LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 6 mars 2003, un avion appartenant à son exploitant, la société Air Algérie, dont le siège social est à Alger (Algérie), assurant la liaison entre Tamanrasset et Alger, s'est écrasé sur l'aérodrome de Tamanrasset ; que, par acte du 25 février 2005, 340 ayants cause, de nationalité française pour certains d'entre eux et algérienne pour les autres, de 34 passagers et de 2 membres d'équipage de nationalité algérienne décédés dans l'accident, ont assigné, devant le tribunal de grande instance de Paris, les sociétés SNECMA Services, dont le siège est en France, SNECMA Services Brussels (entreprise de maintenance) et Air Algérie aux fins d'être indemnisés du préjudice subi du fait de la perte de leurs proches ; qu'à la suite de plusieurs protocoles transactionnels, 302 demandeurs, ayants cause des passagers, se sont désistés de l'instance et de leur action à l'encontre de tous les défendeurs, de même que les demandeurs restant à l'encontre des sociétés SNECMA Services et SNECMA Services Brussels ; que les ayants cause des deux membres d'équipage ont maintenu leurs demandes dirigées contre la société Air Algérie ;
Attendu que, pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par la société Air Algérie qui prétendait que le litige relevait de la compétence des juridictions algériennes, la cour d'appel, après avoir énoncé que la prorogation de compétence prévue à l'article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international, suppose que les diverses demandes dirigées contre des défendeurs différents soient dans un lien étroit de connexité, et constaté qu'au jour de l'introduction de l'instance, certains des demandeurs étaient de nationalité française, retient que le lien de connexité entre toutes les victimes du même accident d'avion envers les mêmes supposés ou allégués responsables est patent ;
Qu'en se fondant ainsi sur la connexité existant entre les prétentions des différents demandeurs originaires, dont certains étaient de nationalité française, pour étendre, sur le fondement du seul texte susvisé, la compétence des juridictions françaises aux seuls demandeurs de nationalité étrangère restant en cause et les admettre à agir devant celles-ci, à l'encontre d'un défendeur de nationalité étrangère résidant à l'étranger, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne les consorts X..., A..., B..., C...et D... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Air Algérie.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Air Algérie ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le litige ne relève pas d'un règlement communautaire, et concerne l'extension des dispositions de l'article 42 al. 2 du code de procédure civile dans le domaine international, non communautaire ; que la prorogation de compétence prévue à l'article 42 al. 2 du code de procédure civile applicable dans l'ordre international suppose que les diverses demandes dirigées contre des défendeurs différents soient dans un lien étroit de connexité ; que la compétence s'apprécie au jour de la demande initiale, c'est-à-dire :- pour les consorts Aissa X...au jour de l'assignation introductive d'instance soit le 21 avril 2006 ;- pour les consorts Sandra Y...épouse X...au jour de leur intervention volontaire, soit le 6 mars 2007 ; que le 21 avril 2006 et le 6 mars 2007, plusieurs autres demandeurs agissaient en qualité d'héritiers de victimes de nationalité française ; que le lien étroit de connexité existant entre toutes les victimes du même accident d'avion, envers les mêmes supposés ou allégués responsables est patent, même si les demandes reposent sur des fondements juridiques différents, et mêmes si certains demandeurs ne sont pas de nationalité française ; que l'assignation du 5 mars 2005 (§ 5) devant le Tribunal d'Alger ne démontre pas la renonciation des consorts Sandra Y...épouse X...à la compétence du tribunal de grande instance de Paris, qui n'avait pas encore été saisi, et alors que lesdits consorts s'étaient réservé le droit d'assigner Air Algérie et toute autre partie devant toute autre juridiction ; qu'il convient, dans ces conditions, de confirmer en tous points l'ordonnance entreprise ayant rejeté l'exception d'incompétence ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article 14 du code civil dispose : « l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux en France pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français » ; qu'il n'est pas discuté que 39 demandeurs de nationalité française, en leur qualité d'ayants droit de cinq passagers décédés lors de l'accident, ont attrait Air Algérie devant le tribunal de grande instance de Paris, conformément au texte précité qui permet à un français d'attraire tout défendeur étranger quelle que soit sa nationalité, devant les juridictions françaises ; que la circonstance que ces demandeurs se soient désistés de leur demande est sans incidence sur la solution du litige, dès lors que la compétence s'apprécie au moment de l'introduction de l'instance ; que contrairement à ce que soutient Air Algérie, le privilège de juridiction ainsi édicté bénéficie bien au co-demandeur étranger, sous réserve toutefois d'un lien de connexité suffisant entre les demandes ; qu'en l'espèce, les ayants droit et héritiers de 34 passagers et les familles du commandant de bord et du chef de cabine, les consorts X..., et B...ont successivement agi en responsabilité et indemnisation contre les sociétés Snecma Services, Snecma Brussels, entreprises de maintenance, et Air Algérie, transporteur aérien, puis Boeing et ITC Pratt et Whitney, en leur qualité de constructeurs de l'appareil et du moteur, en demandant leur condamnation in solidum, le cas échéant avec leurs assureurs, à réparer les préjudices matériels et moraux subis, de sorte que la jonction des instances a été ordonnée ; que l'épouse et les trois filles de M. X..., commandant de bord décédé, intervenues volontairement à la procédure le 6 mars 2007, ont pour leur part sollicité, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la condamnation des défendeurs à réparer le préjudice subi à raison de l'accident d'avion survenu le 6 mars 2003 ; qu'il est donc établi que le même fait, l'accident d'avion, est à l'origine des diverses procédures, peu important que les demandes ne puissent être rattachées à des contrats de même nature (de transport ou de travail) et ne relèvent pas du même fondement ou régime juridique, comme le soutient Air Algérie, dans le mesure où le litige porte sur la mise en oeuvre des responsabilités des divers intervenants, et sur l'indemnisation des demandeurs, à l'occasion d'un même événement ; que dès lors le tribunal de grande instance de Paris est compétent par application de l'article 14 du code civil pour connaître des demandes ;
1) ALORS QUE la nationalité française d'un demandeur ne permet pas de justifier la compétence des juridictions françaises à l'égard d'un autre demandeur, de nationalité étrangère, agissant contre un défendeur de nationalité étrangère domicilié à l'étranger ; qu'en l'espèce, pour conclure à la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes formées par des demandeurs de nationalité étrangère résidant à l'étranger contre la société Air Algérie, société de droit étranger ayant son siège en Algérie, les juges du fond se sont fondés sur la circonstance que ces demandes étaient connexes à celles initialement formées par plusieurs demandeurs de nationalité française contre le même défendeur ; qu'en se fondant ainsi sur la connexité existant entre les prétentions des différents demandeurs pour étendre le privilège de juridiction à des demandeurs de nationalité étrangère et les autoriser à assigner en France des défendeurs de nationalité étrangère résidant à l'étranger, les juges du fond ont violé l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile, ensemble l'article 14 du code civil ;
2) ALORS QUE pour être connexes, les demandes formulées par des différents requérants doivent avoir un objet identique ou un fondement commun ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que les différents demandeurs cherchaient à obtenir l'indemnisation d'un préjudice personnel qui était propre à chacun de sorte que leurs demandes avaient un objet distinct ; qu'ils ont également relevé que les demandes formées contre la société Air Algérie reposaient sur des fondements différents, certaines ayant pour fondement la responsabilité délictuelle, d'autres la responsabilité contractuelle sur le fondement du contrat de transport, d'autres encore la responsabilité contractuelle sur le fondement du contrat de travail ; qu'en affirmant néanmoins que ces demandes étaient connexes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile ;
3) ALORS, en toute hypothèse, QUE la prorogation de compétence prévue par l'article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international, ne permet pas d'attraire, devant une juridiction française, un défendeur demeurant à l'étranger lorsque la demande formée contre lui et un codéfendeur domicilié en France ne présente pas, à l'égard de ce dernier, un caractère sérieux, fût-elle connexe à une autre demande dirigée contre les mêmes défendeurs ; que dans ses conclusions, la société Air Algérie faisait valoir qu'aucune demande réelle et sérieuse n'avait été présentée contre la société Snecma Service, seul défendeur domicilié en France, cela étant si vrai que les demandeurs s'étaient ultérieurement désistés à son égard (conclusions d'appel signifiées le 15 octobre 2010, p. 13 et 14) ; qu'en retenant la compétence des juridictions françaises à l'égard de la société Air Algérie, ayant son siège à l'étranger, sans rechercher comme cela lui était demandé, si la demande formée contre le seul défendeur domicilié en France présentait un caractère réel et sérieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile ;