LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la chambre régionale de discipline des notaires de la cour d'appel de Grenoble a prononcé à l'encontre de Mme X... la peine de la censure devant la chambre assemblée en sanction de faits commis en 2009 constitutifs d'infractions aux règles professionnelles et de comportement contraire à l'intérêt de la profession ; que le notaire reproche à l'arrêt de confirmer cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 6 § 1° de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que la cour d'appel énonce que le ministère public a conclu à la confirmation de la décision entreprise ;
Attendu qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans préciser si le ministère public avait déposé des conclusions écrites préalablement à l'audience et, si tel avait été le cas, sans constater que Mme X... avait eu communication de ces conclusions afin de pouvoir y répondre utilement, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ;
Et sur le deuxième moyen :
Vu les articles 16 et 37 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 modifié, relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que, lors des débats devant la cour d'appel statuant en matière disciplinaire, le président de la chambre de discipline présente ses observations, le cas échéant par l'intermédiaire d'un membre de la chambre ;
Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt que le président de la chambre régionale des notaires de la cour d'appel de Grenoble était représenté par un avocat qui a été entendu en sa plaidoirie, qui a déposé des conclusions au nom de la chambre de discipline tendant à la confirmation de la décision entreprise et à la condamnation de Mme X... à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'il n'a, dès lors, pas été satisfait aux exigences des textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen :
Vu l'article 4 1° de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ;
Attendu que, selon ce texte, la chambre des notaires a notamment pour attribution d'établir, en ce qui concerne les usages de la profession et les rapports des notaires tant entre eux qu'avec la clientèle, un règlement qui sera soumis à l'approbation du garde des sceaux, ministre de la justice ;
Attendu que pour dire que Mme X... a commis une infraction aux règles professionnelles, l'arrêt se borne à retenir par motifs propres et adoptés que le non-respect de la circulaire du conseil régional des notaires de la cour d'appel de Grenoble en date du 17 novembre 2003 décidant d'exiger des clients un chèque de banque pour tout versement supérieur ou égal à 15 000 euros a force obligatoire s'agissant d'une circulaire prise en vue d'une bonne administration du service notarial ;
Qu'en se déterminant ainsi, quand seuls les usages mentionnés au règlement approuvé par le ministre de la justice ont force obligatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt septembre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action disciplinaire, d'avoir condamné Madame Sophie X..., notaire, à la peine disciplinaire de la censure devant la chambre assemblée ;
Aux motifs que l'affaire a été communiquée au Procureur général en date du 17 juin 2010 et 14 septembre 2010, représenté lors des débats par Monsieur MEFFRE qui a fait connaître son avis ; qu'il conclut à la confirmation de la décision déférée selon les motifs retenus par la Chambre régionale de discipline des notaires ;
Alors que, d'une part, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en énonçant que le ministère Public avait conclu à la confirmation de la décision entreprise sans préciser si celui-ci avait déposé des conclusions écrites préalablement à l'audience et, si tel avait été le cas, sans constater que Madame Sophie X... avait eu communication desdites conclusions afin d'être mise en mesure d'y répondre utilement, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du Code de procédure civile ;
Alors que, d'autre part, conformément à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, le droit pour une partie à un procès équitable suppose que soit respectée l'égalité des armes notamment avec le Ministère Public, adversaire objectif, qui doit respecter le principe du contradictoire ; qu'en énonçant que le ministère Public avait conclu à la confirmation de la décision entreprise sans préciser si celui-ci avait déposé des conclusions écrites préalablement à l'audience et, si tel avait été le cas, sans constater que Madame Sophie X... avait eu communication desdites conclusions afin d'être mise en mesure d'y répondre utilement, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action disciplinaire, d'avoir condamné Madame Sophie X..., notaire, à la peine disciplinaire de la censure devant la chambre assemblée ;
Aux motifs qu'à l'audience tenue le 31 janvier 2011, a été successivement entendus : Madame LANDOZ en son rapport, Maîtres DECORTENADAU, avocat représentant Maître Sophie X..., Maître DORNE, avocat représentant la Chambre de Discipline des Notaires de l'Isère, Monsieur MEFFRE, avocat général en ses observations et Maître Sophie X... assistée de son conseil qui a eu la parole en dernier ;
Alors que lors des débats devant la Cour d'appel statuant en matière disciplinaire, seul le président de la chambre de discipline peut présenter ses observations, le cas échéant par l'intermédiaire d'un membre de la chambre ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en l'espèce, le président du conseil régional des notaires, qui a présidé la chambre de discipline, a été assisté par Me DORNE, Avocat au barreau de Grenoble, lequel a, en son nom, développé oralement à l'audience les conclusions qu'il avait déposées tendant au rejet de la demande d'annulation, à la confirmation de la décision ainsi qu'à la condamnation de Me Sophie X... au paiement d'une indemnité à titre de frais irrépétibles à la Chambre de discipline des notaires ; qu'ainsi, il n'a pas été satisfait aux exigences légales ; que, par suite, la Cour d'appel a violé les articles 16 et 37 du décret nº 73-1202 du 28 décembre 1973, relatif à la discipline et au statut des officiers public ou ministériels.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action disciplinaire, d'avoir condamné Madame Sophie X..., notaire, à la peine disciplinaire de la censure devant la chambre assemblée ;
Aux motifs qu'aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 28 juin 1945 toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extra professionnels, donne lieu à sanction disciplinaire ; que Maître X... ne conteste pas qu'à l'occasion de la vente entre la S.A.R.L MARK et la société IRSEA, elle a reçue le 23 mars 2009 pour un montant de 300.000 €, elle n'a pas demandé à l'acquéreur de lui remettre un chèque de banque ; qu'à cet égard, la contestation par Maître X... de la force obligatoire de la circulaire du 17 novembre 2003 édictée par le Conseil Régional des Notaires du ressort de la Cour d'Appel de Grenoble ne peut être accueillie, car c'est le règlement intérieur de la Chambre, lequel établit des règles morales et professionnelles et précise les usages professionnels, qui doit faire l'objet de l'approbation du Garde des Sceaux, et non pas une circulaire prise en vue d'une bonne administration du service notarial ;
Alors qu'il résulte de l'article 4, 1° de l'Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat que la chambre des notaires a pour attributions d'établir en ce qui concerne les usages de la profession et les rapports des notaires tant entre eux qu'avec la clientèle un règlement qui sera soumis à l'approbation du garde des sceaux, ministre de la justice ; qu'en retenant que Me X... a méconnu les règles professionnelles et commis des actes contraires à l'honneur, à la probité et à la délicatesse en recevant une vente sans être en possession d'un chèque certifié comme l'exigeait une circulaire édictée par le conseil régional en vue d'une bonne administration du service notarial, la Cour d'appel a violé par refus d'application l'article 4, 1° de l'Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur l'action disciplinaire, d'avoir condamné Madame Sophie X..., notaire, à la peine disciplinaire de la censure devant la chambre assemblée ;
Aux motifs que la circonstance que Maître X... ne savait pas que le chèque remis par l'acquéreur n'était pas certifié et qu'il a été endossé par son comptable et remis à la banque avant qu'elle puisse procéder à la moindre vérification, n'est pas de nature à l'exonérer dès lors que c'est elle qui est l'officier public et qui possède de véritables prérogatives de puissance publique reçues de l'Etat, c'est à elle qu'il appartient de prendre toutes dispositions pour s'assurer, avant la signature de l'acte authentique, que les règles élémentaires édictées par le Conseil Régional des Notaires auxquelles elle est soumise, et portées à la connaissance de tous les notaires du ressort, ont été respectées ; qu'alors que le notaire en apposant son sceau et sa propre signature sur l'acte qu'il reçoit, constate officiellement la volonté exprimée par les personnes qui le signent et s'engage personnellement sur le contenu de cet acte, Maître X... ne s'explique pas sur le fait qu'elle ait pu préciser faussement dans l'acte de vente du 23 mars 2009 entre la S A R L MARK et la société IRSEA, que "l'acquéreur a payé le prix ci-dessus exprimé comptant ainsi qu'il résulte de la comptabilité de l'Office notarial dénommé en tête des présentes ainsi que le vendeur le reconnaît et lui en consent quittance sans réserves" ; qu'en effet, le dossier révèle que le 23 mars 2009 elle n'avait pas l'accord définitif de financement de la part de la Banque Rhône Alpes, sollicitée en premier par l'acquéreur, et qu'elle n'avait pas non plus la confirmation de la BANQUE MARTIN MAUREL, sur laquelle le chèque a été tiré, que ce chèque pouvait être honoré ; qu'ainsi, en recevant la vente sans être en possession d'un chèque certifié, et à défaut, sans être certaine que le chèque qui lui avait été remis était approvisionné, et ce sans même avoir prévu une réserve en ce qui concerne la quittance consentie par le vendeur, Maître X... a manqué gravement à ses obligations ; que bien que le préjudice ne soit pas un élément nécessaire à la reconnaissance de la faute disciplinaire, il est établi que Maître X... a mis en danger la couverture des fonds clients de son étude puisque si dès le 1er avril 2009, la Caisse des Dépôts et Consignations l'avisait que le chèque de 308.490,56 € émis par la S.A.R.L. MARK était sans provision pour 172 000 €, ce n'est qu'au mois de septembre 2009 que l'acquéreur a été en mesure de régulariser la situation ; qu'enfin, il est certain que les agissements de Maître X..., comme étant contraires à l'honneur, à la probité et à la délicatesse, portent atteinte à l'honneur de sa profession et nuisent à l'intérêt collectif de la profession notariale ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la méconnaissance des règles professionnelles et les négligences graves dénoncées par la Chambre Régionale de Discipline des Notaires à l'encontre de Maître X... sont caractérisées et qu'elles justifient amplement la sanction prononcée ;
Alors que, d'une part, il résulte de l'article 4 du décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 modifié, relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, que la juridiction disciplinaire ne peut statuer sur des faits qui ne sont pas précisés dans la citation délivrée à l'officier public ; qu'en retenant que Me X... a commis des négligences graves dénoncées par la Chambre régionale de discipline des notaires et justifiant amplement la sanction prononcée à son encontre, quand la citation qui lui a été adressée ne mentionne pas de tels griefs, la Cour d'appel a violé le texte précité, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Alors que, d'autre part, le seul fait pour un notaire d'avoir reçu une unique vente sans être en possession d'un chèque certifié, sans être certain que le chèque qui lui avait été remis était approvisionné, et sans avoir prévu une réserve en ce qui concerne la quittance consentie par le vendeur, ne constitue pas un acte contraire à l'honneur, à la probité et à la délicatesse et ne porte pas atteinte à l'honneur de sa profession ; qu'en déclarant que les agissements de Me X... étaient contraires à l'honneur, à la probité et à la délicatesse et portaient atteinte à l'honneur de sa profession de sorte qu'ils justifiaient amplement la sanction prononcée à son encontre, la Cour d'appel a violé l'article 2 de l'Ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.