LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Michel, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 28 janvier 2009, qui, dans la procédure suivie contre Alain Y... du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 modifiée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, 29, alinéa 1, et 31, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Alain Y... des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et a débouté Michel X... de ses demandes ;
"aux motifs qu'au vu des pièces de la procédure et des débats, la cour relève en l'espèce que : - Alain Y... n'est pas un professionnel de l'information et assure à titre gratuit l'exploitation de ce service de communication en ligne ;- le site ne faisait pas l'objet d'une modération a priori des messages déposés par les blogueurs ;- la partie civile, qui ne peut déduire de la durée même de présence du commentaire sur le site qu'il y ait eu fixation préalable du message, ne rapporte pas la preuve d'une telle fixation, de sorte que la responsabilité d'Alain Y..., en tant que président de l'ADIHBH-V, de créateur du blog et donc de directeur de publication, ne peut être engagée ;- la partie civile ne rapporte pas la preuve de la connaissance par Alain Y... de ce commentaire ;- la partie civile n'a pas demandé le retrait du commentaire incriminé ;
- le blogueur, pourtant connu grâce à sa signature, n'a pas été recherché par la partie civile et n'a pas été poursuivi par celle-ci ;- Alain Y... n'a pas la qualité d'hébergeur, ce qu'admet la partie civile ;- la complicité de droit commun invoquée par la partie civile nécessite, pour être constituée, que la personne poursuivie ait fourni intentionnellement les moyens pour commettre l'infraction ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, Michel X... n'établissant pas qu'Alain Y... ait délibérément ouvert son blog en vue de permettre sciemment à des internautes d'écrire des commentaires diffamatoires ;- la responsabilité du producteur ne peut être recherchée qu'à défaut de l'auteur, ce qui n'est pas le cas ; qu'en toute hypothèse, les éléments du dossier ne permettent pas de considérer Alain Y..., comme le prétend la partie civile, comme étant producteur du fait qu'il n'apparaît pas avoir la maîtrise éditoriale du site ;
"1°) alors qu'il résulte des dispositions de l'article 93-3 modifié par la loi du 21 juin 2004 qu'est pénalement responsable des propos diffamatoires publiés sur un site internet, le directeur de publication de ce site toutes les fois que le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public ; que la constatation de l'existence d'une fixation préalable par les juges du fond est soumise au contrôle de la Cour de cassation ; qu'Alain Y... est le représentant légal de l'association de défense des intérêts des habitants des Bas-Heurts-La-Varenne ; qu'en cette qualité, il a créé le site internet http ://noisy-les-bas-heurts.over-blog.com ; qu'il est, par conséquent, directeur de publication de ce site ainsi que cela n'a pas été contesté par les juges du fond ; que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la page de ce site, éditée le 20 février 2007, portant le double titre « bienvenue sur le blog de l'ADIHBH-V» et « pourquoi ce blog ?» met clairement en évidence d'une part que ce blog est conçu comme un « espace de dialogue », d'autre part qu'il a pour objet explicite et exclusif d'inciter les noiséens à exprimer sans retenue leur opposition au maire de Noisy et à sa politique notamment immobilière en cliquant sur « ajouter un commentaire », enfin, que le responsable de ce site exerce un contrôle a priori des messages puisqu'un encart mentionne expressément qu'un article récent a été « censuré » et qu'ainsi, contrairement à ce qu'a affirmé la cour d'appel, Alain Y... avait un pouvoir de modération a priori des messages et une maîtrise éditoriale impliquant nécessairement une fixation des messages préalablement à leur communication au public en sorte qu'en estimant que la responsabilité pénale de celui-ci en sa qualité de directeur de publication ne pouvait pas être retenue, la cour d'appel a contredit les pièces soumises à son appréciation et sur lesquelles elle a déclaré fonder sa décision ;
"2°) alors que la cour d'appel ne pouvait, sans contredire les pièces de la procédure qui lui étaient soumises, affirmer que la partie civile ne pouvait déduire de la durée même de présence du commentaire diffamatoire sur le site qu'il y ait eu fixation préalable du message et qu'elle ne rapportait pas la preuve de la connaissance par Alain Y... de ce commentaire dès lors que Michel X... établissait, par un constat d'huissier joint à la citation, que ce commentaire diffamatoire avait été mis en ligne le 7 février 2007 et qu'il était toujours présent sur le site le 7 mars 2007 cependant que le contenu du blog met en évidence que le responsable du site, c'est-à-dire Alain Y..., avait lui-même publié un éditorial sur le site le 20 février 2007 impliquant nécessairement la connaissance par lui de ce commentaire et par conséquent l'existence d'une fixation préalable du message incriminé préalablement à sa communication au public ;
"3°) alors qu'a la qualité de producteur au sens de l'article 93-3, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1982, engageant à ce titre sa responsabilité pénale en cas d'infractions à la loi du 29 juillet 1981, la personne qui a pris l'initiative de créer un site de communication audiovisuelle en vue d'échanger des opinions sur des thèmes définis à l'avance, et ce, quand bien même le message incriminé n'aurait pas été fixé préalablement à sa communication au public ; qu'Alain Y... avait, ainsi que cela n'a pas été contesté par les juges du fond, pris l'initiative de créer un site de communication audiovisuelle en vue d'échanger des opinions sur un thème défini à l'avance, l'opposition au maire de Noisy-le-Grand et à sa politique notamment immobilière, et qu'il a ainsi nécessairement engagé sa responsabilité pénale en tant que producteur relativement aux messages diffamatoires diffusés sur son site";
Vu l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, modifié ;
Attendu que, selon ce texte, lorsqu'une infraction prévue par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 est commise par un moyen de communication au public par voie électronique, à défaut de l'auteur du message, le producteur du service sera poursuivi comme auteur principal, même si ce message n'a pas été fixé préalablement à sa communication au public ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Michel X..., député-maire de Noisy-le-Grand, a fait citer directement Alain Y... devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, en raison de la publication, le 7 février 2007, sur l'espace de contributions personnelles du site de l'Association de défense des intérêts des habitants des Bas-Heurts-La Varenne, dont il est le président, de propos d'un internaute le mettant en cause ; que les juges du premier degré ont renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et débouté la partie civile de ses demandes ; que Michel X... a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir relevé que le site exploité par Alain Y... ne faisait pas l'objet d'une modération a priori, et qu'en l'absence de fixation préalable des messages déposés par les internautes, la responsabilité du prévenu en tant que directeur de publication ne peut être engagée, retient que la preuve n'est pas rapportée qu'Alain Y... avait connaissance du texte incriminé, que la partie civile n'a pas demandé le retrait de celui-ci, et que le prévenu n'avait ni la qualité d'hébergeur ni celle de producteur, n'ayant pas la maîtrise éditoriale du site ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, ayant pris l'initiative de créer un service de communication au public par voie électronique en vue d'échanger des opinions sur des thèmes définis à l'avance, Alain Y... pouvait être poursuivi en sa qualité de producteur, sans pouvoir opposer un défaut de surveillance du message incriminé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Que la cassation est, dès lors, encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 28 janvier 2009, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de ROUEN, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Louvel président, M. Monfort conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori conseillers de la chambre, Mme Degorce conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Salvat ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;