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01/07/2008 | FRANCE | N°04-17902;04-17903

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 01 juillet 2008, 04-17902 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique du 11 juillet 2006, ayant sursis à statuer après jonction des pourvois n° S 04-17. 902 et n° T 04-17. 903 formés par la société Pipeline Méditerranée et Rhône (la SPMR), jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 17 décembre 2002 et 23 mars 2004) et les productions, que des fuites d'hydrocarbures provenant d'un oléoduc exploité par la SPMR

, dans lequel ces produits circulaient en suspension de droits d'accises à destina...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu l'arrêt de la chambre commerciale, financière et économique du 11 juillet 2006, ayant sursis à statuer après jonction des pourvois n° S 04-17. 902 et n° T 04-17. 903 formés par la société Pipeline Méditerranée et Rhône (la SPMR), jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 17 décembre 2002 et 23 mars 2004) et les productions, que des fuites d'hydrocarbures provenant d'un oléoduc exploité par la SPMR, dans lequel ces produits circulaient en suspension de droits d'accises à destination de la Suisse, ont eu lieu sur le territoire de la commune de Saint-Just-Chaleyssin (Isère) et ont été suivies, le 1er janvier 1997, de l'éclatement de l'oléoduc; que la SPMR a demandé à bénéficier d'une franchise des droits réclamés par l'administration des douanes sur les 795 201 litres de produits qui auraient été perdus ; qu'après avoir rejeté sa demande, l'administration des douanes a fait assigner la SPMR en paiement devant le tribunal d'instance par acte du 13 avril 2000 ; que le tribunal a déclaré la demande irrecevable comme prescrite ; que, par arrêt du 17 décembre 2002, la cour d'appel a infirmé le jugement, déclaré la demande recevable et dit que la SPMR ne pouvait se prévaloir de la force majeure ; qu'elle a en outre sursis à statuer sur la demande en paiement et enjoint à l'administration des douanes de répondre à l'un des moyens soulevés par la SPMR ; que, par arrêt du 23 mars 2004, la cour d'appel a partiellement accueilli la demande ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° T 04-17.903 :

Attendu que la SPMR fait grief à l'arrêt du 17 décembre 2002 d'avoir déclaré non prescrite l'action de l'administration des douanes, alors, selon le moyen :

1°/ que l' administration des douanes est non recevable à former aucune demande en paiement des droits, trois ans après que lesdits droits auraient dûs être payés ; qu'en cas de perte de produits pour lesquels la franchise n'a pas été accordée, les droits sont dus dès le moment où les pertes dûment établies par les autorités compétentes, se sont produites ; qu'en l'espèce, il résulte des propres procès-verbaux de l'administration des douanes et des énonciations du jugement, que l'accident du 1er janvier 1997 et les pertes de produits pétroliers qui s'en sont suivies ont été immédiatement portées à la connaissance de l'administration qui a établi un procès-verbal de constat dès le 7 janvier 1997 ; qu'en décidant que le point de départ de la prescription de l'action en paiement des droits dus devait être fixé au jour où l'administration avait formé elle-même une demande, chiffrée et précise, des droits qu'elle entendait réclamer, la cour d'appel a violé l'article 354 du code des douanes ;

2°/ que la prescription triennale de l'action en recouvrement de droits ne devient trentenaire que lorsque c'est par un acte frauduleux du redevable que l'administration a ignoré l'existence du fait générateur de son droit, et n'a pu exercer l'action qui lui compétait pour en poursuivre l'exécution ; qu'en l'espèce, aucun acte frauduleux n'a été ni allégué, ni relevé à l'encontre de la SPMR qui a immédiatement averti l'administration de l'accident du 1er janvier 1997 et lui a elle-même transmis le 15 décembre suivant, les quantités exactes de produits non récupérées par type de produit, constituant l'assiette des droits réclamés ensuite par l'administration ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 354, dans sa rédaction applicable à la cause, et 355 du code des douanes ;

3°/ que les procès-verbaux établis par l'administration des douanes n'ont un effet interruptif à l'égard de l'action tendant au recouvrement des droits, que lorsqu'il vise à la fois à établir l'existence d'une infraction à la réglementation douanière et à asseoir l'assiette des droit à recouvrer ; qu'en l'espèce, le procès-verbal du 7 janvier 1997 ne visait nullement à établir une infraction, mais seulement à constater, sur déclaration d'un responsable de la SPMR, l'existence des pertes de produits pétroliers ; que le procès-verbal du 10 février 1997 avait le même objet, mais concernait une autre fuite (site de La Ravière) pour laquelle l'administration a admis la franchise ; qu'enfin, si le procès-verbal de constat du 25 mars 1999 vise une infraction à l'article 411 du code des douanes, l'administration n'a jamais précisé en quoi les faits pouvaient revêtir un caractère délictueux et être pénalement poursuivis, notamment au regard de ce texte ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les procès-verbaux litigieux avaient pour objet d'établir l'existence d'une infraction à la réglementation douanière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 341 et 354, dans sa rédaction applicable à la cause, du code des douanes ;

Mais attendu qu'il résulte de l'article 221-3 du règlement n° 2913-92 du Conseil des Communautés européennes, établissant le code des douanes communautaires, et de l'article 341 bis du code des douanes, que les procès-verbaux dressés par l'administration des douanes, en ce qu'ils visent à la fois à établir l'existence d'une infraction et à asseoir l'assiette des droits à recouvrer, ont un effet interruptif à l'égard de l'action tendant au recouvrement de ces droits ; qu'ayant constaté que l'administration des douanes avait signifié à la SPMR le 25 mars 1999 un procès-verbal visant l'infraction douanière à retenir à son encontre, soit moins de trois ans après les faits, ce dont il résultait que le cours de la prescription de l'action en recouvrement des droits réclamés était interrompu, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du même pourvoi :

Attendu que la SPMR fait grief à l'arrêt du 17 décembre 2002 d'avoir décidé que malgré la perte définitive de produits pétroliers à la suite d'une fuite et de l'éclatement de l'oléoduc qu'elle exploite, elle ne pouvait pas se prévaloir d'un cas fortuit ou de force majeure au sens de l'article 158.C du code des douanes, la dispensant du paiement des droits et taxes sur ces produits pétroliers perdus, alors, selon le moyen :

1°/ que la seule irrésistibilité caractérise le cas fortuit ou la force majeure au sens de l'article 158 C du code des douanes ; qu'en exigeant que la perte des produits pétroliers résulte de circonstances imprévisibles et extérieures à la société SPMR et en refusant de rechercher si des fuites et l'éclatement de l'oléoduc ayant entraîné la perte des hydrocarbures pouvaient avoir été irrésistibles pour la SPMR, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que le juge doit préciser les éléments qui lui permettent de constater un fait contesté ; qu'en l'espèce, la SPMR. avait produit un courrier adressé à l'administration des douanes le 19 janvier 1999, faisant état d'un rapport établi par le groupe de travail mis en place par le ministère de l'économie réunissant les exploitants de canalisations enterrées, rapport qui concluait à la très grande rareté des phénomènes de fissuration de l'oléoduc et à l'absence de précédent en France jusqu'en 1997 ; que dans ses conclusions d'appel, l'administration des douanes se bornait de son côté à affirmer, sans produire aucun élément, que la fissure de l'oléoduc faisait suite aux fuites ; qu'en affirmant dès lors que la fuite suivie de l'éclatement de l'oléoduc du 1er janvier 1997 représentent un risque fréquent et inhérent pour en déduire que les pertes d'hydrocarbure étaient prévisibles, sans nullement préciser sur quel élément elle se fondait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 158.C du code des douanes ;

3°/ que la SPMR avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il existait en matière de sécurité des pipelines à hydrocarbure une réglementation particulièrement élaborée, prévoyant d'une part des obligations rigoureuses en ce qui concerne la pose des ouvrages, les matériaux utilisés et leur protection, et fixant d'autre part des règles précises concernant les contrôles et l'exploitation de ces ouvrages ; que la société SPMR faisant encore valoir qu'elle avait rigoureusement respecté cette réglementation de sécurité et qu'aucun manquement ne lui était reproché à cet égard ; que la SPMR ajoutait qu'aucun instrument ne lui permettait de déceler les faibles chutes qui s'étaient produits l'éclatement de la canalisation, qu'en particulier ces fuites ne pouvaient pas être détectées ni par le logiciel de balance dont était équipée la ligne, ni par la balance comptable ; qu'en ne recherchant pas au regard de ces éléments si les pertes de produits pétroliers étaient ou non raisonnablement insurmontables et si ces pertes ne constituaient pas un cas fortuit ou de force majeure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 158.C du code des douanes ;

Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes, a dit pour droit (CJCE, 18/12/2007, affaire C-314/06) que la notion de force majeure au sens de l'article 14, paragraphe 1, première phrase, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 94/74/CEE du Conseil du 22 décembre 1994, vise des circonstances étrangères à l'entrepositaire agréé, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées par celui-ci ; que la condition selon laquelle les circonstances doivent être étrangères à l'entrepositaire agréé ne se limite pas à des circonstances extérieures à celui-ci dans un sens matériel ou physique, mais vise également des circonstances qui apparaissent objectivement comme échappant au contrôle de l'entrepositaire agréé ou situées en dehors de la sphère de responsabilité de celui-ci ;

Attendu que l'arrêt relève qu'une fuite ou des fuites ayant duré trois jours, puis l'éclatement du 1er janvier 1997 de l'oléoduc représentent un risque fréquent et inhérent à tout transport de carburant par pipeline, et qu'il en est de même pour les incendies pouvant en résulter, ainsi que pour les pollutions causés aux sols, aux cultures, aux eaux et aux nappes phréatiques par ces fuites et éclatements de l'oléoduc ; qu'il retient que de tels éclatements et fuites ne présentent aucun caractère d'imprévisibilité pour l'exploitant du pipeline, alors que la SPMR n'explicite ni ne démontre quelles mesures efficaces elle avait prises pour éviter l'événement dommageable ; qu'il retient encore qu'il n'y a pas d'extériorité de l'éclatement de l'oléoduc par rapport à l'activité même de la SPMR, propriétaire du pipeline et gardienne des installations, qui ne peut donc invoquer le caractère de force majeure de ces fuites et de l' éclatement de son oléoduc qui sont directement liés à la structure même et à l'entretien des installations et que cette société ne démontre pas que l' oléoduc aurait été affecté d'un quelconque vice caché pour elle ; qu' en l'état de ces constatations et énonciations, faisant ressortir l'absence de circonstances anormales et imprévisibles échappant au contrôle de l'entrepositaire agréé ou situées en dehors de la sphère de sa responsabilité, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 158 C du code des douanes ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de ce même pourvoi et le premier moyen du pourvoi n° S 04-17.902 réunis :

Attendu que la SPMR reproche également à l'arrêt du 17 décembre 2002 de l'avoir déclarée tenue au paiement des droits sur les produits pétroliers perdus à la suite de fuites et de l'éclatement de l'oléoduc qu'elle exploite, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 158.C du code des douanes, les pertes des produits placés en entrepôt fiscal de stockage de produits pétroliers ne sont pas soumises à l'impôt s'il est justifié auprès de l'administration qu'elles sont inhérentes à la nature des produits ; qu'en l'espèce, la SPMR. faisait valoir, à titre subsidiaire , que la perte des produits pétroliers transportés par l'oléoduc était inhérente à leur nature, fluide, et que le fait que l'administration ait accepté de ne pas taxer les polluants récupérés dans le sol imposait, au regard de ladite nature, que ceux qui n'ont pas pu être récupérés à raison de la nature du sol, ne fassent pas non plus l'objet d'une taxation ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes, a dit pour droit que les pertes relatives à une partie des produits échappés d'un oléoduc dues au caractère fluide de ceux-ci et aux caractéristiques du sol sur lequel ils se sont répandus, qui ont fait obstacle à leur récupération, ne peuvent pas être considérées comme des pertes inhérentes à la nature des produits au sens de l'article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive 92/12/CEE, telle que modifiée par la directive 94/74/CEE ; que par ce motif de pur droit, l'arrêt se trouve justifié ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen du pourvoi n° S 04-17.902 :

Attendu que la SPMR reproche à l'arrêt du 23 mars 2004 de l'avoir condamnée à payer une certaine somme à l'administration des douanes, alors, selon le moyen, que les droits applicables à des produits destinés à l'exportation et circulant en suspension de droits, mais perdus accidentellement sur le territoire français, doivent être calculés uniquement en fonction de la nature du produit perdu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait pas, pour appliquer à l'huile de chauffe suisse échappée accidentellement de l'oléoduc de la SPMR, le taux de taxation du gazole et non celui réduit du fuel domestique, en retenant que l'huile de chauffe suisse n'était pas colorée, ni tracée comme le prévoit l'arrêté du 29 avril 1970 ; qu'en effet, une telle exigence concerne uniquement les produits mis à la consommation sur le territoire français et ne pouvait pas être appliquée à un produit destiné à l'exportation et perdu accidentellement sur le territoire français ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 64 de la loi du 17 juillet 1992 ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que, du propre aveu de la SPMR, le produit échappé de l'oléoduc était du gazole et non de l'huile de chauffe ; que le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Pipeline Méditerranée et Rhône - SPMR aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer au directeur général des douanes et droits indirects la somme de 2 500 euros ; rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 04-17902;04-17903
Date de la décision : 01/07/2008
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

COMMUNAUTE EUROPEENNE - Douanes - Directive 92/12/CEE du 25 février 1992 - Article 14 § 1 - Pertes inhérentes à la nature des produits - Notion

La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que les pertes relatives à une partie des produits échappés d'un oléoduc dues au caractère fluide de ceux-ci et aux caractéristiques du sol sur lequel ils se sont répandus, qui ont fait obstacle à leur récupération, ne peuvent pas être considérées comme des pertes inhérentes à la nature des produits au sens de l'article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Directive 92/12/CEE, telle que modifiée par la Directive 94/74/CE


Références :

Sur le numéro 1 : article 221 § 3 du Règlement n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992

article 341 bis du code des douanes
Sur le numéro 2 : article 14 § 1 de la Directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 23 mars 2004

Sur le n° 1 : A rapprocher : Com., 9 avril 2002, pourvoi n° 99-17332, Bull. 2002, IV, n° 71 (cassation)

arrêt cité Sur le n° 2 : Cf. : CJCE, 18 décembre 2007, société Pipeline Méditerranée et Rhône c. administration des douanes et a., affaire C-314/06. Sur le n° 3 : Cf. : CJCE, 18 décembre 2007, société Pipeline Méditerranée et Rhône c. administration des douanes et a., affaire C-314/06.


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 01 jui. 2008, pourvoi n°04-17902;04-17903, Bull. civ. 2008, IV, n° 133
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2008, IV, n° 133

Composition du Tribunal
Président : Mme Favre
Avocat général : Mme Bonhomme
Rapporteur ?: Mme Pezard
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2008:04.17902
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