La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2012 | FRANCE | N°10-18341

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 23 mai 2012, 10-18341


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 30 mars 2010), que M. X..., employé depuis 1998 par le Crédit agricole mutuel de Charentes-Maritimes et des Deux-Sèvres (le Crédit agricole) a demandé à son employeur l'attribution de jours de congés et d'une prime accordés au personnel, en cas de mariage, par la convention collective nationale du Crédit agricole, à la suite de la conclusion, le 11 juillet 2007, d'un pacte civil de solidarité ; que par arrêt du 30 mars 2010, la cour d'appel

de Poitiers a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes qui l'avai...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 30 mars 2010), que M. X..., employé depuis 1998 par le Crédit agricole mutuel de Charentes-Maritimes et des Deux-Sèvres (le Crédit agricole) a demandé à son employeur l'attribution de jours de congés et d'une prime accordés au personnel, en cas de mariage, par la convention collective nationale du Crédit agricole, à la suite de la conclusion, le 11 juillet 2007, d'un pacte civil de solidarité ; que par arrêt du 30 mars 2010, la cour d'appel de Poitiers a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes qui l'avait débouté de cette demande ;
Attendu que M. X... fait notamment valoir, au soutien du pourvoi formé contre cette décision, que le refus de lui accorder ces avantages, en les réservant aux seuls salariés qui contractent mariage, constitue une discrimination liée à son orientation sexuelle, dès lors que les couples homosexuels n'ont pas le droit de se marier, et qu'en affirmant, pour écarter ses prétentions, que la différence de traitement entre les personnes mariées et les partenaires d'un pacte civil de solidarité, en matière d'avantages rémunérés pour événements familiaux ne résulte ni de leur situation de famille, ni de leur orientation sexuelle mais d'une différence de statut résultant de leur état civil, qui ne les place pas dans une situation identique, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-1 du code du travail, les articles 1, 2 et 3 de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, ainsi que l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, prohibe les discriminations directes ou indirectes fondées notamment sur l'orientation sexuelle, en matière de rémunérations et de conditions de travail ;
Attendu que ce texte doit être appliqué et interprété d'une manière conforme à la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, dont le délai de transposition a expiré le 2 décembre 2003, en ce qui concerne les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle ;
Attendu qu'aux termes de l'article 2 § 2, b, de cette directive, une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires ;
Attendu qu'en l'état actuel du droit français, le mariage n'est pas ouvert aux personnes de même sexe qui peuvent seulement conclure un pacte civil de solidarité, sans que celui-ci leur soit toutefois réservé ; qu'il en résulte que ces personnes ne peuvent bénéficier d'avantages qui ne sont accordés qu'aux salariés contractant un mariage ;
Attendu qu'une convention collective qui accorde des jours de congés et des primes aux seuls salariés contractant mariage prive de ces avantages les personnes de même sexe qui concluent un pacte civil de solidarité ; qu'il convient de vérifier si cette différence de traitement en rapport avec l'orientation sexuelle des salariés peut être objectivement justifiée par un objectif légitime tenant aux différences qui existent entre les salariés contractant un mariage et ceux qui concluent un pacte civil de solidarité ;
Attendu qu'il y a dès lors lieu de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question de savoir si l'article 2 § 2, b, de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 doit être interprété en ce sens que le choix du législateur national de réserver la conclusion d'un mariage aux personnes de sexe différent peut constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu'une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un pacte civil de solidarité ;
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne la question de savoir si l'article 2 § 2, b, de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 doit être interprété en ce sens que le choix du législateur national de réserver la conclusion d'un mariage aux personnes de sexe différent peut constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu'une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un pacte civil de solidarité ;
Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Réserve les dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Frédéric X... de ses demandes tendant à voir juger qu'il était victime de discrimination et obtenir la condamnation de son employeur à indemniser le préjudice subi et de l'avoir condamné aux dépens ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ; Monsieur Frédéric X... soutient que l'application stricte par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des articles 20 et 34 de la convention collective relatifs aux congés spéciaux et aux primes et indemnités en cas de mariage et le refus d'en faire bénéficier les personnes liées par un pacte civil de solidarité porte atteinte au principe de non-discrimination notamment à raison de la situation familiale et de l'orientation sexuelle ; le principe général d'assimilation des droits reconnus aux personnes liées par un pacte civil de solidarité à ceux reconnus aux conjoints unis par les liens du mariage sur lequel se fonde pour partie la demande de M. Frédéric X... n'a été consacré à ce jour en droit interne comme en droit communautaire ou international par aucun texte ni décision de justice ; le pacte civil de solidarité institué par la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 se différencie du mariage par les formalités relatives à la célébration, à la possibilité d'être conclu par deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de même sexe, par le mode de rupture, par les obligations réciproques en matière de droit patrimonial, de droit successoral, de droit de la filiation etc... ; la délibération n°2007-366 de la HALDE du 11 février 2008 aux termes de laquelle celle-ci a retenu sur la question litigieuse que rien ne semble justifier la différence de traitement entre les conjoints et les personnes liées par un pacte civil de solidarité, différence de traitement qui peut être considérée comme discriminatoire et recommande à la fédération nationale du Crédit Agricole et au Ministre du Travail d'étendre le bénéfice des avantages rémunérés pour événements familiaux aux salariés unis par un pacte civil de solidarité n'a qu'une valeur incitative ; elle a abouti à la signature par la FNCA et les syndicats d'un accord en ce sens le 10 juillet 2008 qui étend le bénéfice des avantages rémunérés pour événements familiaux aux salariés unis par un PACS, rappelant par cette extension la distinction entre ces deux statuts qui n'étaient pas de plein droit assimilables, accord dont M. Frédéric X..., qui a conclu antérieurement à son entrée en vigueur son pacte de solidarité civile ne peut bénéficier par application du principe de non-rétroactivité ; la mise en oeuvre de la recommandation par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel, qui ne s'imposait pas à elle, ne constitue pas une reconnaissance de sa part de ce que l'application stricte des dispositions de la convention collective qui a motivé son refus de la demande de M. Frédéric X... constituait une atteinte au principe de non-discrimination ; enfin, la différence de traitement entre conjoints mariés d'une part et partenaires d'un pacte civil de solidarité d'autre part en matière d'avantages rémunérés pour événements familiaux ne résulte ni de leur situation de famille ni de leur orientation sexuelle mais d'une différence de statut résultant de leur état civil qui ne les placent pas dans une situation identique ; il s'ensuit que M. Frédéric X... sera débouté de l'ensemble de ses demandes et que le jugement entrepris sera confirmé ;
Et AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE la convention européenne des droits de l'homme prime sur le droit national ; la convention européenne ignore le pacs ; l'article L1132-1 (anc L122-45) du code du travail institue un principe d'égalité pour tous les salariés en ce qui concerne l'embauche, le licenciement, les salaires, les avantages, les primes... ; la prime accordée en cas de mariage n'est pas liée à l'emploi mais à l'état civil ; le code civil différencie le mariage du pacs ; quelle que soit l'orientation sexuelle des individus, le pacs qu'il soit conclu entre hétérosexuels ou entre homosexuels, est différencié du mariage ; c'est un acte d'état civil différent ; la caisse régionale du Finistère a assimilé le pacs au mariage ; les caisses régionales sont autonomes, le Crédit Agricole Charente Maritime Deux Sèvres se réfère à la convention collective ; un accord collectif a été signé le 10 juillet 2008 pour étendre aux pacsés l'article 20 de la convention collective en ce qui concerne la prime et les congés pour le mariage ; cet accord n'est pas rétroactif ; en conséquence, Monsieur X... Frédéric est débouté de sa demande ;
ALORS QU'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération en raison de son orientation sexuelle ou de sa situation de famille ; que la Cour d'appel a exclu l'existence d'une discrimination aux motifs que « la différence de traitement entre conjoints mariés d'une part et partenaires d'un pacte civil de solidarité d'autre part en matière d'avantages rémunérés pour événements familiaux ne résulte ni de leur situation de famille ni de leur orientation sexuelle mais d'une différence de statut résultant de leur état civil qui ne les placent pas dans une situation identique » ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'il résultait de ses constatations que l'inégalité de traitement était fondée sur l'état civil et donc sur la situation de famille, la Cour d'appel a violé l'article L 1132-1 du Code du Travail (anciennement L 122-45), des articles 1 et 2 et 3 de la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 et de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS QUE constitue une mesure discriminatoire le fait pour un employeur d'accorder des congés et une prime à l'occasion du mariage d'un salarié et de la refuser à l'occasion de la conclusion d'un pacte civil de solidarité, les cocontractants d'un mariage ou d'un pacte civil de solidarité étant dans une situation comparable au regard des congés et de la prime accordés à l'occasion d'un événement familial consacrant officiellement leur union ; que la Cour d'appel a affirmé que la différence de traitement entre conjoints mariés d'une part et partenaires d'un pacte civil de solidarité d'autre part en matière d'avantages rémunérés pour événements familiaux ne résultait ni de leur situation de famille ni de leur orientation sexuelle mais d'une différence de statut résultant de leur état civil qui ne les placent pas dans une situation identique ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher si les cocontractants d'un mariage et d'un pacte civil de solidarité ne se trouvaient pas dans une situation comparable au regard des mesures en cause, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L 1132-1 du Code du Travail (anciennement L 122-45), des articles 1 et 2 et 3 de la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 et de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS QUE le fait de conditionner le bénéfice de congés rémunérés et/ou le paiement d'une prime pour événements familiaux au mariage caractérise une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, les couples homosexuels n'ayant pas le droit de se marier ; que la Cour d'appel a affirmé que la différence de traitement entre conjoints mariés d'une part et partenaires d'un pacte civil de solidarité d'autre part en matière d'avantages rémunérés pour événements familiaux ne résultait pas de leur orientation sexuelle ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans tenir compte du fait qu'en l'état actuel du droit interne, les couples homosexuels n'ont pas le droit de se marier et peuvent uniquement conclure un pacte civil de solidarité, la Cour d'appel a violé l'article L 1132-1 du Code du Travail (anciennement L 122-45), les articles 1 et 2 et 3 de la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 et l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Et ALORS QUE les avantages prévus en faveur des salariés qui se marient, tels que le droit à congés rémunérés ou une prime pour mariage, sont des éléments constitutifs de la rémunération ; que la Cour d'appel, adoptant les motifs des premiers juges, a relevé que « la prime accordée en cas de mariage n'est pas liée à l'emploi mais à l'état civil » ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors que les avantages en cause sont des éléments constitutifs de la rémunération pour lesquels toute prohibition est prohibée, la Cour d'appel a violé l'article L 1132-1 du Code du Travail (anciennement L 122-45), les articles 1 et 2 et 3 de la Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 et l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10-18341
Date de la décision : 23/05/2012
Sens de l'arrêt : Renvoi devant la cour de justice de l'union européenne
Type d'affaire : Sociale

Analyses

UNION EUROPEENNE - Cour de justice de l'Union européenne - Question préjudicielle - Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union - Directive (CE) n° 2000/78 du 27 novembre 2000 - Article 2 § 2 b - Concept de discrimination - Discrimination indirecte liée à l'orientation sexuelle

Une convention collective qui réserve des jours de congés et des primes aux seuls salariés contractant mariage prive nécessairement du bénéfice de ces avantages les personnes de même sexe qui concluent un pacte civil de solidarité, dès lors que le mariage ne leur est pas ouvert. Cette exclusion pouvant constituer une discrimination indirecte liée à l'orientation sexuelle, au regard de la Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, il convient de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question de savoir si le choix du législateur national de réserver la conclusion d'un mariage aux personnes de sexe différent peut constituer un objectif légitime, approprié et nécessaire justifiant la discrimination indirecte résultant du fait qu'une convention collective, en réservant un avantage en matière de rémunération et de conditions de travail aux salariés contractant un mariage, exclut nécessairement du bénéfice de cet avantage les partenaires de même sexe ayant conclu un pacte civil de solidarité


Références :

article L. 1132-1 du code du travail

article 2 § 2 b de la Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 30 mars 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 23 mai. 2012, pourvoi n°10-18341, Bull. civ. 2012, V, n° 161
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2012, V, n° 161

Composition du Tribunal
Président : M. Lacabarats
Avocat général : M. Weissmann
Rapporteur ?: M. Bailly
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Origine de la décision
Date de l'import : 05/09/2013
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:10.18341
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award