LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. François X..., partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'ORLÉANS, en date du 9 mars 2012, qui, dans l'information suivie contre M. Y...du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 février 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Mirguet conseiller rapporteur, M. Arnould conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de Mme le conseiller MIRGUET, les observations de Me SPINOSI, de la société civile professionnelle COUTARD et MUNIER-APAIRE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BERKANI ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 122-5, 222-7 du code pénal, L. 2338-3 du code de la défense, 12 du code de procédure civile, 177 alinéa 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de non-lieu à suivre contre le gendarme M. Y...du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article 122-5 du code pénal, le gendarme Y...n'est pas pénalement responsable s'il fait face à une atteinte injustifiée envers lui ou autrui et s'il accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense de lui-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ; L'article L. 2338-3 du code de la défense dispose en outre que : « Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force aimée que dans les cas suivants : 1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ; 2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ; 3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ; 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt (...) ». qu'il résulte des éléments de la procédure d'information qu'à 21 h 02, un plan « filet bleu » était déclenché sur le département 41, obligeant toutes les patrouilles à rechercher, contrôler puis interpeller, dans certaines conditions qui étaient rappelées par le commandement opérationnel, les occupants d'un véhicule Renault Chamade blanche en fuite, après la tentative d'interpellation de son occupant effectué par le gendarme A...et la tentative concomitante d'homicide volontaire sur le gendarme A...quand le véhicule l'avait heurté pour s'échapper, puis, alors qu'il s'accrochait sur le capot du véhicule, l'avait traîné sur plusieurs centaines de mètres à grande vitesse, en tentant par des mouvements brusques du volant de le faire tomber du véhicule. Le centre opérationnel de renseignement de la gendarmerie (CORG) du Loir et Cher a auparavant su, ainsi qu'il ressort des retranscriptions des bandes saisies, que le gendarme A...était blessé après avoir été éjecté du véhicule, les sapeurs pompiers étant sur place depuis 20 h 27. A 20 h 46, le CORG fait part des circonstances de commission de ces faits, soulignant que le conducteur du véhicule avait constaté et entendu la qualité du gendarme A...et que le conducteur avait alors fait " gonfler " tout à coup le moteur du véhicule pour foncer sur le gendarme A...et le percuter ; que, lors de cette même transmission, le conducteur du véhicule, impliqué dans le vol commis au préjudice de M. B...était identifié comme pouvant être M. C...; qu'à 21h35, le CORG 41 informait en conséquence les patrouilles engagées que la " personne recherchée serait M. C..., défavorablement connu de la brigade d'Onzain, individu dangereux, précautions d'usage à prendre " ; qu'à 21h59, la patrouille de Montrichard, composée des gendarmes D...et E..., croisait le véhicule recherché, et se lançait à sa poursuite ; qu'il était demandé à la patrouille de ne pas l'intercepter seule ; que la patrouille de Saint-Aignan, composée des gendarmes Y...et F..., et la patrouille de Romorantin, composée des gendarmes G...et H..., étaient immédiatement alertées, et se rendaient en urgence à Thesee, conformément aux ordres du CORG, afin d'intercepter et d'immobiliser le véhicule en fuite ; que la patrouille de Monrichard informait le centre opérationnel que la Renault Chamade blanche était occupée par deux individus ; que les gendarmes indiquaient que la poursuite s'effectuait à environ 100 km/ h, gyrophare en action, à l'entrée du bourg de Thesee ; qu'à 22h03, le CORG avertissait alors la patrouille de Saint-Aignan : « Ils sont en direction de Thesee (.) ils arrivent sur toi normalement (.) la patrouille est 4100 mètres derrière eux (..) Et attention parce qu'ils roulent à vive allure. Ils roulent à 100 km/ h (...) » ; que les gendarmes Y...et F...positionnaient rapidement leur véhicule sérigraphié sur une moitié de la chaussée, gyrophare et rampe lumineuse en action, et se plaçaient sur l'autre moitié de la chaussée tandis que leurs collègues du PSIG prenaient place tout aussi rapidement en protection derrière eux sur le coté gauche du trottoir de la chaussée face au véhicule qui arrivait ; que les gendarmes, en uniforme, porteurs de leur gilet phosphorescent, comme il a été confirmé par l'expertise des résidus de tirs des 4 et 27 janvier 2011, parfaitement identifiables par le sigle " Gendarmerie " inscrit sur leur chasuble, se postaient ainsi physiquement sur l'autre partie de la voie et du trottoir afin d'occuper l'autre moitié de la chaussée correspondant au sens de circulation du véhicule pourchassé ; que les quatre militaires de la gendarmerie étant en position au moment de l'arrivée du véhicule, le gendarme F...prenait en joue avec son fusil à pompes le conducteur du véhicule pour lui intimer l'ordre de stopper, tandis que ses collègues sortaient leurs armes de service de leurs étuis pour le protéger et mener à son terme la mission d'interception d'individus qu'ils savaient responsables de plusieurs infractions dont l'une concernait l'atteinte commis précédemment à l'intégrité d'un gendarme dans l'exercice de ses fonctions ; que la sortie préalable des armes et le maniement du fusil à pompes apparaissent ainsi conformes à la mission d'interception du véhicule poursuivi par la patrouille de Montrichard et proportionnés au risque encouru par les gendarmes présents sur la chaussée à l'instant où se présente le véhicule ; que la description donnée par les gendarmes F...et Y...de l'enchaînement brutal des événements correspond aux opérations de reconstitution et d'expertises menées par la mesure d'instruction ; elle est conforme à toutes leurs auditions et interrogatoires ; elle est aussi conforme à la transcription du compte rendu donné en temps réel par la patrouile de Montrichard au CORG ; que les gendarmes ont ainsi indiqué de façon constante, dès leurs premières auditions, que le véhicule avait réduit sa vitesse, semblant vouloir s'arrêter, et qu'il roulait à moins de 20 km/ h au moment où le gendarme F...abaissait son fusil à pompes ; qu'alors que celui-ci se rapprochait du coté du conducteur pour procéder au contrôle, tous les éléments recueillis au cours de la mesure de reconstitution font ressortir que le conducteur du véhicule décidait de forcer le barrage en accélérant brutalement la vitesse du véhicule, qui se trouvait alors à une vitesse au moins égale, selon l'expert automobile, à 10, 6 km/ h au moment de l'impact de la crosse du fusil sur le pare-brise du véhicule puisque cet impact, de forte intensité, ne pouvait s'expliquer que par l'importance de l'accélération du véhicule, à un moment où le gendarme F..., qui se dirigeait vers le conducteur, se trouvait dans l'obligation pour l'éviter de faire un pas de coté en heurtant de la crosse de son arme le pare-brise du véhicule ; qu'il convient de rappeler l'observation de l'expert automobile indiquant que si la vitesse du véhicule avait été inférieure à 10, 6 km/ h au moment de l'accélération, " l'impact n'aurait pas altéré le pare-brise de manière aussi étoilée " ; que les expertises font ressortir qu'au moment où la crosse du fusil à pompe touchait le pare-brise, un coup de feu partait du fusil à pompes, audible par la patrouille de Montrichard ; qu'au même moment le véhicule pour forcer le barrage modifiait sa trajectoire de 5 degré vers le trottoir, où se trouvaient les militaires du PSIG ; que le gendarme Y..., posté légèrement en retrait de son camarade F...avec son arme de service à la main pour le protéger, se trouvait alors à cet instant directement en face du véhicule qui, non seulement poursuivait sa course, mais accélérait et obliquait vers lui ; que c'est dans ces conditions, alors qu'étaient forcément entendus l'impact de la crosse du fusil à pompes sur le pare-brise et la détonation concomitante, que le gendarme Y...a, en un laps de temps très court au vu de la distance parcourue par le véhicule, tiré une première fois dans le capot du véhicule puis, moins d'une seconde plus tard, une seconde fois au moment où, réussissant à se trouver sur le trottoir, la voiture passait à sa hauteur alors que dans le même mouvement nécessaire pour s'écarter de sa trajectoire et ne pas être heurté par le véhicule, il se retrouvait jambes fléchis et en position instable sur le trottoir ; qu'au vu de la mesure de reconstitution, il est établi que si le gendarme Y...était resté sans réaction et ne s'était pas jeté sur le côté gauche de la chaussée afin de rejoindre finalement le trottoir, il aurait été heurté par le véhicule conduit par M. C..., celui-ci étant, ainsi que cela a été précédemment souligné, déterminé à franchir le barrage ; que le gendarme Y..., qui avait pu entendre le choc et la détonation du fusil à pompes et qui voyait le véhicule opérer un changement de direction vers lui et vers le trottoir, était dès lors en état de légitime défense, son intégrité physique étant directement et immédiatement menacée comme pouvait l'être celle de ses collègues se trouvant sur le trottoir aussitôt derrière lui ; qu'il est en effet constant que l'appréciation de la légitime défense doit se faire au regard de la réalité du danger et de sa perception, de telle sorte que le gendarme Y...pouvait raisonnablement croire, au moment des deux actions de tirs, que son intégrité physique était en danger et que seule la décision de tirer volontairement sur le véhicule en mouvement pour arrêter ou contrer sa progression était susceptible de le protéger ; que cette action de légitime défense est confortée par l'expert en balistique qui conclut au fait que lors du premier tir, le gendarme Y...se trouvait sur la droite de l'avant du véhicule, dans une zone comprise entre un et deux mètres environ, la zone de tir apparaissant à l'expert compatible avec un mouvement d'esquive de sa part, alors qu'il cherchait à éviter la trajectoire du véhicule en montant sur le trottoir et que les deux tirs étaient effectués en moins d'une seconde, l'impact du second tir à hauteur de la portière du passager avant démontrant aussi l'accélération et la vitesse du véhicule au moment du tir de riposte du gendarme Y...; que l'information a en effet établi que le second tir était intervenu immédiatement après le premier conformément aux règles d'usage des armes enseignées dans les écoles de gendarmerie lors d'un tir dit de riposte et qu'il était ainsi, au regard des circonstances de temps et de lieu, exclusif d'une volonté d'atteindre le ou les passagers du véhicule, l'action du second tir étant décidée au moment du premier tir et avant que le véhicule ne passe à hauteur du gendarme Y...; que, sentant son intégrité physique directement menacé alors que le véhicule forçait le barrage, le gendarme Y...a effectué les deux tirs en les limitant à la nécessité de sa défense et à celle de ses collègues alors que son arme contenait plusieurs autres cartouches ; que son acte qui visait principalement sa défense et l'immobilisation du véhicule, n'apparaît ainsi nullement disproportionné face au péril imminent auquel il a, dû faire face ; que, dans le contexte de sa mission et des instructions reçues, l'usage de l'arme et les tirs effectués par le gendarme Y...étaient au surplus autorisés au regard des dispositions de l'article L. 2338-3 du code de la défense alors que les militaires de la Gendarmerie étaient engagés dans une action d'interpellation d'une personne poursuivie pour des faits criminels et que plusieurs infractions graves venaient d'être commises, les tirs du gendarme Y...ne visant en fait que le véhicule automobile et étant également limités aux nécessités de la procédure et proportionnés à la gravité du refus d'obtempérer ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer la décision de non-lieu prise à l'égard du gendarme Y...par les premiers juges ;
" 1°) alors que, lorsque l'ordonnance de non-lieu est motivée par l'existence du fait justificatif de légitime défense, elle doit préalablement établir les faits constitutifs de l'infraction et l'existence contre la personne mise en examen de charges suffisantes pour l'avoir commise ; que la chambre de l'instruction s'est attachée à justifier l'infraction au regard de la nécessité pour M. Y...de se défendre face au danger qu'il encourait sans avoir mis la Cour de cassation en mesure de contrôler la réalité de l'infraction qu'elle entendait justifier.
" 2°) alors que, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits ; que la chambre de l'instruction constate expressément d'une part que le second tir du gendarme Y...était « exclusif d'une volonté d'atteindre le ou les passagers du véhicule », d'autre part que les deux tirs ne visaient « en fait que levéhicule automobile » ; qu'il doit en outre être déduit de ses termes selon lesquels « l'action du second tir était décidé au moment dupremier tir » que le coup mortel a été porté sans maîtrise ; que laqualification criminelle de violences ayant entraîné la mort sansintention de la donner suppose nécessairement l'intention de l'auteur de porter atteinte à l'intégrité physique d'autrui ; qu'en maintenant cette qualification erronée lorsqu'il résultait de ses propres constatations que M. Y...n'avait non seulement pas eu la volonté d'atteindre M. C...dans son intégrité physique, mais avait tiré le coup fatal par automatisme au regard des règles de tir qui lui avaient été enseignées, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
" 3°) alors qu'en tout état de cause, la légitime défense ne peut être retenue que si la riposte est strictement nécessaire ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans contradiction manifeste, affirmer que les tirs ayant entraîné le décès de M. C...étaient nécessaires aux fins d'esquiver le véhicule, et constater dans le même temps qu'il est établi que « s'il ne s'était pas jeté sur le côté gauche de la chaussée afin de rejoindre finalement le trottoir, il aurait été heurté par le véhicule » ; que ces termes révèlent que c'est la déportation du gendarme sur le côté qui lui a permis d'éviter le véhicule et non les tirs portés en direction de celui-ci ;
" 4°) alors que subsidiairement, à supposer que le premier tir porté par M. Y...soit considéré comme justifié au regard de sa perception du danger et de la nécessité d'y échapper, il est établi que le second tir est intervenu alors que le gendarme avait rejoint le trottoir, « à hauteur de la portière du passager », l'autopsie du corps de la victime menée en présence d'un expert balistique révélant qu'il est provenu de l'arrière vers l'avant (cote D83) ; que M. Y...allait même jusqu'à déclarer, lors d'une de ses premières auditions, « le véhicule passe devant moi, je tire », que ces énonciations contredisent manifestement son caractère nécessaire ; qu'à cet égard doit être considéré comme totalement inopérant l'argument tenant à la prétendue conformité de ce second tir avec les règles d'usage des armes enseignées dans les écoles de gendarmerie.
" 5°) alors qu'enfin, la chambre de l'instruction entend subsidiairement recourir à l'article L. 2338-3 du code de la défense qui encadre le déploiement par les gendarmes de la force armée ; qu'il ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle que l'usage de la force armée, même s'il intervient dans un des cas limitativement énumérés par cet article, doit être absolument nécessaire ; qu'il en résulte que le premier tir du gendarme, et a fortiori le second, sortaient du cadre de cette disposition " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et de l'ordonnance qu'elle confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que, pour confirmer la décision de non-lieu entreprise, la chambre de l'instruction, après avoir analysé et qualifié l'ensemble des faits reprochés à M. Y..., a exposé, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, qu'il y avait lieu de constater que le mis en examen devait bénéficier de la cause d'irresponsabilité pénale, prévue à l'article 122-4, alinéa 1, du code pénal, résultant de l'application de l'article L. 2338-3 du code de la défense, dès lors qu'il a été établi, qu'en raison des circonstances de l'espèce, l'usage de son arme de service par le gendarme était absolument nécessaire pour contraindre le conducteur du véhicule, qui avait commis des infractions graves et refusé, à plusieurs reprises, d'obtempérer aux ordres d'arrêt des gendarmes dans des circonstances dangereuses pour leur sécurité ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze mars deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;