Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Alain X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 2011, qui, pour blessures involontaires, l'a condamné à 5 000 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 11 juin 2013 où étaient présents : Mme Guirimand conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Divialle conseiller rapporteur, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Buisson conseillers de la chambre, MM. Maziau, Barbier, Talabardon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Salvat ;
Greffier de chambre : Mme Téplier ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire DIVIALLE, les observations de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALVAT ;
Vu les mémoires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement et des pièces de procédure que, le 30 décembre 2005 à Saint-Malo, deux navires de l'armement Alain X..., le " Sébastien IV ", dont M. Y...était le capitaine, et le " Sébastien V ", dont M. X...était le capitaine, se trouvaient à quai, côte à côte, chaque équipage procédant au nettoyage de son navire ; que M. Z..., matelot sur le " Sébastien IV ", a été blessé par l'explosion du pulvérisateur dont il se servait pour procéder aux travaux de nettoyage ; qu'il est apparu que ce pulvérisateur, contenant un liquide acide, avait été emprunté, pendant une courte absence de M. Z..., par le second du navire " Sébastien V ", qui, pour procécer à des travaux de même nature sur les ordres de son capitaine, M. X..., avait rempli l'appareil d'un produit basique ; que M. X...a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires ; que les premiers juges ont renvoyé le prévenu des fins de la poursuite ; que le ministère public et M. Z... ont interjeté appel ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal, L. 4741-1 du code du travail, 6, 8, 427, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X...coupable de blessures involontaires ayant causé une incapacité de plus de trois mois dans le cadre du travail et, en répression, l'a condamné à une amende de 5 000 euros assortie du sursis ;
" alors qu'en toutes matières, il appartient au ministère public d'établir que l'action publique n'est pas atteinte par la prescription de l'action publique, laquelle constitue une exception d'ordre public qui doit être relevée d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que les faits visés à la prévention se sont produits le 30 décembre 2005, que M. Z... a déposé une plainte le 22 janvier 2009 et que M. X...a été convoqué devant le tribunal correctionnel de Saint-Malo le 29 juin 2009 ; qu'ainsi, en déclarant M. X...coupable des faits visés à la prévention qui, s'agissant d'un délit, sont soumis à la prescription de trois ans prévue à l'article 8 du code de procédure pénale, quoique plus de trois années se soient écoulées entre le jour où les blessures ont été occasionnées à M. Z... et le jour où celui-ci a déposé plainte, et sans constater l'accomplissement d'un acte interruptif de prescription entre ces deux dates, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale " ;
Attendu qu'il ne résulte d'aucune énonciation du jugement attaqué ni d'aucunes conclusions que le demandeur ait excipé de la prescription de l'action publique devant la cour d'appel ;
Attendu que, si l'exception de prescription est d'ordre public, et peut, à ce titre, être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c'est à la condition que se trouvent, dans les constatations du juge du fond, les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ; que ces constatations, qu'il appartenait au demandeur de provoquer, font défaut en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 222-19 du code pénal, L. 4741-1 du code du travail, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X...coupable de blessures involontaires ayant causé une incapacité de plus de trois mois dans le cadre du travail et, en répression, l'a condamné à une amende de 5 000 euros assortie du sursis ;
" aux motifs qu'il est établi, notamment par les indications données par les notices des produits que le fait générateur du dommage subi par M. Z... est l'introduction dans le pulvérisateur qui contenait du Desoxynet un autre produit incompatible, à savoir de l'eau de javel ; que le mélange de ces deux produits a été réalisé par un marin embarqué sur le Sébastien V dont M. X...était à la fois le capitaine et l'armateur ; qu'il lui appartenait en cette double qualité de remplir ses obligations de sécurité pour tous les marins qui se trouvaient sous ses ordres ; que si M. X...a affirmé, lors de son audition le 4 février 2009, qu'il donnait des consignes orales à ses salariés sur l'utilisation des pulvérisateurs, les salariés ne confirment pas cet élément ; qu'au surplus, il est établi et non contesté qu'il n'avait établi aucun document écrit et notamment pas le document unique relatif à l'évaluation des risques et à la sécurité des travailleurs, rendu obligatoire par le décret du 5 novembre 2011 soit plus de deux ans avant l'accident ; que, par ailleurs, les fiches d'utilisation des produits litigieux portent les mentions suivantes, écrites en caractère larges et détachés du reste du texte " La javel ne doit jamais être mélangé avec un autre produit " et, s'agissant du Désoxynet NF " ATTENTION " ne jamais mélanger avec de l'eau de javel ou tout autre produit Chloré " ; que, dès lors que M. X...qui avait connaissance des caractéristiques des produits et n'a pris aucune mesure pour satisfaire aux obligations réglementaires qui lui incombaient afin d'assurer la sécurité des salariés qui utilisaient ces deux produits pour des opérations périodiques de nettoyage, a exposé ceux-ci à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; que c'est, dès lors, à tort que les premiers juges sont entrés en voie de relaxe, leur décision étant en conséquence réformée sur l'action publique ; que M. X...n'a aucune condamnation à son casier judiciaire ; que les investigations menées par la gendarmerie ont établi que, postérieurement à l'accident, il avait pris des mesures de prévention ; qu'au regard de la nature des faits et de la personnalité de leur auteur, une peine de 5 000 euros assortie du sursis répond aux exigences de l'article 132-24 du code pénal ; que l'accident dont a été victime M. Z... s'est produit à l'occasion de son travail, que l'indemnisation ressort des dispositions d'ordre publique du Livre IV du code de la sécurité sociale ; que la partie civile doit être reçue en sa constitution au soutien de l'action civile mais déboutée de ses demandes en réparation, qu'il convient en revanche de lui allouer 1 500 euros au titre de ses frais tant en première instance qu'en appel ;
" 1) alors que l'employeur commet une faute personnelle en ne veillant pas lui-même à la stricte et constante exécution des dispositions édictées par le code du travail précité et les règlements pris pour son application en vue d'assurer la sécurité des travailleurs, à moins que ne soit apportée la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement au respect des dispositions en vigueur ; que le capitaine du navire, en tant que représentant de l'armateur à bord, est investi d'une délégation générale en matière de sécurité lui donnant pouvoir en matière de sécurité et d'hygiène, notamment à l'occasion du nettoyage hebdomadaire de son navire par son équipage ; qu'en l'espèce, M. X...soutenait avoir en sa qualité d'armateur délégué ses pouvoirs à M. Y..., capitaine du navire Sébastien IV, sous la responsabilité duquel s'étaient tenues les opérations de nettoyage survenues sur le Sébastien IV au cours desquelles l'accident était survenu à bord du Sébastien IV et dont la victime était un marin dudit navire ; qu'en retenant, néanmoins, la responsabilité de M. X...en sa qualité d'armateur, sans rechercher s'il n'avait pas délégué ses pouvoirs au capitaine du navire Sébastien IV, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles suscités ;
" 2) alors que le délit de blessures involontaires suppose que soit constatée l'existence certaine d'un lien de causalité entre la faute du prévenu et les blessures de la victime ; qu'en l'espèce, M. X...soutenait que la faute première à l'origine de l'accident avait été commise par un salarié du navire Sébastien IV, M. A..., qui avait consisté à laisser le pulvérisateur rempli d'acide Desoxynet après utilisation, sans l'avoir préalablement rincé ; qu'en effet, si M. A...avait rincé le pulvérisateur après usage, nul mélange non plus qu'aucune explosion n'auraient eu lieu ; qu'en affirmant péremptoirement qu'il était « établi, notamment, par les indications données par les notices des produits que le fait générateur du dommage est l'introduction dans le pulvérisateur qui contenait du Desoxynet un autre produit incompatible », sans rechercher ¿ ainsi qu'elle y était pourtant spécialement invitée ¿ si le fait générateur n'était pas l'absence de rinçage par M. A...du pulvérisateur après utilisation, faute sans laquelle le mélange et l'accident ne seraient pas survenus, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision au regard de l'article 222-19 du code pénal ;
" 3) alors que M. X...invoquait spécialement les déclarations de M. A...lequel avait reconnu que l'ordre de rincer le pulvérisateur avant et après tout usage avait été donné lors de la formation initiale donnée par M. X...lui-même (pièce 9/ 1 du dossier pénal)) ; qu'il produisait également les attestations de marins attestant avoir reçu une formation de M. X...(cf. attestations (pièces 3, 4, 5) ; qu'en affirmant néanmoins « qu'aucun salarié n'avait confirmé l'affirmation de M. X...selon laquelle il donnait des consignes orales à ses salariés sur l'utilisation des pulvérisateurs », sans examiner la pièce 9/ 1 spécialement invoquée ni les attestations qui témoignaient du contraire, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision " ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris qui avait relaxé M. X...des fins de la poursuite aux motifs que le capitaine était investi d'une délégation générale en matière d'hygiène et de sécurité du travail, même à terre, et déclarer le prévenu coupable de blessures involontaires, l'arrêt relève que M. X...qui avait connaissance du danger encouru n'a pris aucune disposition pour satisfaire aux obligations qui lui incombaient afin d'assurer la sécurité des salariés utilisant les deux produits litigieux, les exposant à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ;
Que les juges ajoutent que le mélange litigieux avait été effectué sur le navire Sébastien V dont Alain X...était à la fois le capitaine et l'armateur, et qu'il lui appartenait, sous cette double qualité, de remplir ses obligations de sécurité pour tous les marins se trouvant sous ses ordres ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, et dès lors que la délégation générale en matière d'hygiène et de sécurité du capitaine d'un navire ne décharge pas l'armateur de la responsabilité pénale qu'il encourt personnellement pour des actes et abstentions fautifs lui étant imputables et entretenant un lien certain de causalité avec le dommage, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq juin deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;