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10/12/2009 | FRANCE | N°08-21101

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 décembre 2009, 08-21101


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. et Mme X..., de nationalité sri lankaise, en situation irrégulière en France, qui avaient fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, ont

été placés en rétention par un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine ; qu'ils...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. et Mme X..., de nationalité sri lankaise, en situation irrégulière en France, qui avaient fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, ont été placés en rétention par un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine ; qu'ils étaient accompagnés de leur enfant âgé d'un an ; qu'un juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention ;
Attendu que, pour infirmer cette décision, l'ordonnance retient que même si le centre de rétention disposait d'un espace réservé à l'accueil des familles, le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé d'un an, constitue un traitement inhumain au sens de la Convention européenne des droits de l'homme en raison, d'une part, des conditions de vie anormales imposées à cet enfant, d'autre part, de la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance dépassant par sa nature son importance et sa durée le seuil de gravité requis par le texte et manifestement disproportionnée avec le but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, en l'espèce, un traitement inhumain ou dégradant, le premier président a violé le texte susvisé ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 29 septembre 2008, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Rennes ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile et les articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCP Le Bret-Desaché ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Odent, avocat aux Conseils, pour le préfet d'Ille-et-Vilaine
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté la requête d'un préfet (M. le préfet d'Ille-et-Vilaine), en prolongation de la mesure de rétention administrative dont deux étrangers (M. et Mme X...) avaient fait l'objet,
AUX MOTIFS QUE les appelants avaient fait l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, pris par le préfet d'Ille-et-Vilaine, le 6 mars 2008, notifié le 14 mars 2008 ; qu'en exécution d'une décision prise par le préfet, le 23 septembre 2008, ils avaient été placés en rétention administrative, le 23 septembre 2008, à compter de 16 heures ; que, par requête du 23 septembre 2008 à 14 heures, le préfet avait saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes d'une demande de prolongation pour une durée de quinze jours de la rétention administrative, requête à laquelle il avait été fait droit par l'ordonnance dont appel ; qu'il résultait des pièces de la procédure que M. et Mme X..., en situation irrégulière sur le territoire français, avaient été interpellés à leur domicile, le 23 septembre 2008 à 7 heures 45, placés en garde à vue et, à l'issue de cette mesure, maintenus en rétention en compagnie de leur fils Dilaschn, né le 11 septembre 2007 à Rennes ; que c'était par des motifs pertinents que le juge des libertés et de la détention avait jugé que l'interpellation de M. et Mme X... était régulière, le cadre juridique de l'action des gendarmes – la flagrance – ne requérant pas l'assentiment préalable des occupants des lieux pour y pénétrer ; que, sur le deuxième moyen tiré de la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, nul ne peut être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ; que, pour tomber sous le coup de cette disposition, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité, dont l'appréciation dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime ; qu'en l'espèce, le centre de rétention de Saint-Jacques de la Lande, même s'il disposait d'un espace réservé à l'accueil des familles, restait un lieu d'enfermement où les étrangers étaient détenus, en vue de leur éloignement du territoire français, pour une durée pouvant atteindre trente-deux jours ; que, dans le cas particulier de l'espèce, le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé d'un an, constituait un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme, en raison : d'une part, du fait que l'enfant se trouvait soudainement soustrait, dès son plus jeune âge, à un cadre de vie habituel et approprié –le domicile de ses parents– pour se voir imposer, même si c'était temporairement, des conditions de vie tout à fait anormales pour un bébé d'un an ; d'autre part, de la grande souffrance, morale et psychique, infligée à la mère et au père par cet enfermement avec leur bébé, souffrance qui, par sa nature, son importance et sa durée (la prolongation de la rétention sollicitée par le préfet étant de quinze jours) dépassait le seuil de gravité requis par le texte précité ; qu'en outre, la souffrance ainsi causée était manifestement disproportionnée au but poursuivi, c'est-à-dire la reconduite à la frontière de M. et Mme X..., ce d'autant plus que les intéressés disposaient d'un logement personnel à Vitré, où ils avaient été interpellés,
1°/ ALORS QUE le placement d'une famille en centre de rétention ne constitue pas, par lui-même, un traitement inhumain et dégradant, dès lors surtout que le centre dispose de chambres spécialement équipées, notamment en matériels de puériculture adaptés ; qu'en l'espèce, le conseiller délégué, qui a décidé que le placement, au centre de rétention administrative de Saint-Jacques de la Lande, de M. et Mme X..., accompagnés de leur fils d'un an, constituait un traitement inhumain, a violé l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme,
2°/ ALORS QU'un traitement inhumain et dégradant est celui qui est de nature à inspirer à sa victime des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité, propres à l'humilier, à l'avilir et à briser éventuellement sa résistance physique ou morale ; qu'en l'espèce, le conseiller délégué, qui a considéré que le placement au centre de rétention de Saint-Jacques de la Lande de M. et Mme X..., accompagnés de leur fils d'un an, caractérisait un traitement inhumain, motifs pris de ce que le centre de rétention constituait un lieu «d'enfermement» où des étrangers étaient «détenus», de ce qu'un enfant d'un an se voyait imposer des conditions de vie «tout à fait anormales» et de la souffrance morale subie par les parents, enfermés avec leur fils, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 08-21101
Date de la décision : 10/12/2009
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Civile

Analyses

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Placement en rétention - Placement dans un local de rétention administrative - Maintien dans le local de rétention administrative - Traitement inhumain et dégradant - Eléments constitutifs - Cractérisation - Nécessité

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 3 - Interdiction des traitements inhumains et dégradants - Violation - Eléments constitutifs - Caractérisation - Nécessité

Il appartient au juge judiciaire devant lequel est invoqué une violation de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de caractériser in concreto les éléments constitutifs d'un traitement inhumain et dégradant


Références :

article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 29 septembre 2008


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 10 déc. 2009, pourvoi n°08-21101, Bull. civ. 2009, I, n° 250
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2009, I, n° 250

Composition du Tribunal
Président : M. Bargue
Avocat général : M. Chevalier
Rapporteur ?: Mme Bobin-Bertrand
Avocat(s) : Me Odent, SCP Le Bret-Desaché

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2009:08.21101
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