LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° F 12-16.199 et Y 12-20.539 ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° F 12-16.199 :
Vu l'article 613 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court, à l'égard des décisions par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;
Attendu que le GFA Boitelle Charlet s'est pourvu en cassation, le 26 mars 2012, contre l'arrêt attaqué (Douai, 29 novembre 2011), rendu par défaut et susceptible d'opposition ; qu'il n'est pas justifié de l'expiration du délai d'opposition à la date de ce pourvoi ;
D'où il suit que le pourvoi est irrecevable ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° Y 12-20.539 :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 novembre 2011), que Mme Z... s'est engagée à vendre au GFA Boitelle Charlet (le GFA) plusieurs parcelles de terre ; que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Flandres-Artois (la SAFER) ayant exercé son droit de préemption, la vente a été conclue à son profit suivant acte du 8 juillet 2008 ; que le GFA a agi en annulation de la décision de préemption et de la vente consécutive ;
Vu le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III, ensemble les articles L. 143-7 et R. 143-1 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu que pour rejeter la demande tendant à poser au juge administratif une question préjudicielle sur la légalité du décret du 29 mars 2004 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Flandres-Artois à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire, l'arrêt retient que ce décret est par nature un acte administratif individuel dont l'illégalité ne peut plus être soulevée par voie d'exception ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'un tel décret est une décision de nature réglementaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi n° Y 12-20.539 :
Déclare irrecevable le pourvoi n° F 12-16.199 ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la SAFER Flandres-Artois aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAFER Flandres-Artois à payer au GFA Boitelle Charlet la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la SAFER Flandres-Artois ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits sur le pourvoi n° Y 12-20.539 par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat aux Conseils pour le groupement foncier agricole Boitelle Charlet
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, débouté le GFA BOITELLE-CHARLET de ses demandes en annulation de la décision de préemption de la SAFER à la suite de la vente qui lui avait été initialement consentie par Madame Z..., et en annulation de l'acte de vente intervenu entre cette dernière et la SAFER, portant sur les parcelles sises à FICHEUX, cadastrées ZB 19, ZC 48, ZC 95, ZH 64 et ZA 61 et sise à WAILLY cadastrée ZD 125 ;
AUX MOTIFS, propres, QUE le décret habilitant la SAFER à exercer son droit de préemption est par nature un acte administratif individuel qui ne pouvait être attaqué que pour illégalité dans le délai de deux mois du recours pour excès de pouvoir et dont la nullité ne pouvait être soulevée perpétuellement par voie d'exception ; qu'il n'a pas fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que dès lors, l'irrégularité de ce décret, tirée de l'absence de motivation de l'avis de la chambre d'agriculture qui relève de l'appréciation exclusive du juge administratif, ne peut plus être invoquée à titre de question préjudicielle devant le juge judiciaire, étant précisé que le droit de préemption ne constitue pas une atteinte portée au droit de propriété ;
Et AUX MOTIFS, adoptés des premiers juges, QUE le décret autorisant la SAFER à exercer son droit de préemption ne pouvait être attaqué que dans le délai de deux mois ; qu'il n'apparaît pas que le décret habilitant la SAFER à préempter et la décision de préempter formeraient ensemble un acte complexe permettant la remise en cause de la légalité du décret à l'occasion de la contestation de la décision de préemption ; qu'il n'y a lieu à aucune exception préjudicielle concernant la légalité du décret de préemption, la juridiction civile étant dépourvue du pouvoir de décider elle-même de la légalité ou de l'illégalité d'un acte administratif ;
ALORS, D'UNE PART, QUE les tribunaux de l'Ordre judiciaire chargé d'appliquer un texte réglementaire sont compétents pour en fixer le sens, s'ils se présente une difficulté d'interprétation au cours d'un litige dont ils sont compétemment saisis ; que dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, et en refusant, pour écarter les demandes du GFA BOITELLE, de se prononcer sur la portée du décret du 29 mars 2004 autorisant la SAFER FLANDRE ARTOIS à exercer son droit de présemption, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 143-1, L. 143-2 et L. 143-7 du code rural et de la pêche maritime, de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en toute hypothèse, lorsqu'il est saisi d'une question préjudicielle touchant la légalité d'un acte administratif, le juge judiciaire doit surseoir à statuer lorsque cette exception présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au règlement du litige ; que, dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs et violé l'article 378 du Code de procédure civile, ainsi que la loi des 16-24 août 1780 et le décret du 16 fructidor An III ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, débouté le GFA BOITELLE-CHARLET de ses demandes en annulation de la décision de préemption de la SAFER à la suite de la vente qui lui avait été initialement consentie par Madame Z..., et en annulation de l'acte de vente intervenu entre cette dernière et la SAFER, portant sur les parcelles sises à FICHEUX cadastrées ZB 19, ZC 47, ZC 48, ZC 95 ZH 64, et ZA 61 ainsi que sur la parcelle sise à WAILLY ZD 125 ;
AUX MOTIFS QUE les parcelles étant proposées libres à la vente et la condition suspensive d'octroi d'un bail rural à un tiers étant inopposable à la SAFER, cette dernière n'avait pas à saisir le Tribunal d'une contestation préalablement à l'exercice du droit de préemption qui ne pouvait porter que sur les conditions financières de la vente et non sur la promesse d'un bail, la SAFER disposant après la vente de la possibilité d'un recours en nullité ou inopposable du bail consentie ;
ET ENCORE AUX MOTIFS ADOPTES des premiers juges QU'il ne peut être reproché à la SAFER de ne pas avoir saisi le tribunal en contestation de la condition suspensive dès lors que l'action prévue à l'article L. 143-10 du Code Rural ne concerne que les conditions financières de la vente. La SAFER n'avait donc comme recours que d'agir ultérieurement à l'exercice de son droit de préemption en nullité ou en inopposabilité du bail consenti ; que par ailleurs, l'analyse de l'acte du 23.02.2008 fait ressortir que la condition de l'octroi d'un bail à Monsieur A... sur la parcelle ZH 64 par le GFA BOTELLE, qualifiée de condition suspensive, a manifestement été consentie dans l'intérêt du seul vendeur, celui-ci souhaitant vendre tout en voulant voir une personne particulière installée sur une de ses terres en qualité de preneur ; que le GFA BOITELLE ne conteste pas le fait que la condition suspensive a été incluse dans le seul intérêt de Madame Paule Z... puisqu'il indique dans ses écritures que la condition suspensive a été imposée par le bailleur ; que du reste, ce n'est que vis-à-vis de madame Z... que l'événement concerné par la condition, à savoir la conclusion d'un bail entre le GFA BOTELLE et Monsieur A... correspond à la définition de la condition, à savoir la survenance d'un événement ne dépendant pas de la volonté des parties ; que, outre le fait que la prévision du bail dans les conditions suspensives pouvait encourir le grief d'être un moyen d'échapper au contrôle de la SAFER, madame Z..., dès lors que la condition était prévue dans son intérêt avait tout à fait la possibilité de lever la condition suspensive en renonçant à son bénéfice, ce qu'elle a fait en indiquant dans un courrier en date du 16 06.2008 qu'elle donnait son accord pour « la modification des termes de la vente suivant les souhaits de la SAFER à savoir l'inexistence d'un bail à réaliser au profit de Monsieur A... » puis en régularisant l'acte authentique de vente ; que le GFA BOITELLE ne peut donc, au travers de cette renonciation, se faire un titre pour venir contester la préemption et la vente subséquente ;
ALORS QUE la notification de vente adressée à la SAFER vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus ; que la vente est parfaite dès lors que la SAFER a accepté purement et simplement cette offre ; que toutefois, si la SAFER estime que le prix et les conditions de la vente sont exagérés, elle adresse au notaire chargé d'instrumenter sa décision de préemption assortie de l'offre d'achat établie à ses propres conditions ; que l'offre ferme d'achat de la SAFER doit être parvenue au notaire dans le délai de deux mois à compter de la réception par la société de la notification prévue à l'article R. 143-4 ; qu'en l'espèce la SAFER ayant exercé son droit de préemption le 18 avril 2008 sur les conditions qui lui avaient été notifiées, parmi lesquelles figurait celle de la signature d'un bail au profit de M. A... sur l'une des parcelles mises en vente, ne pouvait plus revenir sur cette condition, sans entacher sa décision d'irrégularité ; que dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, pour débouter le GFA de ses demandes, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 143-10, L. 412-8 et R. 143-12 du code rural et de la pêche maritime, et 1589 du Code civil.