LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 novembre 2009), que la société Indian Empress Limited (la société Indian Empress) a confié à la société Nautical technologies la réalisation de travaux sur le navire «Indian Empress», dont le paiement a donné lieu à un contentieux entre les parties ; que par ordonnance de référé du 16 novembre 2007, la société Indian Empress a été condamnée à verser une provision de 192 000 euros sur les 404 151,11 euros demandés par la société Nautical technologies ; que sur le fondement de cette ordonnance, cette dernière a fait pratiquer une saisie conservatoire du navire à Malte, dont la mainlevée a été donnée moyennant la consignation de 210 000 euros ; qu'en outre, elle a obtenu des juridictions de Malte la condamnation de la société Indian Empress à lui payer la somme de 192 000 euros, qui lui a été versée ; que la société Nautical technologies a ensuite attrait devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de la somme de 404 151,11 euros la société Indian Empress qui, à titre reconventionnel, a demandé sa condamnation à lui payer une somme de 238 697,85 euros pour surfacturation des travaux ; que le tribunal ayant fait droit à la demande de la société Nautical technologies et rejeté celle de la société Indian Empress, cette dernière a saisi la cour d'appel qui, par arrêt du 6 mars 2009, a réduit à 304 151,11 euros la somme allouée à la société Nautical technologies et condamné la société Indian Empress à lui payer 80 000 euros de dommages-intérêts ; que selon autorisation donnée, le 6 août 2008, par le président du tribunal de commerce de Cannes, la société Nautical technologies a fait pratiquer une saisie conservatoire sur le navire pour sûreté d'une créance de 350 000 euros qu'elle estimait lui être due après le paiement de la provision de 192 000 euros ; que par une seconde ordonnance du 8 août 2008, mainlevée de cette mesure a été donnée après remise d'une caution bancaire pour la somme de 350 000 euros ; que la société Indian Empress a demandé la rétractation de la première de ces ordonnances, ce qui lui a été refusé par une ordonnance du 25 septembre 2008, confirmée par la cour d'appel ;
Attendu que la société Indian Empress fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1°/ que l'interdiction de réitérer une saisie conservatoire sur un même navire pour une même créance maritime s'applique aux saisies pratiquées par un créancier ressortissant d'un Etat contractant, sur un navire battant pavillon d'un Etat contractant, y compris lorsqu'il navigue dans le port d'un Etat non contractant et que l'une des deux saisies y est physiquement pratiquée, a fortiori au vu d'une décision de justice relevant d'un Etat contractant ; qu'après avoir constaté qu'une première saisie avait été pratiquée à Malte, par une société contre une autre toutes deux ressortissantes d'un Etat contractant, et sur le fondement d'une ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Cannes du 16 novembre 2007, ce dont il résultait que la saisie du navire ne pouvait être réitérée en France à raison de la même créance maritime, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 3-3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ;
2°/ qu'une créance maritime résulte de la simple allégation de son existence, sans même qu'il soit nécessaire, pour pratiquer une saisie, qu'elle apparaisse fondée, en tout ou partie, dans son principe ni constatée par un juge ; que la provision d'une créance accordée par un juge des référés et le solde de la même créance, discutée devant les juges du fond, correspondent donc à deux parties de la même créance maritime alléguée et ne peuvent être invoquées l'une après l'autre pour pratiquer deux saisies successives ; qu'en retenant que la première saisie avait été pratiquée sur le fondement de la provision allouée par le juge des référés au titre de la créance maritime des travaux de réparation effectués sur le navire Indian Empress, et que la seconde saisie correspondait au solde de cette créance, discutée devant les juges du fond, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'il s'agissait bien de la même créance maritime et a ainsi violé l'article 3-3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que l'article 3-3 de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, selon lequel un navire ne peut être saisi plus d'une fois dans la juridiction d'un ou plusieurs des Etats contractants, pour la même créance et par le même demandeur, limitait la portée de cette interdiction aux saisies pratiquées dans les Etats contractants, la cour d'appel en a exactement déduit que Malte n'ayant pas signé cette convention, la saisie pratiquée à Cannes ne pouvait être rétractée au regard de cet article ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel ayant ainsi statué, le motif, par lequel elle a estimé qu'en outre l'octroi d'une provision par un juge des référés ne permettait pas à lui seul d'interdire des prises de garantie pour le solde de la créance invoquée, est surabondant ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Indian Empress Limited aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par Mme le conseiller doyen faisant fonction de président en son audience publique du huit mars deux mille onze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Blanc, avocat aux Conseils pour la société Indian Empress limited
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Indian empress limited de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 août 2008 du président du tribunal de commerce de Cannes ayant autorisé la saisie à titre conservatoire de son navire par la société Nautical technologies au titre du solde d'une créance maritime résultant de l'entretien et de la réparation dudit navire ;
Aux motifs que si l'article 3-3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, selon lequel « un navire ne peut être saisi et caution ou garantie ne sera donnée, plus d'une fois dans la juridiction d'un ou plusieurs des Etats contractants, pour la même créance et par le même demandeur », interdisait que fussent pratiquées, sur un navire battant pavillon d'un des Etats contractants, plusieurs saisies conservatoires fondées sur une même créance maritime, cet article limitait la portée de cette interdiction aux saisies pratiquées dans les Etats contractants ; que Malte n'ayant pas signé cette convention, la saisie pratiquée à Cannes ne pouvait, au regard de l'article invoqué, être rétractée ; qu'elle pouvait d'autant moins l'être que l'interprétation de la convention de Bruxelles telle que soutenue par l'appelante allait au-delà des accords internationaux conclus qui n'instauraient cette interdiction que pour les saisies conservatoires pratiquées dans les Etats contractants et ne l'étendaient pas, comme cela aurait pu être éventuellement le cas, à toutes les saisies pratiquées, qu'elles soient conservatoires ou exécutoires, dans les ports des Etats non contractants pour les navires battant pavillon des Etats contractants ; qu'en ce qui concernait les engagements invoqués par la société Indian empress, engagements pris lors de la levée du mandat d'immobilisation du navire à Malte contre remise d'une caution, il convenait de retenir que la cause de la saisie était l'exécution de l'ordonnance allouant à la société Nautech une provision de 192 000 euros au titre des réparations effectuées et que cette société avait effectivement tenu son engagement puisque lorsqu'elle avait demandé l'autorisation de saisir une seconde fois le navire, elle avait déduit de la créance qu'elle invoquait le montant de cette provision et qu'en outre, l'octroi d'une provision par un juge des référés ne permettait pas à lui seul d'interdire des prises de garantie pour le solde de la créance invoquée ;
Alors que, 1°) l'interdiction de réitérer une saisie conservatoire sur un même navire pour une même créance maritime s'applique aux saisies pratiquées par un créancier ressortissant d'un Etat contractant, sur un navire battant pavillon d'un Etat contractant, y compris lorsqu'il navigue dans le port d'un Etat non contractant et que l'une des deux saisies y est physiquement pratiquée, a fortiori au vu d'une une décision de justice relevant d'un Etat contractant ;
qu'après avoir constaté qu'une première saisie avait été pratiquée à Malte, par une société contre une autre toutes deux ressortissantes d'un Etat contractant, et sur le fondement d'une ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Cannes du 16 novembre 2007, ce dont il résultait que la saisie du navire ne pouvait être réitérée en France à raison de la même créance maritime, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 3-3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ;
Alors que, 2°) une créance maritime résulte de la simple allégation de son existence, sans même qu'il soit nécessaire, pour pratiquer une saisie, qu'elle apparaisse fondée, en tout ou partie, dans son principe ni constatée par un juge ; que la provision d'une créance accordée par un juge des référés et le solde de la même créance, discutée devant les juges du fond, correspondent donc à deux parties de la même créance maritime alléguée et ne peuvent être invoquées l'une après l'autre pour pratiquer deux saisies successives ; qu'en retenant que la première saisie avait été pratiquée sur le fondement de la provision allouée par le juge des référés au titre de la créance maritime des travaux de réparation effectués sur le navire Indian empress, et que la seconde saisie correspondait au solde de cette créance, discutée devant les juges du fond, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'il s'agissait bien de la même créance maritime (violation de l'article 3-3 de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952).