LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Saquina X..., épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2010 qui, pour provocation à la discrimination raciale, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 mai 2012 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, MM. Blondet, Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort, Buisson conseillers de la chambre, Mme Divialle, MM. Maziau, Barbier conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Berkani ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN et THOUVENIN, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BERKANI ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, 111-4, 112-1 et 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré une militante politique (Mme Y...) coupable d'avoir provoqué à la discrimination un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une nation et de l'avoir condamnée à la peine de 1 000 euros d'amende ;
"aux motifs que, le 30 mai 2009, un agent de sécurité du magasin Carrefour situé à Mérignac avait vu la prévenue apposer une étiquette auto-collante comportant l'inscription Boycott Israël sur une bouteille de jus d'orange de marque israélienne ; que, lors de l'audience, la prévenue avait reconnu la matérialité des faits mais avait refusé d'admettre qu'ils eussent pu constituer une provocation à la discrimination nationale ; qu'en agissant de la sorte Mme Y... avait incité à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque en opérant une distinction entre les producteurs et fournisseurs de ces produits, en raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël, faits qui constituaient une discrimination à l'égard de ces mêmes personnes et ce, conformément aux jurisprudences de la chambre criminelle et de la Cour européenne des droits de l'homme rappelées ci-dessus ;
"1) alors que le principe conventionnel de la légalité des délits et des peines énoncé à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit d'étendre le champ de l'incrimination à des hypothèses non prévues ; que si, telles qu'introduites par la loi du 30 décembre 2004, les dispositions de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, pris en son alinéa 9ème, sanctionnent les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence, à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, ou de leur orientation sexuelle, voire de leur handicap, en se référant expressément à l'article 225-2 du code pénal visant notamment la discrimination caractérisée par une entrave à l'exercice normal d'une activité économique quelconque, tel n'est pas le cas de l'alinéa 8ème de ce même texte qui ne renvoie pas à cette disposition lorsqu'il incrimine la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, à une nation, à une race ou une religion déterminée ; que la cour d'appel ne pouvait se déterminer par analogie en déclarant la prévenue coupable d'une provocation consistant à entraver une activité économique, en l'occurrence le boycott de produits en provenance d'Israël, en raison de l'appartenance des fabricants à cette nation ;
"2) alors que le délit de provocation à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une nation est une infraction intentionnelle qui suppose la volonté de porter atteinte à la dignité de la personne, laquelle doit être expressément caractérisée ; que la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer qu'en apposant les étiquettes litigieuses la prévenue avait incité à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, en opérant une distinction entre les producteurs et fournisseurs de ces produits, sans établir en quoi elle aurait eu la volonté de leur porter directement atteinte" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 du code de procédure pénale, 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile d'une association (la chambre de commerce France-Israël) et a alloué à celle-ci une somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs, adoptés des premiers juges, que la chambre de commerce France-Israël serait déclarée recevable en sa constitution de partie civile et le préjudice moral sur la base duquel elle se fondait serait réparé par l'allocation d'1 euro de dommages-intérêts ;
"alors que seules les personnes qui font état d'un préjudice personnel et direct causé par l'infraction peuvent être déclarées recevables en leur constitution de partie civile pour obtenir réparation du préjudice subi ; que, par dérogation, seules les associations qui ont notamment pour objet de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique raciale ou religieuse, ont la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les discriminations réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal ; que tel n'était pas le cas en l'espèce puisque si l'article 3-4 des statuts de la chambre de commerce France-Israël stipulait que celle-ci pouvait agir en justice "pour lutter contre toute sorte de discrimination commerciale ou boycott", l'infraction reprochée était étrangère à cette dérogation puisqu'elle incriminait une incitation à la discrimination et non une discrimination effective et consommée prévue par les articles 225-2 et 437-2 du code pénal auxquels se réfère l'article 2-1 du code de procédure pénale ; que la cour d'appel ne pouvait donc s'abstenir tant de répondre aux conclusions de la demanderesse consacrées à l'irrecevabilité de cette constitution de partie civile que de caractériser un préjudice direct et personnel" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 30 mai 2009 à Mérignac, Mme Saquina X..., épouse Y..., a été interpellée à la sortie du magasin Carrefour alors qu'elle venait d'apposer, sur une caisse enregistreuse de cet établissement et sur une bouteille de jus de fruit proposée à la vente, des étiquettes autocollantes portant les mentions " Campagne boycott... Boycott Apartheid Israël..Boycott de tous les produits israéliens.. Principales marques : Carmel, Jaffa, Top, Or, Teva... tant qu'Israël ne respectera pas le droit international" ; qu'à la suite de ces faits, Mme Y... a fait l'objet d'une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; que le tribunal a déclaré la prévention établie et condamné la prévenue à verser des réparations aux associations Avocats sans frontières et Chambre de commerce France Israël, constituées parties civiles ; que Mme Y..., le procureur de la République et les parties civiles ont relevé appel de la décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient qu'en invitant les clients du magasin Carrefour à boycotter tous les produits venant d'Israël, Mme Y... a incité à entraver l'exercice normal d'une activité économique et visé de façon discriminatoire les producteurs et fournisseurs de ces produits en raison de leur appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël ; que les juges ajoutent que la constitution de partie civile de la chambre de commerce France Israël est recevable au regard de ses statuts qui l'autorisent à engager toute action pour lutter contre les discriminations commerciales, et que cette association a subi un préjudice direct et certain à la suite de la commission des faits visés à la prévention ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction et qui répondent aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit des associations Avocats sans frontières et Chambre de commerce France Israël ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mai deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;