LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Alain X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NÎMES, chambre correctionnelle, en date du 18 janvier 2011, qui, pour injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'a condamné à 500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 31, 33 alinéa 1er, 65 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de la prescription de l'action publique, a déclaré M. X... coupable de faits d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et, en répression, l'a condamné à une amende délictuelle de 500 euros ainsi qu'à verser à M. Y... la somme de 1 euro symbolique à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs propres le prévenu soutenant que le soit transmis du procureur de la république en date du 7 octobre 2008 en ce qu'il n'articulerait pas les faits, ni ne qualifierait l'infraction en raison desquels l'enquête est ordonnée, n'a pas eu vertu d'interrompre la courte prescription de trois mois prévue à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1991 sur la presse conclut à l'acquisition de cette prescription lors de la délivrance de la citation à comparaître ; que selon les dispositions de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévues par la présente loi, se prescriront après trois mois révolus à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ; que toutefois, avant l'engagement de poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête sont interruptives de prescription ; ces réquisitions devront à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations outrages diffamation et injures en raison desquels l'enquête est ordonnée ; qu'en l'espèce, le soit transmis daté du 7 octobre 2008 a été adressé à M. le procureur de la République adjoint au commissariat central de police à Nîmes (sûreté départementale M. Z...), avec pour mission de «recevoir la plainte et procéder à une enquête», ledit document portant en outre les mentions «courte prescription, urgent» ; que dans le cadre de cette enquête ont été entendus MM. Y... et X... respectivement le 13 et 29 octobre 2008, auditions constitutives au demeurant d'actes interruptifs au sens des dispositions de l'article 65 ci avant énoncées ; que par ailleurs, s'il est exact que l'imprimé valant soit-transmis ne porte pas mention de l'articulation des faits et de la qualification de l'infraction en raison desquels l'enquête est ordonnée, force est de constater cependant que s'y trouve annexée, aux fins de faire corps avec lui, la plainte du 7 octobre 2008 dans laquelle sont expressément visés et reproduits les faits litigieux et se trouvent parfaitement indiqués la qualification juridique de ces derniers et le visa du texte d'incrimination ; que ledit soit-transmis aux fins d'enquête, qui n'encourt dès lors aucune nullité, doit être considéré comme un acte de poursuite interruptif de prescription ; qu'en l'état de ces constatations le moyen tiré de l'acquisition au 29 janvier 2009 de la prescription de l'action publique et de l'action civile, les faits ayant été commis le 4 octobre 2008, ne saurait valablement prospérer ;
"et aux motifs adoptés qu'en l'espèce le soit transmis susvisé était accompagné de la plainte de M. Y..., plainte dans laquelle sont articulées et qualifiées les injures reprochées à M. X... ; que ce soit transmis a donc valablement interrompu la prescription de l'action publique ; qu'il en est de même des procès-verbaux d'audition de MM. Y... et X... par les services de police, respectivement en date des 13 et 29 octobre 2008 ; qu'il en résulte que la citation directe délivrée le 22 janvier 2009 et suivie du versement de la consignation ordonnée par jugement du 20 mars 2009 l'a été dans le délai de prescription puisque datant de moins de trois mois après le dernier acte l'ayant interrompue ;
"1) alors que ne répond pas aux exigences de l'article 65, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, le "soit-transmis" adressé par le procureur de la République au commissaire central de police qui se borne à lui demander de «recevoir la plainte et procéder à une enquête», dès lors que le dit soit transmis, quoique comportant la plainte en annexe, n'articule pas et ne qualifie pas lui-même les injures à raison desquels l'enquête est ordonnée ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
"2) alors qu'avant les poursuites, seuls les actes accomplis par une autorité judiciaire ont un effet interruptif de la prescription ; qu'en décidant que la plainte de la victime pouvait pallier les insuffisances du "soit-transmis" adressé par le procureur de la République au commissaire central de police, le 7 octobre 2008, la cour d'appel a violé l'article 65, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;
"3) alors que la cour d'appel ne pouvait sans dénaturer le soit transmis en date du 7 octobre 2008 affirmer que la plainte de M. Y... y était annexée « aux fins de faire corps avec lui », quand ledit soit-transmis se contentait de transmettre la plainte au commissariat pour la recevoir et procéder à une enquête, sans nullement en reprendre les termes à son compte ;
"4) alors, en tout état de cause, que pour revêtir un caractère interruptif, il faut que l'acte considéré articule les propos poursuivis et les qualifie juridiquement ; qu'en l'espèce, la plainte transmise le 7 octobre 2008 ne visait pas la qualité de M. Y... et ne précisait pas non plus qu'il était en charge d'un quelconque mandat public ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait sans violer les textes susvisés, affirmer que ladite plainte avait parfaitement indiqué la qualification juridique des faits poursuivis ;
"5) alors que ne répondent aux exigences de l'article 65, alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, les auditions de témoins survenues avant l'engagement des poursuites, dès lors que seules sont interruptives de prescription les réquisitions aux fins d'enquête à la condition qu'elles articulent et qualifient les injures à raison desquels l'enquête est ordonnée ; qu'aussi, la cour d'appel ne pouvait sans méconnaître ce texte affirmer que les auditions de «MM. Y... et X... respectivement le 13 et 29 octobre 2008 » étaient constitutives d'actes interruptifs au sens des dispositions de l'article 65 avant énoncées" ;
Vu l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
Attendu qu'en matière d'infractions à la loi sur la liberté de la presse, seuls la plainte avec constitution de partie civile, le réquisitoire introductif ou la citation directe répondant aux exigences des articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881 sont susceptibles de mettre en mouvement l'action publique ; que si la prescription peut être interrompue, avant l'engagement des poursuites, par des réquisitions aux fins d'enquête, selon l'alinéa 2 de l'article 65 de ladite loi, c'est à la condition qu'elles articulent et qualifient les faits à raison desquels l'enquête est ordonnée ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, lors d'une conférence de presse donnée le 3 octobre 2008, M. X..., ancien président de la Société d'économie mixte d'aménagement de Nîmes (SENIM), a qualifié M. Y..., adjoint aux finances du maire de Nîmes, qui avait publiquement formulé des critiques sur cette gestion, de "paltoquet" et de "rat d'égout" ; que ces propos ont été rapportés par le journal "Midi Libre" dans son édition du samedi 4 octobre 2008 ;
Attendu que, le 7 octobre 2008, M. Y... a porté plainte auprès du procureur de la République contre M. X... pour injures publiques résultant de l'emploi des termes précités ; que, par soit-transmis du même jour, le procureur de la République a requis une enquête sur ces faits ; que les officiers de police judiciaire ont procédé à l'audition de M. Y... le 13 octobre 2008 et à celle de M. X... le 29 octobre 2008 ; qu'après décision de classement sans suite prise par le procureur de la République, M. Y..., le 26 janvier 2009, a fait citer M. X... devant le tribunal correctionnel pour injures publiques envers une personne chargée d'un mandat public ; que, devant le tribunal, M. X... a présenté un moyen tiré de la prescription de l'action publique au motif, notamment, que le soit-transmis du procureur de la République n'avait pu interrompre cette dernière, en ce qu'il n'articulait ni ne qualifiait les injures à raison desquelles l'enquête était ordonnée ; qu'après avoir écarté l'exception, le tribunal a déclaré le prévenu coupable de l'infraction ; que le prévenu, la partie civile et le ministère public ont interjeté appel de ce jugement ;
Attendu que, pour écarter à nouveau l'exception de prescription, l'arrêt retient que le soit-transmis du procureur de la République répondait aux exigences de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 et constituait une réquisition aux fins d'enquête au sens de ce texte, dès lors que tel était le cas de la plainte qui lui était annexée et faisait corps avec lui ;
Mais attendu qu'en attribuant un effet interruptif de prescription à un acte initial qui, à défaut d'articuler et qualifier lui-même les injures à raison desquelles l'enquête était ordonnée, ne pouvait constituer une réquisition d'enquête au sens de l'article 65, alinéa 2, susvisé, la cour d'appel, qui devait constater que la prescription était acquise à la date de la citation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 18 janvier 2011 ;
DIT que l'action publique et l'action civile sont éteintes par la prescription ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de M. Y..., de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Straehli conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;