LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 301 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 alors applicable ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le divorce de Alain X... et de Mme Y..., mariés le 9 septembre 1957 sous le régime de la séparation de biens, a été prononcé, aux torts exclusifs de l'époux, par arrêt confirmatif du 17 mars 1966 qui a, notamment, accordé à l'épouse, sur le fondement du premier alinéa du texte susvisé, une pension alimentaire de 900 francs, portée en dernier lieu à 7 000 francs et, sur le fondement de l'alinéa 2 de ce texte, la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ; que l'époux est décédé le 16 avril 2003 et que ses héritiers, à l'exception du fils commun du couple, ont saisi le tribunal de grande instance afin de voir dire qu'en raison de son caractère alimentaire, cette pension n'est pas transmissible à cause de mort ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt retient qu'en l'espèce, la décision qui a fixé la pension alimentaire a également accordé à l'épouse bénéficiaire, des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la faute de l'époux débiteur, ce dont il déduit que la pension a un caractère purement alimentaire et personnel, d'ailleurs confirmé par le fait qu'elle a été plusieurs fois révisée, qui s'oppose à sa transmission à cause de mort ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la pension instituée par le texte susvisé a, outre un caractère alimentaire, un fondement indemnitaire qui la rend transmissible aux héritiers du débiteur décédé, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la pension litigieuse n'était pas transmissible aux héritiers de Alain X..., l'arrêt rendu le 6 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne les consorts X...- Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts X...- Z... et les condamne solidairement à payer à Mme Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la pension alimentaire allouée à Madame Y... dans le jugement de divorce du 10 novembre 1965 du tribunal de grande instance de Brest présentait un caractère alimentaire et en ce qu'il a dit qu'en conséquence, cette pension alimentaire n'était pas transmissible aux héritiers de Monsieur Alain X... ;
AUX MOTIFS, propres, QUE la pension alimentaire allouée à Madame Y... par le jugement du 10 novembre 1965 est fondée sur l'article 301 du Code civil, pris dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 1975 ; que le dit article dispose que « si les époux ne s'étaient fait aucun avantage ou si ceux stipulés ne paraissent pas suffisants pour assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce, le tribunal pourra lui accorder, sur les biens de l'autre époux, une pension alimentaire qui ne pourra excéder le tiers des revenus de cet autre époux. Cette pension sera révocable dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire » ; qu'attendu que la pension alimentaire prévue par le dit article a donc un fondement purement alimentaire puisqu'il s'agit de pallier l'état de besoin de l'époux qui a obtenu le divorce et non de compenser une disparité dans les conditions de vie respectives des époux résultant de la rupture du mariage, notion prévue par la loi du 11 juillet 1975 ayant instauré la prestation compensatoire ; qu'attendu qu'en l'espèce, le jugement de divorce du 10 novembre 1965 précise dans ses motifs que la somme de 2. 000 francs pas mois, sollicitée par l'épouse au titre de la pension alimentaire apparaît exagérée « par rapport aux besoins de la demanderesse et des moyens de son époux » ; que par ailleurs, la somme de 10. 000 francs a été accordée à l'épouse en réparation du « préjudice moral indéniable subi par la faute de son mari » ; que le jugement de divorce des époux a donc d'une part pallié l'état de besoin de Madame Y..., par l'allocation d'une pension alimentaire et d'autre part indemnisé le préjudice subi du fait de la faute commise par l'époux, par l'octroi de dommages et intérêts ; qu'attendu que le caractère alimentaire de la dite pension est encore confirmé par les décisions rendues par le tribunal de Brest le 15 novembre 1967, le juge aux affaires familiales de Montpellier le 3 mai 1978 et le juge aux affaires familiales de Nice le 21 janvier 1999 ainsi que par les arrêts rendus par les cours d'appel de Montpellier et d'Aix-en-Provence respectivement les 12 mai 1980 et le 23 octobre 2001 qui ont statué sur les demandes d'augmentation du montant de la pension alimentaire en considération des besoins de Madame Y... ; que de telles demandes n'auraient pu être jugées recevables si la dite pension avait présenté un caractère indemnitaire ; qu'attendu par ailleurs que les moyens articulés par l'appelante sur le régime de la prestation compensatoire instaurée par la loi du 11 juillet 1975 et modifié par la loi du 26 mai 2004 sont sans application en l'espèce, s'agissant d'un divorce prononcé en 1964 ; qu'attendu que le caractère alimentaire et personnel de l'obligation alimentaire entraîne son intransmissibilité à cause de mort ; qu'attendu que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que la pension alimentaire allouée à Madame Y... par le jugement de divorce du 10 novembre 1965 avait un caractère alimentaire et personnel de sorte qu'elle n'est pas transmissible aux héritiers du débiteur ; que Madame Y... sera déboutée de l'ensemble de ses demandes (arrêt attaqué, p. 4) ;
ET AUX MOTIFS, éventuellement adoptés, QUE sur la nature de la pension alimentaire allouée par le juge du divorce, la pension alimentaire fixée par le jugement de divorce du 10 novembre 1965 est fondée sur l'article 301 du Code civil pris dans sa rédaction antérieure à la loi de 1975 ; que cet article prévoit que « si les époux ne s'étaient fait aucun avantage, ou si ceux stipulés ne paraissent pas suffisants pour assurer la subsistance de l'époux qui a obtenu le divorce, le tribunal pourra lui accorder, sur les biens de l'autre époux, une pension alimentaire, qui ne pourra excéder le tiers des revenus de cet autre époux. Cette pension sera révocable dans le cas où elle cesserait d'être nécessaire » ; qu'il résulte de ce texte que la pension alimentaire a un fondement exclusivement alimentaire, puisqu'il s'agit de pallier l'état de besoin de l'époux qui a obtenu le divorce et non de compenser une disparité dans les conditions de vie respectives de chacun des époux (notion prévue par la loi du 11 juillet 1975 ayant instauré la prestation compensatoire) ; que si ladite pension avait un caractère indemnitaire, elle n'aurait pu faire l'objet d'une révision à la hausse du fait de la détérioration de la situation matérielle du débiteur et de l'amélioration de la situation matérielle du créancier ; qu'or, il convient de constater que par arrêt du 12 mai 1980 de la cour d'appel de Montpellier et du 23 octobre 2001 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le montant de la pension alimentaire a été augmenté en considération des ressources et charges des ex-époux ; que, sur le régime de ladite pension alimentaire, la pension alimentaire allouée à Madame Ghislaine Y... ayant un caractère exclusivement alimentaire, dès lors elle revêt un caractère strictement personnel ; qu'en conséquence, la créance est incessible et intransmissible aux héritiers ; qu'il sera donc fait droit à la demande principale ; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes subsidiaires (jugement entrepris, p. 3-4) ;
1°) ALORS QUE la pension visée à l'article 301, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 1975, a un fondement indemnitaire en ce qu'elle tend à réparer le préjudice causé à l'époux innocent par la perte du droit de secours auquel il pouvait prétendre pendant le mariage ; qu'indépendamment de son caractère alimentaire, la nature indemnitaire de cette pension conduit, en cas de décès du débiteur, à transmettre la charge de la pension aux héritiers de ce dernier ; qu'au cas présent, dans ses conclusions d'appel (p. 4-5), l'exposante a fait valoir que la pension qui lui avait été allouée par le jugement de divorce était transmissible aux héritiers du débiteur décédé, conformément à une jurisprudence constante dont il ressort que cette pension survit au décès de son débiteur en raison de son caractère indemnitaire ; que la cour d'appel a néanmoins estimé que la pension visée à l'article 301 ancien du Code civil aurait un fondement purement alimentaire, ce dont elle a déduit son intransmissibilité à cause de mort ; qu'en statuant ainsi, cependant que la pension visée à l'article 301, alinéa 1er, du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975), a un fondement indemnitaire, outre son caractère alimentaire, qui la rend transmissible à cause de mort, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°) ALORS QUE la pension visée à l'article 301, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 1975, tend à réparer le préjudice causé à l'époux innocent par la perte du droit de secours auquel il pouvait prétendre pendant le mariage ; que cette pension se distingue de l'indemnité prévue à l'alinéa 2 du même article qui tend à réparer le préjudice matériel ou moral causé à l'époux par la dissolution du mariage à l'exclusion du devoir de secours ; qu'au cas présent, la cour d'appel a déduit le caractère purement alimentaire de la pension prévue à l'article 301, alinéa 1er, ancien du Code civil, du fait que le jugement de divorce avait alloué, outre une pension alimentaire, des dommages et intérêts pour indemniser le préjudice moral que Madame Y... avait subi par la faute de son mari ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que ces dommages et intérêts ne tendaient qu'à réparer un préjudice distinct de celui qui se trouve indemnisé par la pension alimentaire, laquelle présente un caractère indemnitaire, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a violé l'article 301 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 ;
3°) ALORS QUE, indépendamment de son fondement indemnitaire, la pension visée à l'article 301, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 1975, a un caractère alimentaire qui lui permet d'être révisée en tenant compte notamment des besoins nouveaux du créancier de la pension ; qu'au cas présent, pour estimer que la pension allouée à Madame Y... sur le fondement de l'article 301 ancien du Code civil n'aurait qu'un caractère alimentaire, l'arrêt attaqué a relevé que son montant avait été augmenté en considération des besoins de l'exposante, ce dont le juge d'appel a déduit que la pension ne pourrait avoir un caractère indemnitaire (arrêt attaqué, p. 4, § 6) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la variation du montant de la pension selon les besoins du créancier et les ressources du débiteur s'évince de son caractère alimentaire sans remettre en cause le fondement indemnitaire de cette pension, la cour d'appel a violé, derechef, l'article 301, alinéa 1er, du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 75-617 du 11 juillet 1975.