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23/06/2010 | FRANCE | N°08-45604

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 23 juin 2010, 08-45604


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par contrat du 3 janvier 1994 en qualité d'éducateur spécialisé par l'association "Foyer A Scalinata" ; que le salarié a pris l'initiative de réaliser un film en vidéo en juin 2004 le mettant en scène avec une collègue et des pensionnaires du foyer ; qu'après avoir visionné le film, l'employeur l'a transmis au Parquet ; qu'il a licencié M. X...

pour faute grave par lettre du 20 juillet 2004 lui reprochant "une transgressi...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par contrat du 3 janvier 1994 en qualité d'éducateur spécialisé par l'association "Foyer A Scalinata" ; que le salarié a pris l'initiative de réaliser un film en vidéo en juin 2004 le mettant en scène avec une collègue et des pensionnaires du foyer ; qu'après avoir visionné le film, l'employeur l'a transmis au Parquet ; qu'il a licencié M. X... pour faute grave par lettre du 20 juillet 2004 lui reprochant "une transgression des valeurs de l'institution, des règles de fonctionnement de l'établissement et des règles éducatives" ; que la procédure pénale a été classée sans suite pour défaut d'infraction pénale et le film non restitué ; qu'estimant son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;
Attendu que pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel retient qu'en l'absence de toute image pouvant être versée au dossier, le grief d'indécence n'est pas objectivement établi et qu'à défaut de pouvoir visionner les deux séquences incriminées, celle où l'éducateur apparaît en femme et celle de l'entretien entre une éducatrice et une pensionnaire sur le modèle d'une émission de télévision, la réalité et la portée du grief de transgression des règles éducatives ne peuvent pas être vérifiées ; qu'elle relève encore que les attestations de témoins produites par l'employeur, émanant de personnalités extérieures qui ont vu le film, ne permettent pas de surmonter cet obstacle probatoire car elles se bornent à des jugements de valeur sans les relier à une description concrète et objective du film ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune carence dans l'administration de la preuve ne pouvait être reprochée à l'employeur qui, selon ses constatations, avait vainement tenté de récupérer le film qu'il avait transmis au parquet de Bastia, de sorte qu'elle pouvait elle-même en demander la restitution, la cour d'appel, qui a méconnu son office, n'a pas permis à la Cour de cassation, d'exercer son contrôle ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour l'association Foyer A Scalinata
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que les faits reprochés au salarié ne constituaient ni une faute grave, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement
AUX MOTIFS QUE «Monsieur X..., dans l'exercice de ses fonctions d'éducateur spécialisé en internat au foyer A SCALINATA, chargé à ce titre notamment d'organiser la vie quotidienne des loisirs des jeunes, a pris l'initiative au mois de juin 2004 de la production d'un film en vidéo se voulant une parodie d'émissions de télévision et le mettant en scène lui-même, ainsi qu'une autre éducatrice et des jeunes filles du foyer ;
Que la direction, informée par deux collègues de Monsieur X... de la mise en oeuvre de ce projet, s'est fait remettre par l'intéressé deux cassettes issues du tournage, et qu'après les avoir visionnées, elle a considéré que l'éducateur avait commis une faute grave justifiant son licenciement ;
Que Monsieur X... estime que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que la faute grave résulte du fait ou d'un ensemble de faits imputables aux salariés, constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle interdit le maintien de l'intéressé dans l'entreprise même pendant la durée du préavis, et qu'il appartient à l'employeur qui l'invoque de rapporter la preuve du fait objectif constituant le grief énoncé dans la lettre de licenciement et celle de sa gravité ;
Attendu en l'espèce qu'au terme de la lettre de licenciement, qui fixe le cadre du litige, il est reproché à MR une transgression : -des valeurs de l'institution, -des règles de fonctionnement de l'établissement, -des règles éducatives ;
Que s'agissant du premier point, les valeurs concernées sont décrites par l'employeur comme étant « d'assurer l'intégrité physique et psychique des jeunes et de centrer les projets sur la personne en la respectant en tant que telle»
Que, cependant, aucun élément n'est produit de nature à établir que les jeunes concernées auraient subi une quelconque atteinte physique ou psychique, ou un manque de respect à leurs personnes, lors du tournage des séquences incriminées ou de la préparation du projet ;
Qu'en ce qui concerne le manquement aux règles de fonctionnement de l'établissement, il est essentiellement reproché à Monsieur X... de ne pas avoir sollicité l'autorisation de sa hiérarchie avant de mettre en place l'activité litigieuse ;
Que, s'il est constant que la hiérarchie n'a eu connaissance de l'activité que sur la dénonciation qui lui en a été faite par deux autres éducatrice du foyer, il n'en reste pas moins que l'ancienneté de plus de 10 ans de Monsieur X... au service du foyer dans la fonction d'éducateur spécialisé, sans aucun avertissement ou rappel à l'ordre pour manquement aux règles de fonctionnement, autorise une certaine marge d'initiative ;
Que l'employeur ne produit aucun élément de type règlement intérieur, note de service ou autre, permettant de connaître quelles sont les activités dont la mise en place nécessite une autorisation préalable ;
Que l'activité en cause se rapporte au tournage de séquences vidéo, de type amateur, se voulant la parodie d'une émission de télévision et de sa coupure publicitaire, ayant occupé, au vu des descriptions versées au dossier, au plus quelques heures sur deux ou trois soirées des jeunes résidentes du foyer intéressé ; qu'il s'en déduit qu'une telle activité ne relève pas strictement de la mise en place d'un projet éducatif structuré ;
Qu'ainsi, même à admettre que Monsieur X... aurait dû prendre l'attache de sa hiérarchie avant de procéder au tournage incriminé, ce qui n'est pas établi de façon certaine, ce manquement isolé et sans conséquence dommageable prouvée sur le fonctionnement de l'institution ou la vie des pensionnaires, ne constitue pas à lui seul une faute justifiant la rupture du contrat de travail, étant observé que le film, encore à l'état d'ébauche, aurait pu ne jamais être présenté, en tout ou en partie ;
Que le dossier montre aussi qu'il est spécialement reproché à Monsieur X... d'apparaître dans le film déguisé, en drag queen, selon la direction, en ménagère (aux fins de parodie de la publicité télévisuelle) selon l'intention déclarée de l'intéressé, et que sa tenue dans ce rôle est qualifiée d'indécente ;
Qu'en l'absence de toute image pouvant être versée au dossier, sachant que l'association avait transmis en son temps la cassette litigieuse au procureur de la république à des fins de signalement, qu'il a été constaté que le comportement des deux éducateurs concernés ne relevait pas d'une qualification pénale, mais que le parquet n'a pas ensuite été en mesure de restituer l'objet du délit supposé, le grief d'indécente n'est pas objectivement établi, étant précisé de surcroît que la prétendue indécence n'est pas en l'espèce liée à l'exercice de la fonction, mais se rattache uniquement à l'interprétation d'un personnage dans une fiction sans confusion possible des rôles ;
Qu'enfin, relativement à transgression des règles éducatives, il apparaît que pour argumenter ce grief, la direction de l'établissement fait volontairement abstraction de la vocation d'abord récréative de l'activité, de la dimension parodique d'une mise en scène somme toute banale, peut-être maladroite ou de mauvais goût, mais dont le contenu éducatif ne peut certainement pas être analysé ou apprécié au premier degré et hors contexte ainsi qu'elle le fait : «ce film présente des scènes dont la nature n'a aucun lien avec le projet éducatif de l'établissement», «à aucun moment -dans le film -vous ne faites référence aux règles qu'impose le respect de la déontologie de la profession d'éducateur», «le thème choisi est un thème à consonance sexuelle et affective... vous n'êtes jamais intervenus -dans le film- afin d'apporter de réponse à ce questionnement» ;
Qu'il convient ici de remarquer ici que Monsieur X... verse au débat plusieurs attestations de provenances variées (collègues de travail, ancienne responsable de l'intéressé, jeunes encadrées), dont les termes font ressortir ses qualités professionnelles ;
Qu'au surplus, à défaut de pouvoir visionner les deux séquences incriminées, (une séquence publicitaire ou Monsieur X... apparaît déguisé en femme, une séquence d'entretien, sur le modèle de l'émission «C'est pas sorcier», entre une éducatrice tenant le rôle d'une journaliste et une pensionnaire celui d'un spécialiste interrogé), la réalité et la portée du grief de transgression de règles éducatives ne peuvent pas être vérifiées;
Qu'il sera relevé à cet égard que les attestations produites par l'association, émanant de personnalités extérieures auxquelles elle a choisi de montrer le film, ne permettent pas de surmonter cet obstacle probatoire, dans la mesure où celles-ci se bornent à des jugements de valeur péremptoire en termes généraux, parfois identiques à ceux de la lettre de licenciement, qui leur est antérieure, et sans les relier à une description concrète et objective du contenu du film ;
Attendu qu'il résulte de cette analyse des éléments soumis à appréciation que l'association A SCALINATA manque à établir la réalité et la gravité des manquements à l'origine du licenciement de Monsieur X..., de sorte que par infirmation du jugement déféré, il y a lieu de constater que ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ALORS QUE si l'employeur est tenu d' établir la réalité des faits reprochés au salarié, il incombe aux juges du fond de vérifier la réalité et la gravité des manquements invoqués, en procédant, si besoin, à une mesure d'instruction ; que l'employeur en l'espèce a établi que le salarié, éducateur spécialisé, avait dans l'exercice de ses fonctions adopté un comportement tout à fait déplacé et nocif à l'égard des jeunes adolescentes dont il s'occupait ; qu'en jugeant que la faute grave n'était pas caractérisée au motif que l'employeur n'était pas en mesure de verser les films réalisés par le salarié, alors qu'elle relevait par ailleurs que le parquet qui les détenait s'abstenait de les restituer, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1333-1 et L. 1235-1 du Code du travail.
ALORS QU'en s'abstenant d'apprécier l'ensemble des manquements reprochés au salarié, notamment la violation de l'espace intime des adolescentes (utilisation de leur chambre pour le tournage, port de leur lingerie) et l'attitude sexuellement ambiguë adoptée envers ces dernières, la Cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 1333-1 et L. 1235 du Code du travail.
ALORS QUE la faute disciplinaire est appréciée in concreto, compte tenu de la fonction du salarié; qu'en estimant que les manquements reprochés au salarié ne constituaient pas un motif de licenciement sans jamais prendre en considération la fonction du salarié, éducateur spécialisé s'occupant de jeunes adolescentes fragiles psychologiquement, la Cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du Code du travail.
ALORS QUE les faits reprochés au salarié sont constitutifs d'un grave manquement aux règles éducatives et à la mission de l'établissement ; qu'en jugeant que la réalisation d'un film par un éducateur spécialisé, déguisé en «drag queen», ayant des gestes sexuellement ambigus envers les pensionnaires dont il s'occupe, ne justifiait pas son licenciement, la Cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du Code du travail;


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 08-45604
Date de la décision : 23/06/2010
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Licenciement disciplinaire - Faute du salarié - Appréciation - Pièce nécessaire - Remise - Office du juge

PRUD'HOMMES - Procédure - Pièces - Production par l'employeur - Impossibilité - Cas - Pièce détenue par le Parquet - Effet

Lorsque le parquet détient une pièce nécessaire à l'appréciation d'une faute reprochée au salarié licencié, il appartient au juge prud'homal qui constate que cette pièce est indispensable pour trancher le litige qui lui est soumis, de prendre les mesures utiles pour se la faire remettre. Dès lors, méconnaît son office une cour d'appel qui, pour juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé pour faute grave d'un éducateur auquel était reproché d'avoir réalisé un film indécent "transgressant les règles éducatives", retient que l'employeur n'a pas versé ce film aux débats alors qu'elle avait constaté que cette pièce était restée en possession du parquet


Références :

article 455 du code de procédure civile

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia, 29 octobre 2008


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 23 jui. 2010, pourvoi n°08-45604, Bull. civ. 2010, V, n° 146
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2010, V, n° 146

Composition du Tribunal
Président : Mme Mazars (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat général : M. Lacan
Rapporteur ?: M. Becuwe
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2010:08.45604
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