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30/06/2011 | FRANCE | N°10-30838

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 30 juin 2011, 10-30838


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 mai 2010), que Mme X... a été interdite de jeux à sa demande par l'autorité administrative à compter du 8 janvier 2001, pour une durée de cinq ans ; qu'ayant cependant continué à fréquenter les salles de jeux de la société du Casino de La Baule (la société) jusqu'en 2004, en y accumulant des pertes, Mme X..., a assigné la société en dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;
Attendu que l

a société fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de Mme X... et de la con...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 12 mai 2010), que Mme X... a été interdite de jeux à sa demande par l'autorité administrative à compter du 8 janvier 2001, pour une durée de cinq ans ; qu'ayant cependant continué à fréquenter les salles de jeux de la société du Casino de La Baule (la société) jusqu'en 2004, en y accumulant des pertes, Mme X..., a assigné la société en dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de Mme X... et de la condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ qu'une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites ; qu'en indemnisant le préjudice allégué par Mme X... résultant des pertes de jeux qu'elle avait subies, quand elle constatait que le contrat de jeu la liant à Mme X... était nul comme reposant sur une cause illicite du fait de l'inscription de cette personne sur la liste nationale des personnes exclues des salles de jeux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions de l'article 1382 du code civil ;
2°/ que ne commet aucune faute l'établissement de jeux qui exploite ses machines à sous dans une pièce qui y est spécialement dédiée et dont aucune prescription légale ou réglementaire ne soumet l'accès à une vérification d'identité ; qu'en considérant qu'elle avait commis une faute engageant sa responsabilité en n'instaurant pas de pratiques propres à interdire l'accès à cette salle aux personnes figurant sur la liste nationale des personnes exclues des salles de jeux, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 14 du décret du 22 décembre 1959 dans sa rédaction antérieure au décret du 13 décembre 2006 et l'article 22 de l'arrêté du 23 décembre 1959 ;
Mais attendu que l'arrêt retient que Mme X... ne demande pas le règlement de sommes gagnées au jeu; que la société n'a pris aucune disposition pour assurer l'efficacité de la mesure d'exclusion des salles de jeux concernant Mme X... en raison de son addiction au jeu ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que Mme X... n'était pas privée d'un intérêt légitime à agir et qu'était caractérisée une abstention fautive de la société, génératrice d'un préjudice réparable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société d'exploitation du casino de La Baule dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Société d'exploitation du casino de La Baule ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils pour la Société d'exploitation du casino de la Baule
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable l'action de Madame Catherine X... et d'avoir condamné la SE DU CASINO DE LA BAULE à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « son intérêt à agir au sens de l'article 122 du Code de Procédure Civile doit être admis, la perte patrimoniale alléguée donnant à son action un objet et une cause tout à fait évidents (…) » ;
« qu'il appartient à Madame Catherine X... de démontrer que son dommage résulte d'une faute commise par la SE Casino de LA BAULE selon les règles usuelles qui découlent de la mise en jeu de l'article 1382 du Code Civil.
A cet égard, il convient de remarquer que la pièce 7 communiquée par l'appelante (Lettre datée du 24 juillet 2001 adressée au "'Casino de LA BAULE" ainsi libellée : « Madame, Monsieur, Je vous adresse ci-joint ma photo, afin de ne plus aller dilapider mon argent chez vous puisque je suis interdite de jeux depuis janvier 2001 ») ne fait sans doute pas preuve en elle-même de ce que l'appelante a disposé à cette date d'un élément permettant d'identifier l'intéressée comme l'un des interdits de jeux dont elle avait reçu la liste nationale à partir du 8 janvier 2001 (Cf. lettre de l'Attaché à la Direction des Libertés Publiques notifiée à l'intimée le 24 Janvier 2001).
Elle vaut preuve cependant par sa date du moment à partir duquel, déjà défaillante et consciente de l'absence de l'absence de réaction des personnels des salles de jeux fréquentées, Madame Catherine X... a, dans un instant de lucidité, après avoir perdu 2 000 francs le 22 juin 2001 puis 2 000 francs le 30 juin suivant et encore 1 200 francs le 21 juillet, soit 5 200 francs en un mois, compris l'urgence d'une intervention auprès des établissements de jeux : cette conjonction des événements, significative, donne donc crédit à l'allégation de l'intimée selon laquelle cette lettre a bien été envoyée.
En admettant même qu'elle a été égarée à un niveau quelconque de la procédure de transmission avant même que l'appelante ne la reçoive, cette circonstance est indifférente car celle-ci a, à l'évidence, commis une faute en laissant Madame Catherine X... s'adonner au jeu de manière aussi régulière que celle que révèle la quarantaine de passages répertoriés en pages 11 à 15 de ses ultimes conclusions.
En effet, sauf à nier l'intérêt du protocole de protection réglementaire évoqué par celle-ci tel qu'en vigueur avant la publication du décret du13 décembre 2006, l'appelante ne peut être admise à prétendre qu'elle avait le loisir de rester indifférente devant les agissements de certains joueurs assidus passant des soirées entières jusqu'au matin devant les machines a sous et, donc, dépensant forcément des sommes non négligeables.
Suivrait-on l'appelante dans sa démonstration du contenu littéral d'une réglementation aussi complexe que, à l'évidence, inefficace au plan pratique, qui fixait les conditions d'accès aux différentes salles de jeux en fonction de la supposée dangerosité des engagements qui pouvaient y être souscrits, qu'il n'en reste pas moins que le régime de protection instauré par l'Autorité Publique lui imposait un minimum de diligence afin de prévenir certaines attitudes évidemment suspectes.
A cet égard, l'exigence de la production d'une pièce d'identité, démarche sans doute interdite et, en tout cas sujette à controverse puisqu'elle n'a été imposée que par le Décret du 13 décembre 2006 qui a réécrit l'article 14 du décret du 22 décembre 1959, ne pouvait être la seule réponse au souci, prétendument pris en compte par les gérants des établissements de jeux, d'assurer une efficacité minimale au protocole de protection mis en place sous couvert de la « requête en interdiction » laissée à l'initiative des joueurs impénitents.
L'existence même de contrôles pour l'accès à certaines salles de jeux donnait à l'appelante une compétence certaine pour exercer une surveillance vigilante des machines à sous : les « physionomistes », personnels spécialisés, peuvent facilement enregistrer les clients les plus assidus de certains établissements de nuit et dans d'autres contextes leur intervention est requise pour évincer les éléments perturbateurs.
La circonstance que, dans ce cas, l'action est requise dans l'intérêt de l'établissement et de sa clientèle alors que toute intervention dans une salle de machines à sous n'a, a priori, lieu d'être que pour éveiller l'attention des joueurs sur leur attitude, dans leur seul interêt, ne fait que démontrer que contrairement à ce qu'elle soutient, la SE Casino de LA BAULE, avait la possibilité de prévenir le dommage survenu en l'espèce : il lui suffisait de donner à son personnel la consigne de repérer les clients d'habitude, d'entrer en contact avec ces derniers avec le tact requis en toutes circonstances.
Il ressort d'ailleurs du rapport d'information qu'elle produit attribué à Monsieur le sénateur TRUCY (document remontant à 2001-2002) qu'il était connu à l'époque que (pages 127 à 129) « Pourtant, dans les salles qui accueillent ces slots machines, il y a déjà, c'est notoire, nombre de « joueurs compulsifs » et de « surendettés » : les directeurs les connaissent, les observent et tentent de les aider mais n'ont pas à leur disposition la réglementation adaptée ».
Au regard des termes de la lettre communiquée par l'intimée en date du 24 juillet 2001 il ne fait aucun doute qu'une telle prise de contact aurait abouti à un dialogue fructueux pour cette dernière.
Quoi qu'il en soit du contenu des actions de formation suivies par ses personnels de salle qu'elle soutient avoir assurées, il reste que la défaillance et faute de la Société d'Exploitation du Casino de LA BAULE est établie par le seul fait,
- que malgré ces actions manifestement peu efficaces à leur début, soit entre 2001 et 2004, malgré une fréquentation régulière de son établissement durant 4 années entre janvier 2001 et août 2004, malgré une quarantaine de passages de Madame Catherine. X... à tout heure du jour ou de la nuit, fait démontrant une activité débridée, compulsive, elle est incapable de verser aux débats la moindre attestation d'un membre de ses personnels attestant qu'il a reconnu sur photographie communiquée en cours de procédure une cliente assidue auprès de laquelle il serait, en vain, intervenu,
- qu'elle n'est pas plus capable d'établir qu'une surveillance ciblée exercée dans les conditions exposées ci-dessus était en vigueur dans la salle des machines à sous plusieurs années avant que.la réglementation n'instaure un véritable contrôle donnant un cadre légal à ses initiatives devenues, dès lors, inutiles,
- que l'effectivité de la mise en oeuvre des mesures arrêtées par la profession sur le site du Casino de LA BAUL.E n'est donc pas démontrée par les seules pièces communiquées.
Cette négligence, défaillance dans la mise en oeuvre d'une seule mesure propre à permettre d'exploiter utilement les documents communiqués par le Ministère de l'Intérieur (« liste des interdits ») dans les salles réservées aux machines à sous est donc, dans le cas d'espèce au regard de la durée et fréquence avec laquelle Madame Catherine X... a franchi le seuil de la salle réservée auxdites machines en relation directe de cause à effet avec l'important préjudice que celle-ci a subi.
Ces motifs, et ceux, tout à fait pertinents, du Premier Juge tirés de la formulation générale du dernier alinéa de l'article 14 du décret du 22 décembre 1959 qui donnait entre 2001 et 2004 un cadre juridique objectif à la surveillance de toutes les salles de jeux, même réservées aux seules machines à sous, conduisent à confirmer en son principe le jugement en ce qu'il relève l'évidente carence de l'appelante en la matière, source de responsabilité civile au regard des dispositions de l'article 1382 du Code Civil » ;
Il convient en conséquence de condamner la SE DU CASINO DE LA BAULE à payer les sommes de 1.450 € et 11.904 € ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Mme Catherine X... agit sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil et conteste l'existence de relations contractuelles entre le casino de La Baule et ellemême.
Aux termes des dispositions de l'article 1108 du Code civil, quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention, le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans l'obligation.
Mme Catherine X... étant interdite de jeux, elle ne pouvait s'engager avec la société casino de La Baule, cette cause étant illicite compte tenu de son interdiction.
C'est donc à juste titre qu'elle a fondé sa demande sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil et l'article 14 du décret numéro 59 - 1489 du 22 décembre 1959.
Il convient dès lors d'examiner ces demandes. » ;
ET AUX MOTIFS EGALEMENT ADOPTES QU' « Aux termes des dispositions de l'article 14 alinéa 3 du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les stations thermales balnéaires et climatiques l'accès aux salles de jeux est interdit à toute personne dont le ministère a requis l'exclusion dans des conditions fixées par décret.
Mme Catherine X... a fait l'objet d'un arrêté d'exclusion des salles de jeux par le ministère de l'intérieur et il n'est pas contesté que malgré cette interdiction le casino de La Baule lui a permis l'accès à ces salles de jeux jusqu'en 2004.
Si la réglementation prévoit des modalités de contrôle différentes selon les salles de jeu, il ressort clairement de l'alinéa trois de l'article 14 du décret du 22 décembre 1959 que l'interdiction émise par le ministère de l'intérieur vaut pour toutes les salles.
En conséquence suite à la notification qui lui a été faite concernant l'interdiction de jeux mise en place pour mme Catherine X... la société d'exploitation du casino de La Baule devait mettre en oeuvre des moyens propres à en assurer le respect. Or il résulte des pièces versées au débat et non contestées et notamment des attestations, que mme Catherine X... a pu accéder sans contrôle à la salle des machines à sous et qu'elle a retiré des jetons avec des espèces sans qu'aucun contrôle ne soit effectué sur son identité.
Il convient de rappeler que l'accès est également interdit aux mineurs et aux personnes en état d'ébriété et il n'appartient pas au tribunal de déterminer les moyens à mettre en place par le casino pour faire respecter la législation, celui-ci ayant pour obligation de respecter cette législation et de se donner les moyens pour ne pas enfreindre la loi.
Le tribunal ne peut dès lors que constater que la société d'exploitation du casino de La Baule a manqué à son obligation de s'assurer qu'une personne interdite de jeux ne pouvait accéder à aucune de ces salles de jeux et qu'ainsi elle a commis une faute.
Il convient de rappeler que la mesure d'interdiction délivrée par le ministère de l'intérieur a pour objectif de protéger les joueurs qui n'ont pas la volonté suffisante pour s'interdire eux-mêmes l'accès aux salles de jeux.
Le non-respect par le casino de cette interdiction a eu pour conséquence la possibilité de mme Catherine X... de jouer et donc de perdre et de subir un dommage. » ;
1°) ALORS QU' une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites ; qu'en indemnisant le préjudice allégué par Madame Catherine X... résultant des pertes de jeux qu'elle avait subies, quand elle constatait que le contrat de jeu liant Madame X... à la SE DU CASINO DE LA BAULE était nul comme reposant sur une cause illicite du fait de l'inscription de cette personne sur la liste nationale des personnes exclues des salles de jeux, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions de l'article 1382 du Code civil ;
2°) ET ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE ne commet aucune faute l'établissement de jeux qui exploite ses machines à sous dans une pièce qui y est spécialement dédiée et dont aucune prescription légale ou réglementaire ne soumet l'accès à une vérification d'identité ; qu'en considérant que la SE DU CASINO DE LA BAULE avait commis une faute engageant sa responsabilité en n'instaurant pas de pratiques propres à interdire l'accès à cette salle aux personnes figurant sur la liste nationale des personnes exclues des salles de jeux, la Cour d‘appel a violé l'article 1382 du Code Civil, ensemble l'article 14 du Décret du 22 décembre 1959 dans sa rédaction antérieure au décret du 13 décembre 2006 et l'article 22 de l'arrêté du 23 décembre 1959 ;


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 10-30838
Date de la décision : 30/06/2011
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Personnes pouvant l'obtenir - Personnes justifiant d'un intérêt légitime - Personne interdite de casino demandant paiement de dommages-intérêts à la société d'exploitation du casino fautive

En application des articles 1382 du code civil, 14 du décret du 22 décembre 1959, dans sa rédaction antérieure au décret du 13 décembre 2006, et 22 de l'arrêté du 23 décembre 1959, justifie d'un intérêt légitime à agir la personne interdite de casino qui demande paiement de dommages-intérêts à la société d'exploitation du casino, fautive de n'avoir pris aucune disposition pour assurer l'efficacité de la mesure d'exclusion des salles de jeux prononcée, à sa demande, par l'autorité administrative


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 12 mai 2010

Sur la licéité des gains d'une personne interdite de casino, à rapprocher de :2e Civ, 22 février 2007, pourvoi n° 06-10131, Bull. 2007, II, n° 49 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 30 jui. 2011, pourvoi n°10-30838, Bull. civ. 2011, II, n° 146
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2011, II, n° 146

Composition du Tribunal
Président : M. Loriferne
Avocat général : M. Lautru
Rapporteur ?: M. Grellier
Avocat(s) : SCP Hémery et Thomas-Raquin, SCP Odent et Poulet

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2012
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2011:10.30838
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