LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 8 janvier 2010), que par décision du 4 février 1998, M. X..., salarié de la Direction des constructions navales de Cherbourg (DCN) a été reconnu atteint d'une hypoacousie bilatérale, maladie professionnelle prise en charge au titre du tableau n° 42 des maladies professionnelles ; qu'il a sollicité la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, d'une aggravation de cette affection, constatée par un certificat médical du 10 février 2003 ; que par un arrêt du 27 avril 2007, la cour d'appel de Caen a dit que l'aggravation de sa surdité devait être prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles ; que le 9 février 2005, il a formé une demande de conciliation dans le cadre d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, que le service des pensions aux armées a rejeté sa demande, comme prescrite ; qu'il a saisi la juridiction de sécurité sociale d'un recours ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt de déclarer non prescrite l'action de M. X..., dire que l'aggravation de la maladie professionnelle constatée par le certificat médical initial du 10 février 2003 résultait de la faute inexcusable de l'employeur, ordonner la majoration de la rente et fixer l'indemnité des préjudices extrapatrimoniaux, alors, selon le moyen, que lorsque la maladie professionnelle est liée à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire s'ils agissent en constatation de cette faute dans les délais prévus à l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale ; que l'aggravation d'une maladie professionnelle ne saurait rouvrir ce délai pour agir en déclaration d'une faute inexcusable, dès lors que cette action était éteinte, s'agissant de la maladie dont l'aggravation est alléguée ; qu'en jugeant que si M. X... était "forclos pour faire reconnaître la faute inexcusable concernant la première maladie professionnelle du tableau 42 prise en charge le 4 février 1998" il était en revanche recevable pour agir en déclaration de la faute inexcusable en relation avec l'aggravation de cette maladie professionnelle, les juges du fond ont violé les articles L. 461-1, L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que l'aggravation de l'hypoacousie de perception désignée au tableau n° 42 des maladies professionnelles n'est prise en charge, aux termes même de ce tableau, qu'en cas de nouvelle exposition aux bruits lésionnels, qu'elle n'est donc pas en lien de causalité direct et exclusif avec le traumatisme initial et ne résulte pas de l'évolution spontanée des séquelles de la première maladie prise en charge ;
Que de ces énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que si M. X... était forclos pour faire reconnaître la faute inexcusable concernant la première maladie professionnelle du tableau n° 42 prise en charge le 4 février 1998, la demande d'indemnisation complémentaire sur le fondement des articles L. 451-2 et suivants du code de la sécurité sociale, concernant les conditions de la nouvelle exposition au risque en relation avec l'aggravation de la déficience auditive constatée par certificat médical du 10 février 2003 était recevable ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen, que la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de son employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction a droit à une indemnisation complémentaire mais uniquement pour les préjudices causés par cette maladie ; qu'en évaluant à 25 000 euros le préjudice moral de M. X... après avoir constaté que ce préjudice comprenait "des origines familiales étrangères à l'exposition aux risques, liées notamment à l'état de santé de l'épouse de la victime ", les juges du fond ont ordonné la réparation d'une partie du dommage qui ne trouvait pas sa source dans la maladie professionnelle de M. X... et ont, ce faisant, violé les articles L. 461-1, L. 452-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que l'arrêt relève que M. X... justifiait d'un syndrome dépressif en relation avec sa maladie professionnelle et son évolution, que les pièces produites démontraient un isolement et un handicap certain aux relations sociales ;
Qu'appréciant souverainement la portée et la valeur des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel a pu décider qu'en raison de l'état préexistant du taux d'incapacité reconnu après la prise en charge de la première maladie professionnelle non imputable à la faute inexcusable et d'une aggravation de la surdité résultant pour moitié du vieillissement de l'oreille, abstraction faite des origines familiales étrangères à l'exposition au risque, la souffrance morale devait être évaluée à une certaine somme qu'elle a souverainement fixée ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Trésor public aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'agent judiciaire du Trésor, le condamne à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour l'agent judiciaire du Trésor.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré non prescrite l'action de M. X... en reconnaissance de la faute inexcusable afférente à l'aggravation de la maladie professionnelle, dit que l'aggravation de la maladie professionnelle constatée par le certificat médical initial du 10 février 2003 et reconnu par l'arrêt de la cour d'appel du 27 avril 2007 résultait de la faute inexcusable de l'employeur, la direction des constructions navales, ordonné la majoration de la part de la rente résultant de cette aggravation et fixé l'indemnité des préjudices extrapatrimoniaux ;
AUX MOTIFS QUE « le 4 février 1998,k la CPAM a pris en charge au titre des maladies professionnelles (maladie du tableau 420), une hypoacousie bilatérale déclarée le 23 avril 1996 par Monsieur X... ; que ce dernier faisant valoir une nouvelle exposition au risque entre juin 1996 et au moins novembre 2000 ayant entendre une aggravation de sa maladie initiale constatée par certificat médical du 10 février 2003, demande à la fois la réparation du préjudice résultant d'une « seconde maladie professionnelle » mais également dans le dispositif de ses écritures d'appel la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de la maladie professionnelle dont il est atteint sans distinction d'origine ou de date d'apparition ; que si la rechute d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, n'est pas de nature à faire courir un nouveau délai au profit de la victime pour agir en reconnaissance de la faute inexcusable, l'aggravation de l'hypoacousie de perception désignée au tableau numéro 42 des maladies professionnelles, n'est pas assimilable dans ses effets à la rechute ; qu'en effet, celle-ci n'est prise en charge aux termes mêmes de ce tableau, qu'en cas de nouvelle exposition aux bruits lésionnels ; qu'à la différence de la rechute, elle n'est donc pas en lien de causalité direct et exclusif avec le traumatisme initial et ne résulte pas de l'évolution spontanée des séquelles de la première maladie prise en charge ; que l'expertise du professeur Z... réalisée le 21 novembre 2003 a constaté une aggravation nette de la déficience auditive imputée pour moitié au vieillissement naturel de l'oreille et pour moitié aux conséquences de la maladie professionnelle, celles-ci comprenant nécessairement les conséquences de la nouvelle exposition aux bruits à l'occasion de l'emploi occupé à compter du 1er juin 1996 ; qu'en conséquence, si Monsieur X... est forclos pour faire reconnaître la faute inexcusable concernant la première maladie professionnelle du tableau 42 prise en charge le 4 février 1998, la demande introduite le 9 février 2005 en reconnaissance de la faute inexcusable concernant les conditions de la nouvelle exposition aux risques en relation avec l'aggravation de la maladie professionnelle constatée par certificat médical du 10 février 2003 et reconnue par le tribunal des affaires de sécurité sociale par jugement du 13 avril 2006 confirmé par l'arrêt du 27 avril 2007, est recevable ; que le jugement sera donc infirmé sur ce point » ;
ALORS QUE, premièrement, lorsque la maladie professionnelle est liée à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire s'ils agissent en constatation de cette faute dans les délais prévus à l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale ; que l'aggravation d'une maladie professionnelle ne saurait rouvrir ce délai pour agir en déclaration d'une faute inexcusable, dès lors que cette action était éteinte, s'agissant de la maladie dont l'aggravation est alléguée ; qu'en jugeant que si M. X... était « forclos pour faire reconnaître la faute inexcusable concernant la première maladie professionnelle du tableau 42 prise en charge le 4 février 1998 » (arrêt, p. 3, § 3), il était en revanche recevable pour agir en déclaration de la faute inexcusable en relation avec l'aggravation de cette maladie professionnelle, les juges du fond ont violé les articles L. 461-1, L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, deuxièmement, la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de son employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction a droit à une indemnisation complémentaire mais uniquement pour les préjudices causés par cette maladie ; qu'en évaluant à 25.000 euros le préjudice moral de M. X... après avoir constaté que ce préjudice comprenait « des origines familiales étrangères à l'exposition aux risques, liées notamment à l'état de santé de l'épouse de la victime » (arrêt, p.4 avant-dernier paragraphe), les juges du fond ont ordonné la réparation d'une partie du dommage qui ne trouvait pas sa source dans la maladie professionnelle de M. X... et ont, ce faisant, violé les articles L. 461-1, L. 452-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.