LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Paul X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de NOUMÉA, en date du 10 novembre 2011, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de meurtres, violences aggravées et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant rejeté sa demande de mise en liberté ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 février 2012 où étaient présents : M. Louvel président, M. Foulquié conseiller rapporteur, Mme Chanet, MM. Pometan, Moignard, Castel, Raybaud, Mme Caron conseillers de la chambre, Mmes Leprieur, Lazerges, M. Laurent, Mme Carbonaro, M. Barbier conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lacan ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
Sur le rapport de M. le conseiller FOULQUIÉ, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 191, 591, 593, 804 et 824 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a été rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa composée de M. Gaussen, président de la chambre de l'instruction, M. Mesière, conseiller, et Mme Amaudric du Chaffaut, conseiller, désignés par ordonnance du premier président, en date du 29 novembre 2010 ;
"alors que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa doit être composée d'un président de chambre ou d'un conseiller de cette cour et de deux magistrats du siège du ressort de la cour, désignés par le premier président de la cour d'appel ; qu'il résulte d'un décret du 20 juillet 2011 que M. Gaussen a été nommé par le président de la République dans ses fonctions de président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nouméa et qu'il n'était pas en fonction au sein de cette juridiction à la date de l'ordonnance du 29 novembre 2010 visée par l'arrêt attaqué ; que son président n'ayant pas été désigné par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Nouméa, la chambre de l'instruction était irrégulièrement composée et l'arrêt est nul au regard des dispositions précitées" ;
Attendu que la mention de l'arrêt attaqué selon laquelle M. Gaussen exerçait les fonctions de président de la chambre de l'instruction suffit à établir, en l'absence de contestation à l'audience, la régularité de la désignation de ce magistrat ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 144, 198, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué de la chambre de l'instruction a rejeté la demande de mise en liberté de M. X... ;
"aux motifs que les présomptions qui pèsent sur M. X... sont lourdes et portent sur des faits de nature criminelle ; qu'en effet, il est établi que le mis en examen était un des responsables du clan La Roche qui ont organisé les barrages ; qu'il est intervenu au premier barrage et a fait usage d'un fusil de calibre 16 ; que son véhicule a été embouti par des véhicules du clan adverse et qu'il a fait feu à plusieurs reprises avec des balles mais, selon lui, en tirant en l'air ; qu'il reconnaît avoir tiré plusieurs coups de feu sur le second barrage ; qu'il a ordonné d'incendier les véhicules abandonnés par les gens du clan Guahma ; que le mis en examen a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour violences volontaires ; que des risques de représailles contre les auteurs des coups de feu sont à craindre ; que plusieurs personnes impliquées doivent encore être identifiées et entendues ; que les investigations en cours doivent permettre l'identification de l'ensemble des auteurs de tirs, ces affrontements ayant entraîné la mort de quatre personnes et provoqué des blessures graves ayant entraîné des ITT de cinq à quarante-cinq jours ; que ces affrontements ont ravivé des conflits anciens opposant deux clans importants sur l'île de Maré et qu'il est à craindre de nouvelles oppositions qui pourraient prendre la forme d'expédition punitive ; qu'en conséquence, la détention provisoire demeure l'unique moyen de parvenir aux objectifs suivants que les obligations d'un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence, même assortie d'une surveillance électronique, ne permettent pas d'atteindre : - conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité, - empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou ses complices, - protéger le mis en examen, - mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité des infractions et les circonstances de sa commission, en l'occurrence le décès par armes à feu de quatre personnes, ainsi que des blessures graves au préjudice de plusieurs dizaines de personnes ;
"et aux motifs adoptés que les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l'article 137 du code de procédure pénale ; que la détention provisoire de la personne mise en examen est l'unique moyen de la protéger des risques de représailles, s'agissant d'un conflit clanique dont les tensions restent vives entre les communautés, tant à Maré qu'à Nouméa, où les incidents ont encore eu lieu récemment entre des personnes appartenant aux clans en cause, et l'unique moyen de prévenir le renouvellement de l'infraction, en ce que le mis en examen, qui a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour des violences volontaires, a participé activement aux affrontements, comme l'un des responsables du clan de La Roche qui ont mis en place les barrages ; qu'il s'agit d'un affrontement entre communautés appartenant à deux clans différents, qui a entraîné la mort par armes à feu de quatre personnes ainsi que des blessures graves pour plusieurs dizaines de personnes ;
"alors que nul ne doit être détenu dans des conditions constituant un traitement inhumain et dégradant ; que le juge de la détention provisoire ne peut rejeter une demande de mise en liberté motivée par le caractère inhumain et/ou dégradant des conditions d'incarcération du mis en examen sans se prononcer sur l'existence des traitements invoqués et sans déterminer les moyens d'y mettre fin en cas de nécessité du maintien de l'intéressé en détention ; qu'il doit ordonner la mise en liberté s'il ne dispose pas d'autres moyens de faire cesser de tels traitements ; que M. X... faisait valoir que « la Justice connaît maintenant la situation épouvantable dans laquelle se trouvent des individus présumés innocents, que l'on ose encore entasser nécessairement immobiles quasiment 23 heures sur 24 à 6 dans des cellules de 9 ou 11 m2, matelas au sol à quelques centimètres du trou béant des « WC » offert par la maison, ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant » et que « c'est un constat indiscutable, une situation devenue intolérable que subit aussi la majorité du personnel et (…) dont les plus courageux (…) interpellent fermement l'avocat qui s'aventure à franchir le mur de la honte de la République, le mur de l'ancien Bagne du Camp Est, surpeuplé à 250 %, pour l'alerter sur cette situation insupportable en 2011 » ; que ce constat était étayé par les déclarations du contrôleur dépêché sur place en octobre 2011 par le contrôleur général des lieux de privation de liberté ; qu'en se bornant à statuer au regard des dispositions de l'article 144 du code de procédure pénale sans se prononcer sur l'existence du traitement inhumain et/ou dégradant invoqué par le mis en examen et sans déterminer les moyens d'assurer qu'il y soit mis fin, la chambre de l'instruction a violé les articles 3 et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'ensemble des dispositions précitées" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 137-3, 144, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la demande de mise en liberté de M. X... ;
"aux motifs que les présomptions qui pèsent sur M. X... sont lourdes et portent sur des faits de nature criminelle ; qu'en effet, il est établi que le mis en examen était un des responsables du clan La Roche qui ont organisé les barrages ; qu'il est intervenu au premier barrage et a fait usage d'un fusil de calibre 16 ; que son véhicule a été embouti par des véhicules du clan adverse et qu'il a fait feu à plusieurs reprises avec des balles mais, selon lui, en tirant en l'air ; qu'il reconnaît avoir tiré plusieurs coups de feu sur le second barrage ; qu'il a ordonné d'incendier les véhicules abandonnés par les gens du clan Guahma ; que le mis en examen a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour violences volontaires ; que des risques de représailles contre les auteurs des coups de feu sont à craindre ; que plusieurs personnes impliquées doivent encore être identifiées et entendues ; que les investigations en cours doivent permettre l'identification de l'ensemble des auteurs de tirs, ces affrontements ayant entraîné la mort de quatre personnes et provoqué des blessures graves ayant entraîné des ITT de cinq à quarante-cinq jours ; que ces affrontements ont ravivé des conflits anciens opposant deux clans importants sur l'île de Maré et qu'il est à craindre de nouvelles oppositions qui pourraient prendre la forme d'expédition punitive ; qu'en conséquence, la détention provisoire demeure l'unique moyen de parvenir aux objectifs suivants que les obligations d'un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence, même assortie d'une surveillance électronique, ne permettent pas d'atteindre : - conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité, - empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou ses complices, - protéger le mis en examen, - mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité des infractions et les circonstances de sa commission, en l'occurrence le décès par armes à feu de quatre personnes, ainsi que des blessures graves au préjudice de plusieurs dizaines de personnes ;
"et aux motifs adoptés que les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l'article 137 du code de procédure pénale ; que la détention provisoire de la personne mise en examen est l'unique moyen de la protéger des risques de représailles, s'agissant d'un conflit clanique dont les tensions restent vives entre les communautés, tant à Maré qu'à Nouméa, où les incidents ont encore eu lieu récemment entre des personnes appartenant aux clans en cause, et l'unique moyen de prévenir le renouvellement de l'infraction, en ce que le mis en examen, qui a fait l'objet de plusieurs condamnations, notamment pour des violences volontaires, a participé activement aux affrontements, comme l'un des responsables du clan de La Roche qui ont mis en place les barrages ; qu'il s'agit d'un affrontement entre communautés appartenant à deux clans différents, qui a entraîné la mort par armes à feu de quatre personnes ainsi que des blessures graves pour plusieurs dizaines de personnes ;
"1°) alors que la détention provisoire ne peut être ordonnée que s'il est démontré, au regard d'éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs définis par l'article 144 susvisé et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande de mise en liberté de M. X..., que sa détention provisoire demeure l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité, d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices et de protéger le mis en examen, la chambre de l'instruction a eu recours à une motivation stéréotypée ; qu'elle a ainsi violé l'article 144 du code de procédure pénale ;
"2°) alors qu'une demande de mise en liberté ne peut être rejetée que si la détention provisoire constitue l'unique moyen pour empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que leur famille ou une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; qu'en relevant que plusieurs personnes impliquées doivent encore être identifiées et entendues et que des investigations sont en cours pour identifier l'ensemble des auteurs des tirs, circonstances impropres à caractériser la nécessité d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ou leur famille, la chambre de l'instruction a violé l'article 144 précité ;
"3°) alors que la nécessité de faire cesser le trouble à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction ne peut justifier une détention provisoire que si ce trouble est actuel et certain ; qu'en se bornant à constater un simple risque de représailles contre les auteurs des coups de feu et de nouvelles oppositions entre les protagonistes de l'affaire pour juger que la détention est l'unique mesure pour mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public, cet arrêt a violé les textes susvisés ;
"4°) alors qu'en jugeant que des incidents auraient encore eu lieu récemment entre des personnes appartenant aux clans en cause sans préciser la nature et la gravité de ces manquements, la chambre de l'instruction n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public et a donc violé les textes précités" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, qui, faute d'allégation d'éléments propres à la personne concernée, suffisamment graves pour mettre en danger sa santé physique ou mentale, s'est en conséquence déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux seules exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale, a justifié sa décision ;D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf février deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;