LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Vu l'article 9 du code civil ;
Attendu que, depuis l'année 2003, la société Jacky boy music (la société) commercialise, au sein d'un coffret de chansons françaises des années 1930 à 1950, un disque comportant des oeuvres composées et interprétées par M. Charles X... ; que, sans contester leur appartenance au domaine public, l'artiste, dénonçant l'apposition de sa photographie sur la couverture de l'ensemble, sur celle d'un livret biographique et sur la pochette du disque, a assigné la société en versement de dommages intérêts, et cessation de distribution du coffret tant qu'il demeurera illustré par son image ;
Attendu que pour débouter M. X..., l'arrêt attaqué énonce "que la reproduction de l'image d'une personne est licite pour assurer, sur quelque support que ce soit, le plein exercice de la liberté d'expression, sauf le droit d'opposition de son titulaire si le contexte de la publication n'apparaît pas légitime ou si le lien de pertinence ou d'adéquation entre l'image publiée et l'information qu'elle illustre n'est pas suffisant ; que si le portrait d'un artiste illustre, photographié dans sa vie professionnelle, ne peut être divulgué dans un but purement publicitaire sans être détourné de sa fin, l'illustration d'un disque ou d'un ‘CD' à l'aide de ce même portrait, support d'information autant que peut l'être un livre ou un journal, et non pas simple objet de commerce faisant présumer la volonté d'exploiter une notoriété, même si les uns et les autres sont indéniablement destinés à être vendus, ne procède pas de l'exploitation de la personnalité, mais relève de l'activité d'information et de communication ; que le principe de la liberté d'information et de communication, laquelle déborde largement le cadre de la liberté de la presse, implique le libre choix, pour tous les moyens d'expression, des illustrations tant sur les événements de l'actualité que sur tous sujets pouvant intéresser le public, tels un phénomène de société ou la vie pratique et économique d'une catégorie socio professionnelle, sous le seul respect de la dignité de la personne humaine ; que le droit à l'image doit, en effet, céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste ; que l'image, qui peut être un portrait strictement identitaire, et consister, par ailleurs, en un cliché pris dans un contexte étranger à l'événement qu'elle illustre, doit avoir un lien direct avec l'information illustrée, sans être détournée ou dénaturée, ni paraître trop accessoire ou secondaire par rapport à celle ci ; considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, le tribunal, après avoir constaté que le portrait de Charles X... était manifestement posé pour les besoins professionnels du chanteur et sans lien avec sa vie privée, en sorte que la reproduction ne pouvait y avoir porté atteinte, a exactement retenu qu'il s'agissait d'une illustration d'autant plus pertinente des phonogrammes vendus qu'elle apparaissait contemporaine de l'interprétation des chansons de l'artiste ; considérant ainsi qu'alors que la gloire n'est pas un capital que les grands hommes se constituent une fois pour toutes et sur lequel ils auraient un droit acquis à jamais, mais bien davantage un sentiment qu'ils trouvent dans le regard des autres hommes, il n'importe pas que l'éditeur de musique ait pu, en l'occurrence, dans le respect des règles du code de la propriété intellectuelle, exploiter les oeuvres de Charles X... et, ce faisant, tirer profit de la célébrité de leur auteur ; qu'en tout état de cause, en effet son image, accessoire au champ musical auquel son adversaire s'est, comme lui même, consacré, constitue une illustration indissociable et légitime d'une réédition de son oeuvre caractérisant le contexte précis de la reproduction de l'image ;"
Qu'en statuant ainsi, alors que l'utilisation de l'image d'une personne pour en promouvoir les oeuvres doit avoir été autorisée par celle ci, et que la reproduction de la première, au soutien de la vente des secondes n'est pas une "information" à laquelle le public aurait nécessairement droit au titre de la liberté d'expression, peu important l'absence d'atteinte à la vie privée de l'intéressé, la cour d'appel a refusé d'appliquer et par suite violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les deux dernières branches :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Jacky boy music aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Jacky boy music à payer à M. Charles X... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société Jacky boy music ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Hémery, avocat de M. Charles X...
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté M. Charles X... de sa demande tendant, avant dire droit, de voir enjoindre à la société JACKY BOY MUSIC de communiquer les comptes d'exploitation commerciale, certifiés par expert comptable du coffret intitulé "Les triomphes de la chanson française – volume 2" et à titre principal, à faire interdiction à la société JBM de poursuivre la commercialisation du coffret tant que celui-ci sera illustré de la photographie objet représentant M. X... sous peine d'astreinte de 100 par infraction constatée et voir condamner à titre provisionnel la société JBM à lui régler la somme de 60.000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son droit à image,
AUX MOTIFS PROPRES QUE
"l'article 9 du code civil protège la vie privée des gens ; qu'il résulte de cette disposition, ensemble l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, que la reproduction de l'image d'une personne, serait-elle notoire, en particulier son portrait, est licite pour assurer, sur quelque support que ce soit, le plein exercice de la liberté d'expression, sauf le droit d'opposition de son titulaire si le contexte de la publication n'apparaît pas légitime ou si le lien de pertinence ou d'adéquation entre l'image et l'information qu'elle illustre n'est pas suffisant;
que si le portrait d'un artiste illustre, photographié dans sa vie professionnelle ne peut être divulgué dans un but purement publicitaire sans être détourné de sa fin, l'illustration d'un disque ou d'un CD à l'aide de ce même portrait support d'information autant que peut l'être un livre ou un journal et non pas simple objet de commerce faisant présumer la volonté d'exploiter une notoriété même si les uns et les autres sont indéniablement destinés à être vendus ne procède pas de l'exploitation de la personnalité mais relève de l'activité d'information et de communication ;
que le principe de la liberté d'information et de communication laquelle déborde le cadre de la liberté de la presse, implique le choix, par tous les moyens d'expression, des illustrations tant sur les évènements de l'actualité que sur tous sujets pouvant intéresser le public, tels un phénomène de société ou la vie pratique et économique d'une catégorie socio-professionnelle, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ; que le droit à l'image doit, en effet, céder devant la liberté d'expression chaque fois que l'exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s'expriment spécialement dans le travail d'un artiste ;
que l'image, qui peut être un portrait strictement identitaire et consister par ailleurs, en un cliché pris dans un contexte étranger à l'événement qu'elle illustre, doit avoir un lien direct avec l'information illustrée sans être détournée ou dénaturée ni paraître trop accessoire ou secondaire par rapport à celle-ci ;
considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, le tribunal après avoir constaté que le portrait de Charles X... était manifestement posé pour les besoins professionnels du chanteur et sans lien avec sa vie privée, en sorte que la reproduction ne pouvait y avoir porté atteinte a exactement retenu qu'il s'agissait d'une illustration d'autant plus pertinente des phonogrammes vendus qu'elle apparaissait contemporaine de l'interprétation des chansons de l'artiste ;
que les premiers juges ont, au surplus, justement observé que l'usage invoqué par le demandeur, qu'il n'établit d'ailleurs pas davantage en cause d'appel, de réserver son image aux maisons de disques avec lesquelles il avait contracté, partant d'attribuer une valeur à cette image et d'en définir les conditions d'utilisation ne peut être créateur de droits opposables aux tiers ;
considérant ainsi qu'alors que la gloire n'est pas un capital que les grands hommes se constituent une fois pour toutes et sur lequel ils auraient un droit acquis à jamais mais bien davantage un sentiment qu'ils trouvent dans le regard des autres hommes, il n'importe pas que l'éditeur de musique ait pu, en l'occurrence dans le respect des règles du code de la propriété intellectuelle, exploiter les oeuvres de Charles X... et, ce faisant, tirer profit de la célébrité de leur auteur ; qu'en tout état de cause, en effet, son image, accessoire au champ musical auquel son adversaire s'est, comme lui-même, consacré, constitue une illustration indissociable et légitime d'une réédition de son oeuvre caractérisant le contexte précis de la reproduction de l'image ;
qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Charles X... de toutes ses demandes, faute pour la société JM d'avoir commis une atteinte aux droits du demandeur sur son image et pour celui-ci, d'avoir pu démontrer que son image était lésée du fait de la commercialisation du coffret litigieux ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE
"Charles X... fait valoir que l'utilisation commerciale de la photographie porte atteinte à son droit à l'image en ce qu'il n'a pas autorisé cette reproduction. Selon lui, son image constitue un argument de vente du coffret du fait de sa notoriété alors qu'il a réservé par contrat aux maisons de disques commercialisant ses enregistrements l'usage de son image. Il soutient par ailleurs que dans les contrats de cession de droits d'artiste la rémunération du droit à l'image est incluse dans la redevance artistique ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'en vertu de l'article L.211-4 du Code de la propriété intellectuelle les enregistrements utilisés par la société JBM ne sont plus susceptibles de protection des droits d'artiste interprète.
La société JACKY BOY MUSIC soutient que le préjudice moral est inexistant en l'absence d'atteinte à la vie privée de Charles X..., la photographie litigieuse étant un portrait officiel, que l'utilisation de la photographie de Charles X... sur ce coffret est faite à titre d'information et que demander l'autorisation de l'artiste dans une telle hypothèse a pour but de détourner les dispositions de l'article L.2l l-4 du Code de la propriété intellectuelle qui limite dans le temps la protection des droits d'artiste interprète à compter de l'année d'enregistrement de leur interprétation.
Le tribunal rappelle en premier lieu que la protection des droits de la personnalité, dont le droit sur l'image, est régi par les dispositions de l'article 9 du Code civil.
Aux termes de ce texte "Chacun à droit au respect de sa vie privée.
Pour ce qui est des personnes publiques, telles que Charles X..., il est constant que la publication sans son autorisation d'une photographie le représentant ne peut constituer une faute dès tors que cette photographie a été prise au cours de sa vie professionnelle et non de sa vie privée quand bien même la photographie aurait été prise dans un lieu public.
Certes, l'utilisation détournée de l'image d'un homme public notamment d'une photographie prise pour des besoins professionnels pourrait donner lieu à censure. Cependant, ce n'est pas l'image qui est protégée en tant que telle mais l'utilisation qui en est faite.
En l'espèce le tribunal constate que la photographie litigieuse est un portrait manifestement posé pour les besoins professionnels du chanteur et n'a aucun lien avec la vie privée de Charles X....
La reproduction de la photographie litigieuse ne porte donc pas atteinte à sa vie privée.
La photographie est apposée sur un coffret de disques compacts constituant une anthologie de la chanson française des années 30 à 50 ainsi que sur la couverture et dans le livret inclus dans le coffret et sur la pochette du CD dédié au chanteur. Il s'agit d'une illustration pertinente de l'objet vendu et ce d'autant plus que le portrait de l'artiste semble contemporain de l'interprétation des chansons figurant dans le coffret. L'utilisation qui est faite de la photographie de Charles X... n'est en l'espèce pas détournée et apparaît donc licite.
Charles X... fait également valoir, sans l'établir toutefois, qu'il a réservé l'usage de son image aux maisons de disques avec lesquelles il a contracté. S'il existe bien un usage dans les contrats entre artistes et éditeurs d'attribuer une valeur à l'image et d'en définir les conditions d'utilisation, un tel usage n'est cependant pas créateur de droits opposables aux tiers. Il ne crée pas un nouveau droit incorporel.
Dès lors la société JACKY BOY MUSIC n'a commis aucune faute en faisant usage de la photographie litigieuse de Charles X... et ce dernier n'a pu subir aucun préjudice du fait de la commercialisation du coffret."
ALORS QUE, D'UNE PART, l'exploitation de l'image d'une personne à des fins commerciales doit avoir été expressément autorisée par celle-ci, de sorte qu'en énonçant que l'image de M. X... constituait une illustration indissociable et légitime d'une réédition de certaines de ses oeuvres tombées dans le domaine public quand elle constatait que la société JACKY BOY MUSIC n'avait pas sollicité ni obtenu de ce dernier l'autorisation de faire figurer sa photographie sur les compilations comportant certains de ses enregistrements, la cour d'appel a violé l'article 9 du code civil,
ALORS QUE, D'AUTRE PART, si le droit à l'image doit être concilié avec le droit à l'information du public, n'a pas le caractère d'une information l'utilisation de l'image d'un artiste à des fins purement commerciales comme argument de vente d'une compilation, si bien qu'en estimant que le droit de M. X... sur sa propre image devait céder devant la liberté d'expression, l'illustration d'un CD à l'aide d'un portrait constituant un support d'information, quand celle-ci était uniquement destinée à permettre la promotion des compilations en question et n'avait qu'une finalité commerciale, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 9 du code civil,
ALORS QUE, EN OUTRE, le droit à l'image est indépendant du droit au respect de la vie privée, de sorte qu'en relevant que le portrait de M. Charles X... apposé sur les coffrets l'était pour les besoins professionnels du chanteur et sans lien avec sa vie privée et que la reproduction ne pouvait y avoir porté atteinte quand cette circonstance n'était pas de nature à exclure l'atteinte portée à son droit à l'image, la cour d'appel a une nouvelle fois méconnu l'article 9 du code civil,
ALORS QUE, DE PLUS, le juge est tenu d'examiner les éléments de preuve qui lui sont soumis, de sorte qu'en se bornant à énoncer que M. X... n'apportait pas la preuve de l'usage consistant à réserver à sa maison de disques l'utilisation de son image sans examiner l'extrait du contrat d'artiste signé le 30 juin 2006 entre M. X... et la société EMI MUSIC NETHERLANDS BV versé aux débats lequel stipule justement que "(…) EMI pourra librement utiliser, dans le monde entier, tous supports, le nom de l'Artiste, son pseudonyme et les photographies et autres images le représentant" et que "l'Artiste garantit ipso facto disposer des droits de toute nature y étant relatifs et garantit EMI contre toutes prétentions de photographie, d'auteur ou d'un tiers en cette matière", la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil,
ALORS QUE, ENFIN, le droit exclusif dont dispose toute personne sur son image ou sur l'utilisation qui en est faite peut valablement donner lieu à l'établissement de contrats par lesquels un artiste cède contre rémunération une autorisation d'usage commercial et un monopole sur toute publication et utilisation de son image, de sorte qu'en affirmant que l'usage invoqué par M. X... de réserver son image aux maisons de disques avec lesquelles il avait contracté ne pouvait être créateur de droits opposables aux tiers quand il résulte du contrat d'artiste signé le 30 juin 2006 entre M. X... et la société EMI MUSIC NETHERLANDS BV versé aux débats qu'une cession de droit à l'image avait été consentie dont la société JACKY BOY MUSIC en sa qualité de professionnel aurait dû vérifier l'existence avant toute reproduction de l'image de M. X..., la cour d'appel a violé les articles 9 et 1382 du code civil.