LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte au président de l'Autorité de la concurrence de ce qu'il se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Lacroix signalisation, Signature SA, Signature, Sodilor, Franche-Comté signaux ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, que par une décision n° 10-D-39, du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a sanctionné un certain nombre d'entreprises pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce ainsi que 81, paragraphe 1, et 82 du traité CE (devenus 101 et 102 du TFUE) ; qu'outre les sanctions pécuniaires infligées, l'Autorité a prononcé une injonction de publication d'un texte résumant la décision et rappelant que les victimes de ces pratiques disposaient du droit de demander réparation du préjudice qu'elles avaient subi de ce fait, auprès des tribunaux compétents ; qu'à l'occasion du recours qu'elles ont formé contre cette décisions, les sociétés Aximum et SES ont présenté, sur le fondement de l'article L. 464-8, alinéa 2, du code de commerce, une demande tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision et notamment de l'injonction de publication ;
Sur la recevabilité du pourvoi contestée par la défense :
Attendu que par un arrêt du 7 décembre 2010, Vlaamse Federatie van Verenigingen van Brood-en Banketbakkers, Ijsbereiders en Chocoladebewerkers "Vebic" VZW / Raad voor de Mededinging, Minister van Economie (Affaire C-439/08), la Cour de justice de l'Union européenne, a dit pour droit que l'article 35 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui n'accorde pas la faculté à une autorité de concurrence nationale de participer, en tant que partie défenderesse, à une procédure judiciaire dirigée contre la décision dont cette autorité est l'auteur ;
Attendu qu'il s'en déduit que les dispositions de l'article L. 464-8, alinéa 5, du code de commerce selon lesquelles le président de l'autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l'Autorité, doivent s'interpréter comme permettant au président de celle-ci de former un pourvoi contre une décision statuant sur une demande de sursis à exécution formée contre une décision de l'Autorité rendue sur le fondement des dispositions des articles 81 ou 82 CE (devenus 101 et 102 du TFUE) ; que le pourvoi est recevable ;
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu que ce grief ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 464-8, alinéa 3, du code de commerce ;
Attendu que pour dire qu'il sera sursis à la publication prévue à l'article 9 et, "par renvoi, au paragraphe 482 de la décision n° 10-D-39 de l'Autorité de la concurrence, si mieux n'aime celle-ci par tout moyen approprié et en laissant un délai suffisant aux parties à l'alinéa 7, supprimer la deuxième phrase" selon laquelle "l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que les sociétés d'autoroutes victimes du cartel disposent du droit de demander réparation du préjudice qu'elles ont subi de ce fait, auprès des tribunaux compétents", l'ordonnance retient que l'Autorité qui, lorsqu'elle sanctionne, n'a pas compétence pour susciter, recevoir ou traiter les demandes de dommages-intérêts des victimes de pratiques anticoncurrentielles, ne peut décider quoi que ce soit à ce sujet au sens de la disposition susvisée, à peine de laisser apparaître une confusion entre son rôle politique et son rôle juridictionnel ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les termes de l'injonction de publication dont elle a ordonné la suppression étaient susceptibles d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il était intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité, le délégué du premier président a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle a prononcé le sursis à exécution de l'injonction prévue à l'article 9 de la décision n° 10-D-39 de l'Autorité de la concurrence et, "par renvoi, au paragraphe 482 de la décision, si mieux n'aime celle-ci par tout moyen approprié et en laissant un délai suffisant aux parties à l'alinéa 7, supprimer la deuxième phrase ("Mais l'Etat... compétents")", l'ordonnance rendue le 17 mars 2011, entre les parties, par le délégué du premier président de la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Condamne les sociétés Aximum et Sécurité et signalisation aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à l'Autorité de la concurrence la somme globale de 2 500 euros et rejette la demande de la société Aximum ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le conseiller doyen qui en a délibéré, en remplacement du président, à l'audience publique du vingt mars deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils pour le président de l'Autorité de la concurrence
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir dit qu'il sera sursis à la publication prévue à l'article 9 et, par renvoi, au paragraphe 482 de la décision n° 10-D-39 de l'Autorité de la Concurrence, si mieux n'aime celle-ci par tout moyen approprié et en laissant un délai suffisant aux parties :- à l'alinéa 1° dudit paragraphe 482, aux mots « fabricants de panneaux de signalisation routière verticale », substituer l'expression « opérateurs des marchés de panneaux de signalisation routière verticale ou leurs sociétés mères ou filles » ;- à l'alinéa 7, supprimer la deuxième phrase (« Mais l'Etat… tribunaux compétents)
AUX MOTIFS QUE, « sur l'appel à victimes que comporte le communiqué destiné à la publication (§ 482, alinéa 7 in fine de la décision), aux termes de l'article L 464-2 I alinéa 5 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci ; que l'Autorité de la concurrence qui, lorsqu'elle sanctionne, n'a pas compétence pour susciter, recevoir ou traiter les demandes de dommages et intérêts des victimes de pratiques anticoncurrentielles, ne peut décider quoi que ce soit à ce sujet au sens de la disposition susvisée à peine de laisser apparaître une confusion entre son rôle politique et son rôle juridictionnel ; en quoi le moyen invoqué par les requérantes sur ce point sera accueilli ; que les parties ayant agi sur le fondement de l'article L 464-8 du Code de commerce, le premier président ne peut prononcer qu'un sursis et non point ordonner une rectification qui ne relèverait que du pouvoir de l'Autorité dans un premier temps puis du pouvoir de réformation de la Cour elle-même le moment venu ; que néanmoins, et vu l'importance d'une publication rapide pour l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, il sera laissé la possibilité à l'Autorité de la concurrence de rectifier sa prescription dans les termes du dispositif ci-après» (ordonnance pages 5 et 6).
ALORS QUE D'UNE PART, aux termes de l'article L 464-8 du Code de commerce, le premier président de la Cour de Paris ne peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision que si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité ; qu'en ordonnant la suppression de la deuxième phrase de l'alinéa 7 de l'article 482 sans avoir relevé, ni même recherché, si le rappel du droit des victimes d'agir en réparation du préjudice que leur causent les pratiques anticoncurrentielles était susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou si des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité justifiaient le sursis, le premier président a entaché décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L 464-8 du Code de commerce.
ALORS QUE D'AUTRE PART et en tout état de cause, l'Autorité de la concurrence a mission de veiller au libre jeu de la concurrence et d'apporter son concours au fonctionnement concurrentiel des marchés et ce, dans l'intérêt des consommateurs ; que le rappel du droit dont disposent les victimes de pratiques anticoncurrentielles de demander réparation de leur préjudice auprès des tribunaux compétents constitue une information objective ; qu'en décidant le sursis de la publication de ce passage au motif que l'Autorité laisserait ainsi apparaître une confusion entre son rôle politique et son rôle juridictionnel, le premier président a violé les articles L 461-1 I, 464-2 1 alinéa 5 et L 464-8 du Code de commerce.
ALORS QU'ENFIN, le premier président, saisi dans le cadre de l'article L 464-8 du Code de commerce, ne peut subordonner la décision de sursis à exécution au refus de l'Autorité de satisfaire à la modification sollicitée ; qu'en prononçant un sursis « si mieux n'aime » l'Autorité de la concurrence apporter les modifications au dispositif de sa décision, le premier président a excédé les pouvoirs qui lui sont dévolus par l'article L 464-8 du Code de commerce.