LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 222-16 du code pénal et 2270-1 du code civil alors applicable, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que, le 19 juillet 2006, M. X... a laissé sur le répondeur téléphonique de M. et Mme Y... deux messages, le premier à 21 heures 25, le second à 21 heures 34 ; que M. et Mme Y..., estimant que M. X... avait commis une faute, au sens de l'article 1382 du code civil, en raison du caractère malveillant de ces messages, l'ont assigné le 29 octobre 2007 devant un tribunal d'instance en réparation de leur préjudice moral ;
Attendu que pour déclarer prescrite la demande d'indemnisation de M. et Mme Y..., l'arrêt énonce que l'action civile en réparation fondée sur l'article 1382 du code civil n'est recevable que si les faits invoqués à l'appui de cette action sont distincts de ceux qui constituent une infraction prévue et réprimée par la loi du 29 juillet 1881 ; que les propos tenus par M. X... constituent la contravention d'injure non publique de l'article R. 621-2 du code pénal ; qu'en application de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, l'action en réparation du dommage qui en résulte se prescrit par trois mois révolus à compter du jour où les faits ont été commis ou du jour du dernier acte de poursuite ; qu'en l'espèce, l'action, engagée le 29 octobre 2007, est prescrite ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que M. et Mme Y... avaient reçu deux appels téléphoniques au contenu agressif et ordurier, caractérisant ainsi la commission par M. X... des éléments constitutifs du délit d'appels téléphoniques malveillants réitérés en vue de troubler la tranquillité d'autrui, prévu et réprimé par l'article 222-16 du code pénal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. X... à payer à M. et Mme Y... la somme globale de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat de M. et Mme Y...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite, sur le fondement de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, l'action de victimes d'appels téléphoniques malveillants (M. et Mme Y..., les exposants) tendant à voir condamner leur auteur (M. X...) à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leur dommage moral ;
AUX MOTIFS QUE l'action civile en réparation fondée sur l'article 1382 du code civil n'était recevable que si les faits invoqués à l'appui de cette action étaient distincts de ceux qui constituaient une infraction prévue et réprimée par la loi du 29 juillet 1881 ; qu'il ressortait du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 1er décembre 2006 que M. X... avait laissé sur le répondeur téléphonique des époux Y... deux messages enregistrés le 19 juillet 2006 à 21 heures 25 et à 21 heures 34 ; que le premier juge avait qualifié à raison les propos tenus par M. X... d'injures non publiques, ce qui constituait la contravention prévue et réprimée à l'article R. 621-2 du code pénal ; qu'en effet, la définition de l'injure était donnée à l'alinéa 2 (sic) de la loi du 29 juillet 1881 comme étant toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renfermait l'imputation d'aucun fait ; que force était de constater que les époux Y... considéraient avoir été outragés ; qu'ils ne pouvaient se prévaloir du délit d'outrage édicté aux articles 433-5 et 434-24 du code pénal, n'ayant pas la qualité de personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public ; qu'il importait peu que les propos pussent revêtir la qualification d'une autre infraction dès lors qu'ils étaient constitutifs d'une infraction réprimée par la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en conséquence l'action en réparation engagée par les époux Y... trouvant sa cause dans un fait correspondant à la définition de l'une des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881, était soumise au régime de prescription défini à l'article 65 de cette loi ; que l'action civile résultant des crimes et délits prévus par ladite loi se prescrivait par trois mois à compter du jour où ils avaient été commis ou du dernier acte de poursuite ; que l'action engagée le 29 octobre 2007, plus de trois mois après le dernier acte de procédure, était prescrite (arrêt attaqué, p. 2, motifs, et p. 3) ;
ALORS QUE deux appels téléphoniques malveillants successifs destinés à troubler la tranquillité d'autrui sont constitutifs du délit d'appels téléphoniques malveillants réprimé par l'article 222-16 du code pénal ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que les demandeurs en réparation avaient subi de la part du défendeur deux appels téléphoniques successifs au contenu agressif et ordurier, ainsi constitutifs du délit d'appels téléphoniques malveillants ; qu'en retenant cependant que ces faits correspondaient à une contravention visée par la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 222-16 du code pénal, l'article 8 du code de procédure pénale et l'article 1382 du code civil ;
ALORS QUE, en toute hypothèse, si elle est soumise à la prescription de la loi du 29 juillet 1881, la contravention d'injures non publiques n'est pas réprimée par ce texte mais par l'article R. 621-2 du code pénal ; qu'en considérant que les faits litigieux ne pouvaient revêtir une qualification pénale autre que celle de la contravention d'injures non publiques pour la raison que cette infraction est réprimée par la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé les articles 222-16 et R 621-2 du code pénal ainsi que l'article 1382 du code civil.