LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article L. 3323-4 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 15 avril 2005, puis courant décembre 2005, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) a mis en oeuvre une campagne publicitaire d'affichage ; que soutenant que celle-ci contrevenait aux dispositions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique relatives à la publicité en faveur des boissons alcooliques, l'Association nationale de prévention de l'alcoolisme et addictologie (ANPAA) a assigné le CIBV en interdiction des affiches litigieuses et condamnation au paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que les affiches litigieuses représentent divers professionnels appartenant à la filière de l'élaboration, de la distribution et de la commercialisation de vins de Bordeaux et met en scène des personnes ou des groupes de personnes souriant, jeunes, en tenue de ville, levant le bras en tenant un verre avec une impression manifeste de plaisir et qu'une telle représentation ne peut être utilement reprochée au CIBV dès lors qu'elle n'est pas par elle-même de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d'alcool, étant observé que par essence la publicité s'efforce de présenter le produit concerné sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l'en détourner ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ces constatations que lesdites affiches comportaient des références visuelles étrangères aux seules indications énumérées par l'article L. 3323-4 du code de la santé publique et visaient à promouvoir une image de convivialité associée aux vins de Bordeaux de nature à inciter le consommateur à absorber les produits vantés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 février 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, le condamne à payer à l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois février deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté l' ANPAA de ses demandes tendant à voir dire contraires aux prescriptions des articles L3323-2 et L.3323-4 du code de la santé publique les affiches objets des constats d'huissiers effectués en mai et décembre 2005 et voir interdire sous astreinte au CIVB et à la société INSERT de diffuser ces affiches ou toute publicité identique et voir condamner solidairement ceux-ci à lui verser la somme de 30.000 € à titre de dommages intérêts ;
AUX MOTIFS QUE, le tribunal avait exactement décrit les sept affiches litigieuses mettant en scène des hommes habillés de chemises, de pulls ou des femmes en robes ou en débardeurs ou, pour certaines d'entre elles, un groupe d'hommes et femmes ; que sur ces affiches, chacun des personnages tenait un verre dans la main, rempli d'un liquide de couleur rouge ou blanche et « faisant penser à du vin » rouge ou blanc, et plus précisément du vin de bordeaux, et portant une légende mentionnant le prénom de ces personnages et leur profession, soit de viticulteur ou de négociant à Bordeaux, que certaines affiches portent la mention suivante : « les bordeaux, des personnalités ô découvrir » et les différentes appellations du bordelais, telles « Bordeaux, Bordeaux supérieur, Bordeaux Clairet, Bordeaux rosé, Sainte-Foy Bordeaux, Crémant de Bordeaux » ou « Côtes de Bourg, Côtes de Castillon, Côtes de France, Premières Côtes de Blaye, Première Côtes de Bordeaux, Graves de Vayres » ; que ces présentations étaient suivies en bas d'affiche par une adresse e-mail et le message sanitaire requis ; que le tribunal avait également rappelé à juste titre les dispositions légales issues du principe constitutionnel du droit à la santé inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1947 qui assignait à l'Etat la mission d'assurer un droit à prestations, mais lui imposait également de faire en sorte qu'il n'y soit pas porté atteinte ; que selon l'article L.3323-4 du code de la santé publique issu de l'article 21 de la loi du 23 février 2005, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit. Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que de, f inies à l'article L.11 5-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions ou traités régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit. Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est con forme aux dispositions précédentes. Toute publicité en faveur de boissons alcooliques (.4 doit être assortie d'un message sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé » ; que l'article L.1151 du code de la consommation auquel renvoyait ce texte prévoyait que : « constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels ou des facteurs humains » ; que le bureau de vérification de la publicité, qui était une association de professionnels pour une publicité responsable et qui avait notamment pour objet de définir les bonnes pratiques ainsi que de mettre en oeuvre les règles déontologiques, a préconisé, dans une recommandation « ALCOOL BVP » de juillet 2004, les règles suivantes : « La publicité autorisée pour les boissons alcoolisées est limitée à l'indication. Le terme "indication" permet l'expression publicitaire par le texte, le son ou l'image. La représentation de personnages doit traduire une fonction professionnelle effective, passée ou présente, dans l'élaboration, la distribution ou la présentation du produit au consommateur (sommelier, maître de chai, chef de cuisine, etc....). Cette publicité peut comporter en outre des références relatives aux terroirs de production. Le terme "référence" permet l'expression publicitaire au niveau du texte, du son, ou de l'image ; la notion de terroir s'étend non seulement au lieu de production, mais aussi à tout l'environnement (...), ce sont également les aspects culturels et l'ensemble des éléments types tenant au sol, aux habitudes, aux goûts des hommes, etc.., d'une campagne, d'une région ou d'un pays de production. Le lien avec le produit doit être incontestable. Le message à caractère sanitaire doit être lisible et visible (...). Toutefois, la taille et le corps gras des caractères peuvent être adaptés pour des raisons liées à la taille du support, avec un décalage par rapport au bord de l'annonce d'au moins deux fois la hauteur des lettres et être exprimé selon la formule "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération" ; mais cette formule peut être réduite à la première partie de la phrase pour des raisons de dimension du support » ; que ces recommandations du BVP, si elles n'avaient pas valeur législative ou réglementaire, avaient la portée d'usages professionnels dont le juge devait tenir compte dans la mesure où ils ne contredisaient pas une disposition légale ou professionnelle ; qu'au regard d'une interprétation stricte des dispositions légales, le juge n'avait pas à procéder à une distinction que la loi ne faisait pas et la représentation figurative de professionnels appartenant à la filière de l'élaboration, de la distribution et de la commercialisation des vins de Bordeaux « comme le caractère avenant, souriant, jeune, en tenue de ville, de personnes ou groupe de personnes, présentant différentes marques de vins en levant le bras en tenant un verre, avec une impression manifeste de plaisir » ne pouvaient être utilement reprochés dès lors que les autres exigences de la législation et règlementation applicables étaient respectées, une telle représentation n'étant pas, par elle-même, « de nature à inciter à une consommation abusive et excessive d'alcool », étant observé que par essence la publicité s'efforçait de présenter le produit sous un aspect favorable pour capter la clientèle et non pour l'en détourner ; que de même, il était vain de réduire l'expression « facteurs humains », visés par les articles L.115-1 du code de la consommation aux usages locaux entourant un produit, c'est-à-dire des usages de production spécifique d'une région, en limitant ces facteurs humains aux seuls aspects de la production et à exclure les activités de négociation, de distribution et de commercialisation, en méconnaissant ainsi la transmission d'un savoir-faire personnel entre générations successives qui caractérisaient les professionnels de la filière du vin, y compris dans le domaine de la distribution ; que les affiches litigeuses représentaient différents professionnels de la filière du vin, présentant diverses appellations d'origine des vins de bordeaux, l'objet étant de porter l'attention sur ces différentes appellations d'origine ; qu'enfin, les prescriptions de l'article L.3323-4 du code de la santé avaient été respectées, dès lors que ce texte se borne à évoquer un message précisant que l'abus d'alcool était dangereux pour la santé, mais dont on ne peut déduire une exigence de forme ; que le sens de l'exigence de la loi et l'ajout de l'expression « à consommer avec modération » confirmait la dangerosité potentielle de l'abus d'alcool et ne l'infirmait pas, que seul le sens du message devait figurer sur l'affichage, qu'il devait être tenu compte des usages cités dans les recommandations du BVP qui respectaient parfaitement ces prescriptions ; que l'arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d'origine et leur enregistrement international du 31 octobre 1958, révisé le 14 juillet 1967 et modifié le 29 septembre 1979, avait donné en son article 2-1° la définition suivante pour les appellations d'origine : « on entend par appellation d'origine, au sens du présent arrangement, la dénomination géographique d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus exclusivement ou essentiellement au milieu géographique, comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains » ; que le but recherché par le législateur, par les lois du 10 janvier 1991 et celle du 23 février 2005, relatives à la publicité des boissons alcoolisées, dont l'objet et l'effet avaient été d'assouplir la loi Evin en ce qu'elle avait permis des références aux appellations d'origine et non plus seulement « aux terroirs de production » et « aux distinctions obtenues », était non d'interdire toute publicité, mais d'exclure seulement celle qui inciterait à une consommation abusive d'alcool considérée comme dangereuse pour la santé ; que ces dispositions ne pouvaient qu'être interprétées de manière stricte, dès lors que la faculté pour le producteur ou le négociant de présenter une publicité en faveur de ses produits constituait l'exercice d'un droit qui participait du principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l'industrie, qui ne pouvait être limité que par un principe de même portée, en l'espèce l'obligation de l'Etat de garantir le droit à la santé ; que, par ailleurs, la règlementation communautaire en faveur de la libre circulation des produits imposait au législateur d'exclure toute entrave qui ne serait pas nécessaire, tout en permettant à chaque Etat de définir dans l'ordre interne les limitations nécessaires pour assurer la protection de la santé ; que cette interprétation stricte découlait également de la sanction pénale attachée au non-respect des dispositions restrictives attachées à la publicité pour les boissons alcoolisées :
ALORS QU' aux termes de l'article L.3323-4 du code de la santé publique, la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et dépositaires, ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, durant les mois de mai et de décembre 2005, un huissier de justice, mandaté par l' ANPAA, a constaté l'apposition sur des panneaux publicitaires d'une série de sept affiches mettant en scène des personnages souriants, hommes et femmes, habillés en tenue non professionnelle et tenant un verre de vin à la main ou levant celui-ci, dans une attitude conviviale ; qu'il en résultait que lesdites affiches comportaient des références visuelles, étrangères aux strictes indications énumérées par l'article L.3323-4 précité, destinées en réalité à inciter le consommateur à absorber le produit ainsi vanté, en ce qu'il lui permettrait d'accéder à des moments de joie et de convivialité, présentés comme intimement associés à la consommation d'une boisson alcoolique supposée les favoriser : qu'en refusant de tirer de ses propres constatations les conséquences légales qui en découlaient. la cour d'appel a violé le texte précité.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté l' ANPAA de ses demandes tendant à voir dire contraires aux prescriptions des articles L.3323-2 et L.3323-4 du code de la santé publique les affiches objets des constats d'huissiers intervenus en mai et décembre 2005 et voir interdire sous astreinte le CIVB et à la société INSERT de diffuser ces affiches ou toute publicité identique et voir condamner solidairement celles-ci à lui verser la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE, les prescriptions de l'article L.3323-4 du code de la santé publique ont été respectées dès lors que ce texte se borne à délivrer un message à caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé, mais qu'il ne saurait être déduit du texte précité que la forme en est imposée, « l'exigence ne visant que le sens du texte », qu'il convient de prendre en compte les recommandations du Bureau de vérification de la publicité « indiquant avec une grande précision de détails la forme que doit prendre le message et qui respecte le sens de l'exigence de la loi » et que l'ajout de l'expression « à consommer avec modération, outre qu'elle est précisément évoquée par cette recommandation, confirme la dangerosité potentielle de l'abus d'alcool et ne l'infirme pas, les termes de "modération" et "d'abus" étant précisément antithétiques et qu'il y aurait lieu de s'attacher à la portée de l'ensemble du message dont s'agit » ;
ALORS QUE, selon l'article L.3323-4 du code de la santé publique. « toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarif.', menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé » ; qu'il résulte de ces prescriptions que la mention « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé » doit figurer sur les publicités en faveur des boissons alcooliques et qu'il ne doit y être adjoint aucune formule qui en amoindrirait la portée ; que pour avoir décidé le contraire, en considérant que seul « le sens » de cette exigence de mise en garde de la dangerosité de l'abus d'alcool devait figurer sur les affichages dont s'agit, la cour d'appel a violé le texte susvisé.