LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par Mme Angèle X..., domiciliée ...,
contre l'arrêt rendu le 7 juin 2006 par la cour d'appel de Bastia (chambre des appels correctionnels), dans le litige l'opposant à :
1°/ M. Jean-René Y..., domicilié ..., ou ...,
2°/ M. René, Marcel Y..., domicilié ...,
défendeurs à la cassation ;
La chambre criminelle a, par arrêt du 20 novembre 2007, décidé le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière ;
La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Bouthors, avocat de Mme X... ;
Me Bouthors a aussi déposé au greffe de la Cour de cassation des observations complémentaires ;
Le rapport écrit de M. Terrier, conseiller, et l'avis écrit de M. Boccon-Gibod, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 11 avril 2008, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, M. Weber, Mmes Favre, Collomp, MM. Bargue, Gillet, présidents, M. Joly, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Terrier, conseiller rapporteur, M. Peyrat, Mmes Mazars, Garnier, MM. Pluyette, Le Gall, Farge, Mme Duvernier, MM. Bailly, Laurans, Petit, Mme Kamara, conseillers, M. Boccon-Gibod, avocat général, Mme Tardi, directeur de greffe ;
Sur le rapport de M. Terrier, conseiller, assisté de M. Roublot, auditeur au service de documentation et d'études, les observations de Me Bouthors, l'avis de M. Boccon-Gibod, avocat général, auquel Me Bouthors invité à le faire, n'a pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 7 juin 2006), que Mme Angèle X... a cité directement devant le tribunal correctionnel M. Jean-René Y... et d'autres personnes, des chefs d'abus de faiblesse et d'autres infractions, pour obtenir réparation tant de son préjudice personnel que de celui de sa mère Irène X..., alors décédée ;
Attendu que Mme Angèle X... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la citation directe qu'elle a délivrée pour les faits dont aurait été victime sa mère, alors, selon le moyen, qu'est recevable l'action civile des ayants droit de la victime tendant à la réparation du préjudice personnel directement causé à cette dernière par l'infraction ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pu légalement déclarer irrecevable la citation directe de Mme Angèle X... à raison des faits dont avait été victime sa mère décédée, sans violer les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-15-12 du code pénal, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
Mais attendu que, sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l'action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l'infraction ; que l'action publique n'ayant été mise en mouvement ni par la victime ni par le ministère public, seule la voie civile était ouverte à la demanderesse pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d'héritière ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, prononcé par le premier président en son audience publique du neuf mai deux mille huit.
Moyens produits par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour Mme X....
Moyens annexés au présent arrêt.
Premier moyen de cassation
Violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-15-2 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
en ce que la Cour d'appel a déclaré partiellement irrecevable la citation directe de madame Angèle X... pour les faits dont aurait été victime sa mère ;
aux motifs que la citation directe étant réservée à ceux qui ont personnellement été victimes d'une infraction pénale, madame Irène X..., dont la plainte initiale auprès du procureur de la République avait été classée sans suite, ne pouvait pas, par citation directe, poursuivre une infraction dont sa mère, alors décédée, aurait été victime ; qu'il est écrit dans la citation directe que monsieur Y... s'est fait remettre en règlement plusieurs acomptes par chèques tirés sur les comptes CCP de madame X... et de sa mère et que les faits commis au préjudice de feu madame X... sont constitutifs d'infractions que la plaignante est fondée à poursuivre tant en sa qualité d'ayant droit de sa mère défunte qu'en son nom propre ; qu'en ce sens, la citation directe doit être déclarée partiellement irrecevable ;
alors qu'est recevable l'action civile des ayants droit de la victime tendant à la réparation du préjudice personnel directement causé à cette dernière par l'infraction ; qu'ainsi la Cour n'a pu légalement déclarer irrecevable la citation directe de madame Angèle X... à raison des faits dont avait été victime sa mère décédée.
Deuxième moyen de cassation
Violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-15-2 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
en ce que la Cour d'appel a relaxé les consorts Y... du chef d'abus de faiblesse et débouté en conséquence la partie civile de toutes ses demandes ;
aux motifs que dans sa citation directe, madame Angèle X... écrit qu'elle est « adulte handicapée » et qu'elle et sa mère étaient dans un état de « particulière vulnérabilité (...) que monsieur Jean-René Y... ne pouvait ignorer, connaissant le handicap de la requérante et l'âge avancé de sa mère » ; que selon les termes de l'article 223-215-2 du Code pénal, ne peut être puni que l'abus frauduleux d'une situation de faiblesse d'une personne due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ; qu'en l'espèce, la seule indication fournie par madame Angèle X... sur son état de santé est la photocopie d'une carte délivrée par la préfecture de Corse du sud en septembre 2001 et mentionnant un « taux en pourcentage de l'incapacité 80 » ; que cette unique production, sans aucune autre explication, ni attestation de tiers sur son état de santé physique et psychologique à l'époque des faits dénoncés, ne suffit pas à caractériser l'état de faiblesse au sens du texte précité, étant relevé que madame Angèle X... a délivré en son nom une citation directe sans soutenir qu'elle ait été assistée de quiconque, ce qui suppose qu'elle ait toutes les capacités requises pour conduire une procédure judiciaire d'abord devant un tribunal, ensuite devant une cour d'appel ; que pour cette seule raison, l'infraction poursuivie ne peut pas être considérée comme caractérisée dans toutes ses composantes, et que la relaxe s'impose ; qu'au-delà, la Cour relève qu'il existe un débat entre les deux parties quant aux travaux réellement réalisés par les prévenus, et quant au coût de ces prestations ; mais que la dénonciation des faits par madame Angèle X... n'ayant pas été suivie d'investigations suffisantes, ce que la Cour ne peut que constater pour le regretter, il est en l'état du dossier produit impossible d'apprécier si, et dans l'affirmative, dans quelle mesure les prévenus ont tenté d'obtenir des paiements nettement supérieurs à ce à quoi ils avaient raisonnablement droit, occasionnant ainsi de façon évidente à la famille X... un supplément de dépenses constituant un grave préjudice, autre élément constitutif de l'infraction exigé par l'article 223-15-2 du Code pénal ;
1°) alors que, d'une part, la situation de faiblesse de la personne prise en compte par l'incrimination prévue par l'article 223-15-2 du Code pénal n'exige pas que la victime bénéficie d'un des régimes de protection propre aux incapables majeurs ; que la cour n'a pu légalement se déterminer comme elle l'a fait sans ajouter à la loi une condition non prévue par celle-ci, ni autrement s'expliquer sur les conséquences du handicap de 80 % présenté par la partie civile ;
2°) alors que, d'autre part, le fait pour un entrepreneur de faire payer des travaux plus du double de leur valeur réelle constitue un acte positif gravement préjudiciable pour la partie civile constituée du chef d'abus de faiblesse ; que la Cour, expressément requise d'examiner la disproportion dénoncée par la requérante, n'a pu se borner à faire état d'un doute non circonstancié et d'ailleurs contraire aux pièces du dossier sans priver son arrêt de motifs.