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31/10/2012 | FRANCE | N°10-17851

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 31 octobre 2012, 10-17851


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 8 février 2010), que M. X... a été exploitant agricole, producteur de lait, sur un ensemble de parcelles dont il était propriétaire ou preneur à bail ; qu'au moment de sa retraite, par deux actes sous seing privé du 15 janvier 2000, M. X... a cédé à François Y... et Valérie Z..., son épouse, tous deux membres du GAEC Pont du Garin, le cheptel mort et vif et un stock d'ensilage et de fourrage ; que selon deux factures du même jour, il a cédé à M. Y..., d'une

part, et à Mme Y..., d'autre part, au titre de " fumure et arrière-fumu...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 8 février 2010), que M. X... a été exploitant agricole, producteur de lait, sur un ensemble de parcelles dont il était propriétaire ou preneur à bail ; qu'au moment de sa retraite, par deux actes sous seing privé du 15 janvier 2000, M. X... a cédé à François Y... et Valérie Z..., son épouse, tous deux membres du GAEC Pont du Garin, le cheptel mort et vif et un stock d'ensilage et de fourrage ; que selon deux factures du même jour, il a cédé à M. Y..., d'une part, et à Mme Y..., d'autre part, au titre de " fumure et arrière-fumure, + quota 340 993 litres " pour la première et " fumure et arrière- fumure, + quota 185 006 litres " pour la seconde, pour un montant respectif de 178 596, 03 euros et 113 828, 95 euros ; que les parcelles dont M. X... était locataire ont été données à bail à M. Y... et Mme Y... ; que deux projets notariés de baux ruraux à long terme au profit, d'une part, de M. Y... et, d'autre part, de Mme Y..., portant sur les terres dont M. X... était propriétaire, ont été établis et que, bien que ces actes n'aient pas été régularisés, les époux Y... ont pris possession des terres ; que par décision du 20 avril 2001, le préfet du Nord a transféré au GAEC Pont du Garin des quantités de référence laitière de 263 409 litres correspondant à la reprise par M. Y... de 44, 39 hectares et de 182 871 litres, pour la reprise par Mme Y... de 27, 93 hectares ; qu'en octobre 2006, les époux Y... ont assigné M. X..., sur le fondement de l'article L. 411-74 du code rural, en répétition des sommes versées au titre des fumures, arrière-fumures et quotas laitiers ; que la société civile professionnelle (la SCP) Yvon Perin et Jean-Philippe A..., mandataire au redressement judiciaire de M. Y... et Mme Y... prononcé par jugement du 1er mars 2007, est intervenue volontairement à l'instance ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande et de rejeter sa demande visant à poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, alors, selon le moyen :
1°/ que dans la mesure ou aucun texte en droit communautaire ou en droit interne n'interdit la valorisation de la quantité de référence laitière que détient un producteur à l'occasion de son transfert à un autre producteur, et compte tenu du fait non contestable que cette quantité de référence laitière dispose d'une valeur économique, l'accord de volonté entre un bailleur et un preneur pour céder de manière onéreuse la quantité de référence laitière transférée à l'occasion de la conclusion d'un bail ne peut constituer la remise d'une somme d'argent injustifiée au sens de l'article L. 411-74 du code rural ; de sorte qu'en retenant que les références de production laitière qui avaient été attribuées à M. X... en sa qualité de producteur ne constituaient qu'une autorisation administrative non négociable et que la cession onéreuse de ces références aux époux Y... dans le cadre de la cession de son exploitation et de la prise à bail par ces derniers des terrains qu'il louait ou dont il était propriétaire constituaient dès lors une somme injustifiée au regard de l'article L. 411-74 du code rural, la cour d'appel a violé ledit texte, l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 7 du Règlement (CEE) n° 3950/ 92 modifié du Conseil du 28 décembre 1992 établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers ;
2°/ qu'en l'état de la contestation sérieuse relative à l'interprétation qu'il convient de donner au droit communautaire et aux principes généraux du droit communautaire pour déterminer si une disposition d'un Etat membre peut interdire par principe la valorisation d'une quantité de référence laitière à l'occasion d'un changement d'exploitant, il appartiendra à la Cour de cassation de renvoyer la cause et les parties devant la juridiction des communautés européennes, dans les conditions visées au dispositif conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
3°/ qu'à supposer que l'article L. 411-74 du Code rural puisse être interprété comme interdisant par principe à un propriétaire de valoriser son quota laitier à l'occasion de la cession de son exploitation et de la conclusion d'un bail, une telle disposition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que la valeur patrimoniale indéniable conférée par le quota laitier à l'exploitation agricole ou aux terres qui en sont le support doit permettre au titulaire de ce quota de le céder à titre onéreux à l'occasion d'un changement d'exploitant ; si bien qu'en retenant que l'application, à la cession onéreuse d'un quota laitier à laquelle a procédé M. X... en sa qualité de bailleur, de la sanction civile prévue par l'article L. 411-74 du code rural n'était pas de nature à entraîner une atteinte au principe de la protection de la propriété de ce dernier tel que garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la cour d'appel a violé ce texte ;
4°/ que la sanction civile prévue par l'article L. 411-74 du code rural méconnaît le principe d'égalité de traitement et de non discrimination, tel que garanti par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que des exploitants agricoles pourtant placés dans une situation similaire, ou à tout le moins analogue, en ce qu'ils sont amenés à céder leur exploitation, pourront, s'ils décident de vendre leurs terrains, céder leurs parts de société, ou conclure un bail cessible hors du cadre familial, aisément monnayer la valeur de leur outil de travail, en ce compris la valeur du quota laitier, alors que l'exploitant qui entend donner à bail son exploitation conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code rural se voit privé d'une telle valorisation en vertu de l'article L. 411-74 du code rural, sans justification objective et raisonnable ; de sorte qu'en décidant du contraire en se bornant à comparer la situation du bailleur qui a conclu un bail de droit commun et un bailleur qui a conclu un bail cessible hors cadre familial, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Mais attendu qu'ayant relevé que, selon l'arrêt de la CJCE Queen c/ Ministry of agriculture du 24 mars 1994, le droit de propriété garanti dans l'ordre juridique communautaire ne comportait pas le droit à la commercialisation d'un avantage tel que les quantités de référence allouées dans le cadre d'une organisation commune de marché, et exactement retenu que les quantités de référence laitière qui avaient été attribuées à M. X... en sa qualité de producteur ne constituaient qu'une autorisation administrative non négociable, la cour d'appel en a déduit à bon droit que les dispositions de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime, sans créer de discrimination au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et sans porter atteinte au droit de propriété, devaient s'appliquer et justifiaient la condamnation de M. X... à la restitution des sommes perçues, sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en ses cinquième et sixième branches :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt attaqué condamne M. X... à restituer certaines sommes à M. Y... d'une part et à Mme Z... épouse Y... d'autre part, augmentées des intérêts calculés à compter du 18 août 2000 égaux au taux pratiqué par la caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme ;
Qu'en statuant ainsi sans répondre aux conclusions de M. X... invoquant, d'une part, la méconnaissance du principe d'égalité résultant de ce que les personnes tenues de répéter les sommes indûment remises étaient soumises à des taux d'intérêt différents selon la caisse régionale de crédit agricole dont ils dépendaient, d'autre part, la prescription civile de cinq ans applicable à ces intérêts, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que les condamnations prononcées sont augmentées des intérêts calculés à compter du 18 août 2000 égaux au taux pratiqué par la caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme, l'arrêt rendu le 8 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas, avocat aux Conseils, pour M. X....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, condamné Monsieur Jean-Charles X... à payer, d'une part à Valérie Z..., la somme de 113. 828, 95 euros, augmentée des intérêts calculés à partir du 18 août 2000 et égaux au taux pratiqué par la Caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme et, d'autre part à François Y..., la somme de 178. 596, 03 euros, augmentée des intérêts calculés à partir du 18 août 2000 et égaux au taux pratiqué par la Caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme, d'avoir rejeté sa demande visant à poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes et sa demande de réunir la présente instance à celle suivant son cours sous le numéro RG 07/ 02353 pour statuer dans le présent jugement l'appel en garantie et déclaration de jugement commun de l'Association de Gestion et de Comptabilité du NORD,
AUX MOTIFS QUE, sur la demande en répétition de l'indu, ainsi qu'il l'a été précédemment souligné, l'article L. 411-74 du Code rural prohibe la perception non justifiée, directe ou indirecte, d'argent ou de valeurs par tout bailleur ou preneur sortant, à l'occasion d'un changement d'exploitant ; que les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition ; que ces dispositions légales sont d'ordre public, de sorte que les parties ne peuvent s'y soustraire par voie de convention ; qu'en l'espèce, il est constant que les époux Y...-Z... ont versé à Monsieur Jean-Charles X... les sommes de 113. 828, 95 euros et de 178. 596, 03 euros en règlement des factures en date du 15 janvier 2000 qui leur ont été présentées par l'appelant relativement aux fumures, arrière-fumures et quotas laitiers ; que si le preneur sortant peut obtenir du preneur entrant une indemnité au titre des engrais et fumiers stockés, il ne peut en revanche réclamer à ce dernier l'indemnisation des reliquats enfouis dans le sol ; qu'une fois incorporés au sol, les engrais et fumiers perdent en effet leur identité et constituent des fumures et arrière-fumures lesquelles ne sont susceptibles d'indemnisation que dans le cadre des améliorations culturales ; qu'en sa qualité de bailleur d'une partie des terres aujourd'hui exploitées par le GAEC DU PONT DU GARIN, Monsieur Jean-Charles X... demeure propriétaire des améliorations ainsi apportées à son fonds. En sa qualité de preneur sortant de l'autre partie des parcelles exploitées, il ne peut en obtenir l'indemnisation qu'auprès des différents bailleurs, conformément aux dispositions de l'article L. 411-69 du code rural ; que s'agissant ensuite de la vente des quotas laitiers à laquelle il a procédé, Monsieur Jean-Charles X... est mal fondé à prétendre qu'il doit être fait application dans le cadre de la présente instance des dispositions de l'article 46 et 2 du règlement CE n° 1782/ 2003 du Conseil du 29 septembre 2003 (règlement au demeurant abrogé par le règlement CE n° 73/ 2009 du Conseil du 19 janvier 2009), relatif aux transferts de droits à paiement unique, qui ne concerne pas les références de production laitière ; qu'il convient de rappeler que le droit de propriété garanti dans l'ordre juridique communautaire ne comporte pas le droit à la commercialisation d'un avantage, tel que les quantités de référence allouées dans le cadre d'une organisation commune de marché, qui ne provient ni des biens propres ni de l'activité professionnelle de l'intéressé (CJCE, 24 mars 1994, Aff, C-2 The Queen c/ Ministry of agriculture) ; qu'il ressort de ce qui précède :- que Monsieur Jean-Charles X..., en sa qualité de bailleur, demeure propriétaire des parcelles ayant bénéficié des améliorations culturales que constituent les fumures et arrière-fumures,- qu'en sa qualité de preneur sortant, il dispose en outre de la faculté de solliciter auprès des bailleurs une indemnisation au titre des améliorations qu'il a apportées à leurs fonds,- et enfin que les références de production laitière qui lui avaient été attribuées en sa qualité de producteur, ne constituent qu'une autorisation administrative non négociable, de sorte qu'elles ne sont jamais entrées dans son patrimoine ; qu'il s'en déduit que l'application en l'espèce des dispositions de l'article L. 411-74 du Code rural n'est pas de nature à entraîner une atteinte au principe de protection de la propriété de l'appelant tel que garanti par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que s'agissant par ailleurs de l'incompatibilité alléguée de l'article L. 411-74 du Code rural avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne, relatifs aux règles de concurrence, il convient de relever :- que si, aux termes du I de l'article 81 du traité, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes, visent uniquement le comportement des entreprises et non les mesures législatives ou réglementaires émanant d'un Etat membre ; qu'il n'en va autrement que lorsqu'un Etat membre, soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 81 ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention économique ; que tel n'est ni l'objet, ni l'effet des dispositions de l'article L. 411-74 du Code rural ; que, dès lors, l'appelant ne peut utilement soutenir que ces dispositions seraient incompatibles avec l'article 81 du traité ;- que s'agissant par ailleurs de l'argumentation selon laquelle l'article L. 411-74 du Code rural constituerait une aide détournée accordée par l'Etat français aux agriculteurs s'installant ou s'agrandissant, par la limitation du montant de la valorisation des unités de production vendues ou proposées sur le marché, force est de constater qu'à supposer que l'analyse développée à ce titre par Monsieur Jean-Charles X... puisse être considérée comme pertinente, il s'agirait en l'espèce d'une aide existante, laquelle peut continuer à être exercée tant que la commission n'a pas constaté son incompatibilité avec le marché commun, selon la procédure prévue par l'article 88 du traité ; qu'ainsi que le souligne à juste titre Monsieur Jean-Charles X..., le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination tel que garanti par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement ne soit objectivement justifié ; qu'en l'espèce, l'article L. 411-74 du Code rural prend sa place dans un ensemble de dispositions législatives relatives au droit commun des baux ruraux dont l'objet est notamment d'assurer un équilibre entre preneur et bailleur dans le but de soutenir les exploitations agricoles moyennes comme modèle de développement de l'agriculture française, tout en facilitant la transmission familiale ; que la création du bail rural cessible hors cadre familial par la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 s'inscrit quant à elle dans un dispositif législatif visant à assurer l'insertion des activités de production agricole dans une démarche d'entreprise, qu'il apparaît donc que preneurs et bailleurs sont dans des situations différentes selon que leurs relations contractuelles se trouvent régies soit par les dispositions des articles L. 411- l et suivants du Code rural, soit par celles des articles L. 418-1 et suivants du même code ; que dès lors, la circonstance que le législateur de 2006 ait exclu l'application de l'article L. 411-74 du Code rural aux baux cessibles hors cadre familial, n'est pas de nature à rendre discriminatoire l'application des dispositions dudit article aux conventions conclues entre les parties en janvier 2000 ; que par ailleurs, il convient de relever, d'une part qu'aux termes de ses écritures, Monsieur Jean-Charles X... souligne que la rédaction actuelle de l'article L. 411-74 du Code rural date de la loi foncière de 1967 et d'autre part qu'il n'est nullement allégué par l'appelant que les dispositions dudit article seraient formulées de manière équivoque ; que force est par conséquent de constater qu'à la date des conventions conclues entre les parties, Monsieur Jean-Charles X... était en mesure de connaître, de façon claire et précise, les obligations qui pesaient sur lui en application de ces dispositions légales ; qu'à supposer que les principes de sécurité juridique et d'intérêt de confiance légitime puissent être invoqués par un plaideur en dehors des hypothèses où ils peuvent trouver à s'appliquer dans l'ordre national en leur qualité de principe général du droit communautaire, il apparaît que l'application en l'espèce de l'article L. 411-74 du Code rural n'est pas de nature à porter atteinte à ces principes ; qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments que l'application dans le cadre de la présente instance de l'article L. 411-74 du Code rural ne se révèle incompatible ni avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni avec les règles du droit communautaire de sorte que, sans qu'il soit besoin de recourir à la procédure de renvoi pour question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes pour interprétation des textes communautaires, il convient d'écarter comme non pertinents l'ensemble des moyens soulevés de ces chefs par l'appelant ; qu'ainsi qu'il l'a été précédemment exposé, les conventions mettant à la charge des intimés le paiement de sommes au titre des fumures, arrière-fumures et quotas laitiers présentent un caractère illicite ; que c'est de façon erronée que Monsieur Jean-Charles X... vient prétendre qu'il incomberait aux époux Y...-Z... de rapporter la preuve d'une contrainte exercée et d'une intention délictuelle, le succès des prétentions des intimés, fondées sur la répétition de l'indu, n'étant nullement conditionné par cette démonstration. Par ailleurs, l'appelant est mal fondé à soutenir qu'en tentant d'obtenir un remboursement des références laitières, les intimés s'enrichissent sans cause puisqu'il apparaît que l'action engagée par les époux Y...-Z... a pour finalité la restitution des fonds que Monsieur Jean-Charles X... leur a indûment réclamés et dont la remise à ce dernier a entraîné un appauvrissement de leur patrimoine ; qu'il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Monsieur Jean-Charles X... à payer à Madame Valérie Z... la somme de 113. 828, 95 euros et à Monsieur François Y... celle de 178. 596, 03 euros ; qu'aux termes de l'article L. 411-74 du Code rural, les sommes indûment perçues sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux pratiqué par la caisse régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme ; que c'est de façon non pertinente que Monsieur Jean-Charles X... vient prétendre que le visa d'une banque commerciale serait contraire aux articles 81 et 82 du traité CE ; qu'il apparaît en effet que cette disposition n'a nullement pour effet d'imposer ou favoriser la conclusion d'ententes contraires à l'article 81 ou de renforcer les effets de telles ententes, ni de déléguer à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention économique, ni encore de favoriser l'exploitation par une ou plusieurs entreprises d'une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ; que par ailleurs, Monsieur Jean-Charles X... n'explique pas en quoi la fixation par un établissement bancaire et commercial du taux des intérêts assortissant une condamnation en matière civile porterait atteinte au droit à un procès équitable tel que garanti par l'article 6- l de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'enfin, l'action en répétition des sommes indûment perçues par le preneur sortant est distincte de l'action pénale née de l'infraction prévue au premier alinéa de l'article L. 411-74 du Code rural de sorte que l'invocation par l'appelant des dispositions de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales se révèle inopérante dans le cadre du présent litige ; que c'est par conséquent à juste titre que les sommes que Monsieur Jean-Charles X... a été condamné à restituer aux intimés ont été majorées par les premiers juges des intérêts au taux pratiqué par la caisse régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme et ce, à compter du 18 août 2000, date du dernier paiement effectué par les époux Y...-Z....
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE, consécutivement aux actes sous seing privé du 15 janvier 2000 de cession des éléments corporels de l'exploitation laitière de Monsieur X... à Monsieur Y... et à Madame Z..., il a été déclaré à la Mutualité Sociale Agricole, par l'ensemble des protagonistes, la succession de Monsieur Y... et de Madame Z... en qualité de preneurs aux baux ruraux préalablement consentis à Monsieur X..., ainsi que la reprise d'exploitation, par Monsieur Y... et Madame Z..., des terres dont Monsieur X... et son épouse sont propriétaires ; que ces actes manifestent un transfert de droits sur les éléments fonciers de l'exploitation de production de lait de Monsieur X... à Monsieur Y... et à Madame Z... ; qu'il en découle, à tout le moins, l'existence d'un bail rural verbal des terres de Monsieur X... et de son épouse à Monsieur Y... et à Madame Z... ; que la réglementation des baux ruraux prévoit, en ses articles L. 411-69 et L. 411-74, que tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, devra les rembourser ; que cette réglementation ne permet qu'au seul preneur sortant d'obtenir du bailleur l'indemnisation des améliorations apportées au fonds loué du fait de son travail ou de ses investissements ; que c'est en vain que Jean-Charles X... invoque l'existence d'un contrat conclu avec les demandeurs en vue de la cession à titre onéreux des fumures, arrière fumures et quotas laitiers, car l'article L. 411-74, qui incrimine l'obtention, par tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire, de la remise de sommes d'argent injustifiées, fait de l'article L. 411-69 une disposition d'ordre public, à laquelle toute dérogation contractuelle est prohibée ; que les fumures et arrières-fumures, qui désignent les engrais et matières organiques enfouis dans le sol de l'exploitation, constituent une amélioration culturale, car elles continuent de produire leurs effets après la fin du bail ; que seul le preneur sortant peut obtenir du bailleur, et uniquement de celui-ci, l'indemnisation des fumures et arrières-fumures qu'il a apportées à la terre ; qu'en l'espèce, François Y... et Valérie Z... ne sont pas les bailleurs de Jean Charles X..., mais sont preneurs entrants ; qu'ils ne sont tenus d'aucune obligation de payer une somme d'argent à Monsieur X... au titre des fumures et arrières-fumures que celui-ci aurait apportées aux terres ; que Monsieur X... doit donc à Monsieur Y... et à Madame Z... la répétition des sommes qu'ils lui ont payées à ce titre ; qu'une difficulté survient de ce que les paiements effectués par Monsieur Y... et Madame Z... l'ont été pour honorer des " factures " qui ne mentionnent chacune qu'un prix forfaitaire, sans ventiler entre les postes de fumures et arrières-fumures et de quotas laitiers ; qu'il n'est donc pas possible de déterminer, à l'intérieur de la somme globale qui a été réclamée aux demandeurs, la part sensée représenter le prix des fumures et arrières-fumures de la part sensée représenter le prix des quotas laitiers ; qu'aucune pièce ni aucun autre élément versé au débat ne permettent de déterminer cette répartition ; qu'en procédant à un tel amalgame, Monsieur X... a obtenu des preneurs entrants le paiement de sommes manifestement injustifiées au titre des fumures et arrières-fumures sous couvert d'un prix forfaitaire incluant les quotas laitiers ; que cette seule considération justifie la répétition des sommes payées pour le tout, sans avoir à rechercher si les quotas laitiers de Monsieur X... pouvaient faire l'objet d'une cession à titre onéreux, puisque ni le tribunal ni les parties ne sont en mesure de déterminer la part des sommes facturées au titre des quotas laitiers ; qu'il est en conséquence inutile, pour résoudre le litige, de poser par voie préjudicielle une question d'ordre générale sur l'interprétation du droit communautaire, ainsi que le demande Jean Charles X... ; que le moyen tiré de la violation du premier protocole de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales devient également sans portée ; qu'enfin, l'article L. 411-74 distingue expressément l'hypothèse de la répétition de la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, qui seule nécessite la démonstration d'une contrainte exercée sur le preneur entrant, de l'hypothèse de la répétition de la remise d'argent ou de valeurs non justifiées, qui n'est soumise à aucune condition de la démonstration d'une contrainte exercée sur le preneur entrant ; que les demandeurs n'ont donc pas à démontrer l'existence d'une contrainte pour obtenir la répétition de sommes injustifiées qu'ils ont payées à Jean-Charles X...,
ALORS, D'UNE PART, QUE dans la mesure ou aucun texte en droit communautaire ou en droit interne n'interdit la valorisation de la quantité de référence laitière que détient un producteur à l'occasion de son transfert à un autre producteur, et compte tenu du fait non contestable que cette quantité de référence laitière dispose d'une valeur économique, l'accord de volonté entre un bailleur et un preneur pour céder de manière onéreuse la quantité de référence laitière transférée à l'occasion de la conclusion d'un bail ne peut constituer la remise d'une somme d'argent injustifiée au sens de l'article L. 411-74 du Code rural ; de sorte qu'en retenant que les références de production laitière qui avaient été attribuées à Monsieur X... en sa qualité de producteur ne constituaient qu'une autorisation administrative non négociable et que la cession onéreuse de ces références aux époux Y... dans le cadre de la cession de son exploitation et de la prise à bail par ces derniers des terrains qu'il louait ou dont il était propriétaire constituaient dès lors une somme injustifiée au regard de l'article L. 411-74 du Code rural, la Cour d'appel a violé ledit texte, l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 7 du règlement (CEE) n° 3950/ 92 modifié du Conseil du 28 décembre 1992 établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers,
ALORS D'AUTRE PART QU'en l'état de la contestation sérieuse relative à l'interprétation qu'il convient de donner au droit communautaire et aux principes généraux du droit communautaire pour déterminer si une disposition d'un Etat membre peut interdire par principe la valorisation d'une quantité de référence laitière à l'occasion d'un changement d'exploitant, il appartiendra à la Cour de Cassation de renvoyer la cause et les parties devant la juridiction des communautés européennes, dans les conditions visées au dispositif conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne,
ALORS, EN OUTRE, QU'à supposer que l'article L. 411-74 du Code rural puisse être interprété comme interdisant par principe à un propriétaire de valoriser son quota laitier à l'occasion de la cession de son exploitation et de la conclusion d'un bail, une telle disposition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que la valeur patrimoniale indéniable conférée par le quota laitier à l'exploitation agricole ou aux terres qui en sont le support, doit permettre au titulaire de ce quota de le céder à titre onéreux à l'occasion d'un changement d'exploitant ; si bien qu'en retenant que l'application, à la cession onéreuse d'un quota laitier à laquelle a procédé Monsieur X... en sa qualité de bailleur, de la sanction civile prévue par l'article L. 411-74 du Code rural n'était pas de nature à entraîner une atteinte au principe de la protection de la propriété de ce dernier tel que garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la Cour d'appel a violé ce texte,
ALORS, ENCORE, QUE la sanction civile prévue par l'article L. 411-74 du Code rural méconnaît le principe d'égalité de traitement et de non discrimination, tel que garanti par l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que des exploitants agricoles pourtant placés dans une situation similaire, ou à tout le moins analogue, en ce qu'ils sont amenés à céder leur exploitation, pourront, s'ils décident de vendre leurs terrains, céder leurs parts de société, ou conclure un bail cessible hors du cadre familial, aisément monnayer la valeur de leur outil de travail, en ce compris la valeur du quota laitier, alors que l'exploitant qui entend donner à bail son exploitation conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et suivants du Code rural se voit privé d'une telle valorisation en vertu de l'article L. 411-74 du Code rural, sans justification objective et raisonnable ; de sorte qu'en décidant du contraire en se bornant à comparer la situation du bailleur qui a conclu un bail de droit commun et un bailleur qui a conclu un bail cessible hors cadre familial, la Cour d'appel a violé l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,
ALORS, PAR AILLEURS, QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; de sorte qu'en omettant de répondre au moyen développé par Monsieur X... dans ses conclusions d'appel (p. 21), selon lequel l'article L. 411-74 du Code rural méconnaissait le principe d'égalité de traitement en ce qu'il soumettait les personnes tenues de répéter les sommes indûment remises majorées d'un taux d'intérêt différent selon la Caisse régionale de crédit agricole dont ils dépendaient, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile,
ALORS ENFIN QU'en omettant également de répondre au moyen soulevé par Monsieur X... dans ses conclusions d'appel (p. 22), aux termes duquel il soutenait que compte tenu du taux d'intérêt commercial pris en compte, la prescription civile de cinq ans devait trouver à s'appliquer pour les intérêts des sommes devant faire l'objet d'une répétition, la Cour d'appel a derechef méconnu l'article 455 du Code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 10-17851
Date de la décision : 31/10/2012
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

BAIL RURAL - Bail à ferme - Sortie de ferme - Article L. 411-74 du code rural - Indemnités au bailleur ou au preneur sortant - Exclusion - Cas - Quantité de référence laitière

UNION EUROPEENNE - Cour de justice de l'Union européenne - Question préjudicielle - Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union - Règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992 - Article 7 - Exclusion - Cas CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Premier Protocole additionnel - Article 1er - Protection de la propriété - Violation - Défaut - Cas - Répétition des sommes indûment perçues au titre des quotas laitiers à l'occasion d'un changement d'exploitant CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 14 - Interdiction de discrimination - Violation - Défaut - Cas - Répétition de sommes indûment perçues au titre des quotas laitiers à l'occasion d'un changement d'exploitant

Les quantités de référence laitière attribuées à un exploitant producteur de lait ne constituent qu'une autorisation administrative non négociable et doivent, lorsqu'elles ont été cédées à titre onéreux à l'occasion de la conclusion d'un bail, donner lieu à répétition conformément à l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime


Références :

article 1134 du code civil

article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime

article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

article 7 du Règlement (CEE) n° 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992
articles 1er du premier Protocole additionnel et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 08 février 2010

Sur le droit à indemnisation en matière de quotas laitiers, à rapprocher :CJCE, 22 octobre 1991, Georg von Deetzen contre Hauptzollamt Oldenburg, affaire n° C-44/89 ;CJCE, 24 mars 1994, The Queen c. Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte Dennis Clifford Bostock , affaire n° C-2/92 ;CJCE, 17 décembre 1998, Stefan Demand c. Hauptzollamt Trier., affaire n° C-186/96 ;CJCE, 26 octobre 2006, Alois Kibler jun. c. Land Baden, affaire n° C-275/05


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 31 oct. 2012, pourvoi n°10-17851, Bull. civ. 2012, III, n° 156
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, III, n° 156

Composition du Tribunal
Président : M. Terrier
Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe
Rapporteur ?: Mme Fossaert
Avocat(s) : SCP Peignot, Garreau et Bauer-Violas

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2013
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:10.17851
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