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26/06/2007 | FRANCE | N°06-84135

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 juin 2007, 06-84135


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, et de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
REJET du pourvoi formé par X... François, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 3 mai 2006, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de dénonciation calomni

euse, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six juin deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, et de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
REJET du pourvoi formé par X... François, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 3 mai 2006, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de dénonciation calomnieuse, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 226-10 du code pénal,591 et 593 du code de procédure pénale :
" en ce que la cour d'appel a dit que François X... avait commis une dénonciation calomnieuse ouvrant droit à réparation pour Denis Y... et condamné François X... à payer à Denis Y... la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que Denis Y... reproche à François X... d'avoir cherché à l'intimider en écrivant le 9 avril 2004 au président du tribunal de commerce de Melun une lettre partiale et erronée sur la situation de cette SARL, à laquelle étaient annexés divers documents, et d'avoir commis une dénonciation calomnieuse en joignant ce courrier, daté du 24 mars 2004, d'Audrey Z..., dans lequel elle révélait une " litanie " de graves dysfonctionnements de la société et de faits délictueux ; que cette lettre dénonçait, parmi de nombreux faits, un harcèlement moral et des menaces de la part de Denis Y... et de son frère, une fraude fiscale, des abus de biens sociaux par la réalisation de travaux sans justification, par l'absence d'inventaire de meubles et d'éléments de décoration, par la consommation personnelle de vins entreposés dans l'appartement de Jean-Marc Y..., par le solde régulier des comptes débiteurs des frères Y... sans qu'il y ait eu paiement par des transferts de sommes d'argent entre deux comptes et par la rémunération de Jean-Marc Y... pour un travail inexistant, du travail dissimulé par des déclarations tardives d'embauche à l'URSSAF, par un registre du personnel ne reflétant pas la réalité de la situation des employés et par un nombre considérable d'heures supplémentaires non payées ; que le délit de dénonciation calomnieuse est constitué de deux éléments matériels, une dénonciation spontanée, effectuée par tout moyen, et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires d'une part, d'autre part, l'inexactitude, totale ou partielle, du fait dénoncé et d'un élément intentionnel, la connaissance, par le dénonciateur, de la fausseté du fait dénoncé ; qu'en l'absence de décision de justice ayant statué sur la fausseté ou non des faits dénoncés, il revient à la juridiction de jugement saisie du délit de dénonciation calomnieuse d'apprécier si les accusations étaient pertinentes et, s'il y a lieu, de statuer sur la connaissance ou non, par le dénonciateur, du manque de pertinence des faits dénoncés ; que le premier élément matériel de la dénonciation, à savoir la dénonciation spontanée de faits pouvant donner lieu à poursuites, est indiscutable puisque les accusations d'Audrey Z... consistant notamment en une dénonciation de délits de harcèlement moral, de fraude fiscale, d'abus de biens sociaux, de travail dissimulé, de menace étaient susceptibles d'entraîner des sanctions pénales et commerciales ; que, contrairement à ce que prétend François X... en transmettant la lettre litigieuse, il a d'autant moins agi dans le cadre d'une démarche légale ou réglementaire qu'il n'était pas nécessaire de joindre cette lettre qui était parfaitement inutile pour alerter le président du tribunal de commerce sur une éventuelle cessation de paiement de la société et qu'il a insisté sur le contenu de cette missive qui dénonçait des faits sans rapport avec l'objet de son courrier ; qu'en outre, il savait pertinemment qu'en cessant d'alimenter les comptes de la SARL Game Camp, celle-ci ferait inéluctablement l'objet d'une liquidation judiciaire ; que le deuxième élément matériel de l'infraction-ici le manque de pertinence des accusations-est également caractérisé, l'audit réalisé par le cabinet Salustro-Reynel n'ayant pas établi la réalité des accusations portées dans cette lettre ni révélé d'anomalies, mais seulement quelques erreurs comptables matérielles ; que, d'ailleurs, François X... ne se fonde pas sur cet audit, exigé par lui, pour soutenir que les accusations étaient pertinentes, mais sur le témoignage d'Audrey Z... devant le tribunal et sur des attestations de salariés ; qu'il suffit de relever, d'une part, qu'Audrey Z..., dont au demeurant la fonction invoquée de directrice adjointe n'est pas justifiée par un document, alors que Denis Y... énonce qu'elle n'était que gouvernante, a rapporté des faits dont il n'est pas établi que sa fonction lui permettait de connaître, n'a pas déposé plainte pour harcèlement moral et que les faits qu'elle a dénoncés, soit n'ont pas été établis par l'audit, soit n'ont fait l'objet d'aucune plainte, soit encore sont demeurés imprécis ; que, d'autre part, les attestations de deux salariés-au demeurant fort tardives puisque toutes datées de février 2006-ne rapportent pas de faits relevant des délits énoncés dans la lettre litigieuse ; que la cour estime, au vu des pièces de la procédure et des débats, que l'élément intentionnel, à savoir la connaissance du manque de pertinence, au moins partielle, des accusations portées, est caractérisé ; qu'en effet, François X... suivait avec vigilance l'évolution de la situation des sociétés dont il assumait, pour certaines, la responsabilité ; que, s'il était en droit, en sa qualité de principal bailleur de fonds, de s'alarmer des résultats plus que médiocres, malgré de lourds investissements et ce, contrairement aux prévisions, il ne pouvait, alors qu'il est un professionnel averti des affaires, envoyer la lettre d'Audrey Z..., sans attendre un minimum d'informations de l'audit du cabinet Salustro-Reydel qu'il avait pourtant exigé ; que les circonstances mêmes de l'établissement de la lettre, à savoir une rencontre avec Audrey Z... avant qu'elle ne lui écrive la lettre incriminée-ce qu'il s'était gardé d'indiquer en première instance-font apparaître une implication forte de François X... dans la rédaction de celle-ci ; qu'en revanche, il n'a pas transmis au président du tribunal de commerce la lettre qu'il avait reçue de l'ancien président du tribunal de commerce, datée du 14 mars 2004 ; qu'ainsi, l'inutilité de l'envoi de la lettre incriminée pour parvenir à la liquidation judiciaire de la société, la manière dont il se l'est procurée et son insistance sur le contenu de celle-ci lorsqu'il a alerté le tribunal de commerce sur la situation de la SARL, l'absence de transmission de la lettre de l'ancien président du tribunal de commerce, la précipitation dans laquelle il a agi alors qu'il est un homme rompu aux affaires, démontrent suffisamment qu'il ne pouvait ignorer la fausseté des accusations et manifestent de sa part un acharnement à l'encontre de Denis Y... ; qu'enfin, au vu des constatations qui précèdent, François X... peut d'autant moins se retrancher derrière le fait que ce n'est pas lui qui a rédigé la lettre qu'il y consacre, dans sa lettre au président du tribunal de commerce, un paragraphe en soulignant que la SARL " se trouve aujourd'hui dans un état de déliquescence profond, ainsi qu'en atteste le témoignage aussi précis qu'édifiant d'Audrey Z... " ; que la décision de première instance sera infirmée et qu'il sera fait droit à la demande de dommages-intérêts formés par Denis Y..., dont la constitution de partie civile est recevable, à raison de la dénonciation calomnieuse dont il a été victime de la part de François X... ;
" alors, d'une part, que constituent seuls des officiers de justice, au sens de l'article 226-10 du code pénal, les magistrats compétents pour engager des poursuites ; que, tel n'est pas le cas des magistrats du siège ; qu'en considérant qu'était constitutif d'une dénonciation calomnieuse l'envoi d'une lettre au président d'un tribunal de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
" alors, d'autre part, que seul peut être jugé responsable d'une dénonciation calomnieuse l'auteur matériel ou intellectuel de ladite dénonciation ; qu'une cour d'appel ne peut donc dire une personne responsable d'une dénonciation calomnieuse n'émanant pas de lui sans constater que cette personne est en réalité l'auteur intellectuel de cette dénonciation ; qu'au cas d'espèce, a donc privé sa décision de base au regard de l'article 226-10 du code pénal la cour d'appel qui, pour dire que François X... avait commis une dénonciation calomnieuse, s'est bornée à relever que celui-ci était " impliqué " dans la rédaction du courrier dénonciateur émanant d'Audrey Z..., sans constater que François X... était non seulement l'instigateur de ce courrier mais également son auteur intellectuel ;
" alors, de troisième part, qu'il appartient à celui qui se prétend victime d'une dénonciation calomnieuse d'établir la fausseté des faits dénoncés ; qu'au cas d'espèce, la cour ne pouvait juger que François X... avait commis une dénonciation calomnieuse qu'après avoir constaté que les faits énoncés dans la lettre d'Audrey Z... étaient inexacts ; que la seule circonstance que ces faits n'aient pas été objectivés par l'audit comptable-dont ce n'était d'ailleurs pas l'objet-et n'aient pas donné lieu à un dépôt de plainte ne permet pas de conclure qu'ils aient été inexacts ; qu'en se fondant sur cette seule considération pour dire que François X... avait commis une dénonciation calomnieuse, la cour d'appel a violé l'article 226-10 du code pénal ;
" alors, enfin, que les juges du fond ne peuvent juger une personne responsable de dénonciation calomnieuse qu'après avoir constaté qu'elle connaissait, le jour de la dénonciation, la fausseté du fait dénoncé ; que la seule circonstance qu'un audit de gestion ait été en cours au moment de l'envoi de la lettre litigieuse, que François X... ait rencontré l'auteur de cette lettre et que l'envoi de cette lettre n'ait pas été indispensable à la démonstration de la cessation des paiements de la société Gamecamp ne permet pas d'établir que François X...-qui se bornait à financer cette société dans les locaux de laquelle il ne se rendait que très épisodiquement-ait su, le 9 avril 2004, que les faits que lui avait rapportés Audrey Z..., ancienne salariée, sur les dysfonctionnements de l'exploitation étaient inexacts, quand les résultats financiers désastreux de la société étaient, au contraire, de nature à corroborer ce témoignage ; que la cour d'appel n'a donc pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Denis Y..., gérant d'une SARL dans laquelle François X... était associé, a fait citer ce dernier devant le tribunal correctionnel pour dénonciation calomnieuse, lui reprochant d'avoir adressé au président du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société avait son siège, une lettre pour l'informer de la situation financière préoccupante de la société, lettre à laquelle était annexé un courrier d'une ancienne salariée dénonçant des infractions pénales imputables au gérant ; que François X... a été renvoyé des fins de la poursuite ; que, sur le seul appel de la partie civile, la cour d'appel a infirmé le jugement et dit que François X... avait commis une dénonciation calomnieuse ouvrant droit à réparation ;
Attendu que, pour tenir pour établis les faits de dénonciation calomnieuse, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant de la sorte, et dès lors que le président du tribunal de commerce est une autorité constituée qui, lorsqu'elle acquiert, dans l'exercice de ses fonctions, la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui, pour le surplus, se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont ils ont déduit, sans insuffisance ni contradiction, l'existence de la mauvaise foi chez le dénonciateur, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que François X... devra payer à Denis Y... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, M. Beauvais conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-84135
Date de la décision : 26/06/2007
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

DENONCIATION CALOMNIEUSE - Eléments constitutifs - Destinataire de la dénonciation - Dénonciation adressée à une autorité ayant le pouvoir de saisir l'autorité compétente - Dénonciation de crime ou délit au président d'un tribunal de commerce tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République

ACTION PUBLIQUE - Mise en mouvement - Ministère public - Dénonciation de crime ou délit par une autorité constituée - Domaine d'application - Président d'un tribunal de commerce

Le président d'un tribunal de commerce, auquel est adressée la dénonciation d'un fait de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires contre une personne, est une autorité constituée, au sens de l'article 40 du code de procédure pénale, qui, lorsqu'elle acquiert, dans l'exercice de ses fonctions, la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenue d'en donner avis sans délai au procureur de la République


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 03 mai 2006


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 jui. 2007, pourvoi n°06-84135, Bull. crim. criminel 2007, N° 173
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2007, N° 173

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Di Guardia
Rapporteur ?: M. Beauvais
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Célice, Blancpain et Soltner

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:06.84135
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