encontre d'une société de gestion collective qui a vocation à engager régulièrement des procédures dans l'intérêt des artistes-interprètes qu'elle a pour objet de défendre, la cour d'appel n'a pas respecté l'obligation de motivation des décisions de justice, a créé un doute sur son impartialité et a privé la Spedidam de son droit d'accès au juge, violant ainsi l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Spedidam aux dépens et à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 3.000 € au Snep et 8.000 € à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France et d'avoir confirmé le jugement ayant condamné la Spedidam à payer au Snep et aux sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France la somme de 5.000 € pour chacun ;
ALORS que l'intervenant qui prend part au procès à titre accessoire doit supporter les frais et dépens de son intervention, lesquels ne peuvent être mis à la charge de la partie qui succombe ; qu'en l'espèce, le Snep et les sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France, Warner Music France et Universal Music France étaient intervenus à l'instance à titre accessoire, pour soutenir la thèse de la société i Tunes, seule attraite en justice par la Spedidam ; qu'en mettant cependant à la charge de la Spedidam les frais de ces interventions, la cour d'appel a violé les articles 330, 696 et 700 du code de procédure civile ;
SIXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Spedidam à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, 8.000 € à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France et d'avoir confirmé le jugement ayant condamné la Spedidam à payer à chacune de ces sociétés la somme de 5.000 € ;
ALORS que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que les sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France demandaient à la cour d'appel de confirmer le jugement en ce qu'il avait condamné la Spedidam à leur verser à chacune la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de leur accorder une indemnité complémentaire de 3.000 ¿, l'indemnité totale demandée au titre des procédures de première instance et d'appel s'élevant ainsi à la somme de 8.000 € (conclusions des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France, p. 101 n°116 et p. 104) ; qu'en condamnant cependant la Spedidam à payer à chacune des sociétés Emi Music France, Sony Music Entertainment France et Warner Music France la somme de 8.000 ¿ au titre de la procédure d'appel, en sus de la somme de 5.000 € déjà octroyée à chacune de ces sociétés en première instance, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.