LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
CASSATION sans renvoi sur le pourvoi formé par X..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, en date du 23 février 2006, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et des articles 485 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale : " en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le docteur X... et, confirmant le jugement entrepris, l'a condamné à verser diverses indemnités aux consorts Y... ;
" aux motifs qu'il résulte de l'information et des pièces produites, ainsi que l'ont relevé les experts Z... et A..., que la sage-femme, après avoir constaté l'existence d'un écoulement de liquide clair le 28 août 1996, n'avait pas fait de fautes ni d'omission ni de faute en relation avec le décès de l'enfant et avait prévenu le médecin chef de clinique de garde, le docteur X..., quand elle avait constaté le 29 août 1996 l'existence d'une fièvre maternelle et d'une tachycardie du foetus à 200 ; que ces experts ont relevé qu'" il était anormal que le chef de clinique de garde, le docteur X..., prévenu par la sage-femme le 29 août 1996 de l'existence des signes de haute gravité que sont la fièvre maternelle à 40° et une tachycardie à 200 bat / mn ne se soit pas dérangé ; qu'en effet, il est interdit par les règles de la pratique médicale de ne pas examiner le patient avant de faire une prescription ; qu'ici, il est anormal que le chef de clinique ne soit pas venu lui-même prendre la situation en main : il y avait une certitude de maladie materno-foetale de haute gravité " ; que l'attitude du docteur X..., en s'abstenant de prendre en main lui-même la situation de péril de l'enfant et de la mère, a commis un manquement inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que cette faute est d'une telle gravité qu'elle permet de retenir la compétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur les intérêts civils et ne peut être assimilée à une simple faute de service ; " alors que l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; que les juridictions de l'ordre judiciaire sont incompétentes pour connaître de l'action en réparation des conséquences d'une faute de l'agent qui n'est pas détachable du service ; que ne constitue pas une faute personnelle, détachable du service, le fait pour un médecin de se rendre tardivement au chevet d'une parturiente placée sous la surveillance d'une sage-femme ; qu'en décidant néanmoins que le docteur Emilson X... avait commis une faute personnelle, détachable du service, en s'abstenant de se rendre sans délai au chevet d'Eléna Y..., malgré le tableau clinique qui lui avait été dressé par la sage-femme, ce qui constituait un comportement « anormal », la cour d'appel n'a pas caractérisé à son encontre une faute personnelle, détachable du service, et n'a dès lors pas légalement justifié sa décision de déclarer le docteur X... personnellement responsable des conséquences de cette faute et de retenir la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire " ; Vu la loi des 16-24 août 1790 ;
Attendu que l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il commet que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Lucas Y... est décédé, le 30 août 1996, des suites d'une septicémie, au centre hospitalier de Pontoise où il était né la veille, à 4 heures 30 ; qu'à l'issue de l'information ouverte sur les circonstances de ce décès, X..., gynécologue-obstétricien, qui assurait par astreinte à domicile le service de garde de la maternité de cet établissement au cours de la nuit du 28 au 29 août 1996, a, par ordonnance du 22 décembre 2003, été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire ; que, par jugement du 13 décembre 2004, cette juridiction l'a condamné à une peine d'emprisonnement assortie du sursis, et, recevant les parents et le frère de la victime en leurs constitutions de partie civile, l'a déclaré tenu de réparer la moitié du préjudice moral résultant pour chacun d'eux du décès de la victime ;
Attendu qu'ayant relevé appel des seules dispositions civiles du jugement, Emilson X... a décliné la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur l'action civile des ayants droit de la victime, en soutenant que les fautes dont il avait été déclaré coupable, commises dans l'exercice de ses fonctions au centre hospitalier de Pontoise, engageaient la responsabilité du service public hospitalier ;
Attendu que, pour écarter cette exception d'incompétence et condamner Emilson X... à réparer personnellement, dans la proportion fixée par les premiers juges, les conséquences dommageables du décès de Lucas Y..., l'arrêt retient qu'en s'abstenant de se transporter de son domicile au centre hospitalier pour prendre lui-même en main la situation de péril de la mère et de l'enfant, révélée par une température supérieure à 40°, une tachycardie foetale et la coloration du liquide amniotique, dont la sage-femme de service l'avait informé à 2 heures 45, et en se bornant à prescrire au téléphone, sans procéder lui-même à l'examen de la patiente, l'administration à celle-ci d'un ocytocique puis d'un médicament antalgique et antipyrétique, le médecin, qui n'a pu entreprendre l'accouchement par césarienne qu'après son arrivée, à 4 heures 15, alors que la survie de l'enfant était compromise, a commis un manquement inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique ; que la cour d'appel ajoute que cette faute est d'une telle gravité qu'elle ne peut être assimilée à une faute de service et justifie la compétence de la juridiction judiciaire ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que les fautes dont le prévenu, agent du service public hospitalier, a été déclaré responsable ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Et attendu que, le prévenu étant dégagé de toute responsabilité personnelle, il n'y a plus rien à juger devant les juridictions de l'ordre judiciaire ; que la cassation doit être prononcée sans renvoi ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la cour d'appel de Versailles, en date du 23 février 2006 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Farge, Palisse, Le Corroller conseillers de la chambre, Mme Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ; Avocat général : M. Boccon-Gibod ; Greffier de chambre : Mme Randouin ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;