LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2010), qu'entre février 1989 et mai 2000, Jean-Marie X... a versé à son fils, Jean-Albert, des sommes d'un montant total de 73 518,523 euros, soit une moyenne de 6 534,98 euros par an et de 544,58 euros par mois ; que Simone Y... et Jean-Marie X..., son mari, sont respectivement décédés les 9 avril 2001 et 13 novembre 2002 en laissant pour leur succéder leurs trois enfants, Jean-Albert, Jacques et Alain ; que, par testament olographe, Jean-Marie X... a légué la quotité disponible de sa succession à son fils Alain et ses trois petits-enfants, Xavier, Nicolas et Evelyne ; que, par jugement du 19 juin 2009, le tribunal de grande instance d'Evry a, notamment, ordonné le rapport à la succession de l'ensemble des sommes d'argent reçues par chacun des héritiers des époux X... ;
Attendu que M. Alain X... fait grief à l'arrêt de dire que les sommes versées entre février 1989 et mai 2000 par Jean-Marie X... à M. Jean-Albert X... constituaient des frais d'entretien non rapportables à la succession, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 852 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, "les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et présents d'usage, ne doivent pas être rapportés", ce régime dérogatoire n'étant justifié que par la modicité de l'avantage consenti ; que dans ses conclusions d'appel (signifiées le 1er juin 2010, p. 3 in fine), M. Alain X... rappelait que les sommes versées par Jean-Marie X... à son fils Jean-Albert constituaient "45 % de l'actif successoral" ; qu'en décidant que les sommes versées par Jean-Marie X... à son fils M. Jean-Albert X... constituaient des frais d'entretien non rapportables à la succession, tout en constatant la permanence des versements (qui s'étalent sur plus de dix ans) et le montant total de la dépense (73 518,53 euros) (arrêt attaqué, p. 5 § 1), éléments qui excluaient le caractère de "modicité" exigé pour la mise en oeuvre du régime dérogatoire susvisé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 852 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que Jean-Marie X... et son fils, Jean-Albert, avaient fait figurer les sommes versées dans leurs déclarations fiscales, qu'il résultait des affirmations de celui-ci que les sommes versées constituaient la plus grande partie de ses revenus et retenu qu'il importait peu que les sommes litigieuses fussent susceptibles de représenter une part importante de l'actif successoral dès lors qu'elles devaient s'apprécier au regard des revenus du disposant, c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel, tirant les conséquences légales de ses constatations, a estimé que ces sommes constituaient des frais d'entretien représentant l'expression d'un devoir familial sans pour autant entraîner un appauvrissement significatif du disposant, de sorte qu'elles n'étaient pas rapportables à la succession ; que le moyen ne peut donc pas être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Alain X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de M. Alain X... et le condamne à payer à la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme Evelyne X... et de MM. Nicolas et Jean-Albert X..., la somme totale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. Alain X....
Il est reproché à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir dit que les sommes versées entre février 1989 et mai 2000 par Jean-Marie X... à M. Jean-Albert X... constituaient des frais d'entretien non rapportables à la succession ;
AUX MOTIFS QU' il est constant que, de février 1989 à mai 2000, Jean-Marie X... a versé régulièrement à son fils Jean-Albert des sommes dont le montant s'est élevé à 73.518,53 €, soit à une moyenne de 6.534,98 € par an et de 544,58 € par mois ; que Jean-Marie X... et son fils ont fait figurer les sommes versées dans leurs déclarations fiscales, ainsi qu'il résulte des déclarations de M. Jean-Albert X... au titre des années 1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1999 et 2000 et d'une lettre datée du 31 janvier 2001 et adressée à son fils dans laquelle Jean-Marie X... évoque lui-même spécifiquement la déclaration fiscale de l'année 1999 et « la pension alimentaire pour vous » ; qu'il résulte des déclarations fiscales de Jean-Albert X... que les sommes versées constituaient la plus grande partie de ses revenus ; qu'en effet, lui-même ne percevait qu'une allocation adulte handicapé et des allocations familiales pour vivre avec son épouse et ses deux enfants ; que, si M. Jean-Albert X..., M. Nicolas X... et Mlle Evelyne X..., comme M. Jacques X... en première instance, soutiennent que les revenus de Jean-Marie X... au cours de cette période étaient de l'ordre de 8.000 €, M. Alain X..., qui est le seul à solliciter le rapport des sommes versées, prétend que ces revenus s'élevaient à 3.891,89 €, sans qu'aucune des parties ne fasse la preuve de ses allégations, le relevé de compte produit par M. Alain X... étant à cet égard insuffisant ; que la lettre datée du 14 mai 1992 par laquelle Simone X... a écrit : « Mon mari leur i.e. M. Jean-Albert X... et son épouse a dit à de nombreuses occasions que le travail était bénéfique pour la santé, n'importe quel travail » est sans effet sur la qualification de pensions alimentaires et leur caractère éventuellement non rapportable ; qu'il importe peu que, dans son testament, Jean-Marie X... n'ait pas expressément prévu une dispense de rapport des sommes versées, dès lors qu'est ici invoquée une disposition légale (article 852 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 2006) prévoyant le caractère non rapportable des frais d'entretien ; qu'il importe peu également que les sommes versées soient susceptibles de représenter une part importante de l'actif successoral, dès lors que les sommes versées doivent s'apprécier au regard des revenus du disposant ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que les sommes versées par Jean-Marie X... à son fils Jean-Albert ont constitué des frais d'entretien et ont représenté l'expression d'un devoir familial, sans pour autant entraîner, quel que soit le montant retenu, un appauvrissement significatif du disposant, de sorte qu'elles ne sont pas rapportables à la succession ;
ALORS QU' aux termes de l'article 852 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, « les frais de nourriture, d'entretien, d'éducation, d'apprentissage, les frais ordinaires d'équipement, ceux de noces et présents d'usage, ne doivent pas être rapportés », ce régime dérogatoire n'étant justifié que par la modicité de l'avantage consenti ; que dans ses conclusions d'appel (signifiées le 1er juin 2010, p. 3 in fine), M. Alain X... rappelait que les sommes versées par Jean-Marie X... à son fils Jean-Albert constituaient « 45 % de l'actif successoral » ; qu'en décidant que les sommes versées par Jean-Marie X... à son fils M. Jean-Albert X... constituaient des frais d'entretien non rapportables à la succession, tout en constatant la permanence des versements (qui s'étalent sur plus de dix ans) et le montant total de la dépense (73.518,53 €) (arrêt attaqué, p. 5 § 1), éléments qui excluaient le caractère de « modicité » exigé pour la mise en oeuvre du régime dérogatoire susvisé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 852 du code civil.