La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/02/2007 | FRANCE | N°06-82202

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 février 2007, 06-82202


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIHAL, les observations de Me SPINOSI et de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
REJET du pourvoi formé par Y... Françoise, épouse Z..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 8 décembre 2005, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à un an d'

emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
V...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIHAL, les observations de Me SPINOSI et de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
REJET du pourvoi formé par Y... Françoise, épouse Z..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 8 décembre 2005, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-3, 221-6, 221-8, 221-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale : "en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu le docteur Z... dans les liens de la prévention du chef d'homicide involontaire, l'a condamnée à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et, statuant sur l'action civile, l'a condamnée, solidairement avec le docteur A..., à payer aux époux B..., tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leurs enfants mineurs, les sommes de 6 992,80 euros au titre du préjudice matériel, de 22 000 euros, à chacun d'eux, au titre de leur préjudice moral, et 7 500 euros, à chacun de leurs deux enfants, au titre de leur préjudice moral ;
"aux motifs que, "sur le suivi opératoire insuffisant, le docteur Z... est restée à la clinique après la seconde intervention ;
qu'elle a consulté l'enfant en chambre à 17 heures, puis informé, avant son départ, le chirurgien de l'état clinique de la patiente et de ses prescriptions ;
que si les experts relèvent que son attitude consistant à faire un bilan sanguin, à mettre en place une voie veineuse, à pratiquer un remplissage, a été correcte et appropriée, ils lui reprochent de ne pas avoir donné d'instructions précises aux infirmières pour surveiller l'évolution de la patiente ;
qu'ils n'ont retrouvé aucune trace de pression artérielle, de fréquence cardiaque, de surveillance de diurèse et de surveillance de l'état clinique et estiment que cette surveillance est clairement insuffisante ;
que sur la sous-évaluation de l'ampleur de l'hémorragie, si une erreur de diagnostic ne peut pas être reprochée pénalement à un médecin qui n'est tenu qu'à une obligation de moyens, l'insuffisance de précautions qu'il a prises pour l'établir, et qui entraîne cette erreur, constitue une faute susceptible de caractériser une faute pénale ;
que le premier rapport d'expertise précise qu'un saignement après amygdalectomie se manifeste par l'extériorisation de vomissements sanglants qui ne sont apparus qu'à 19 heures et que la spoliation sanguine déjà apparente dès 16 heures 30 avait une traduction par l'état apparent de l'enfant constaté par l'anesthésiste, lequel a déclaré aux experts qu'elle était blanche, dodelinante, extrêmement pâle et au juge d'instruction "j'ai quitté la clinique vers 17 heures, après avoir pris le pouls de l'enfant et testé sa vigilance, elle me semblait hémodynamiquement correcte mais néanmoins très pâle" ;
que les experts en déduisent que, dans un contexte de surveillance "clairement insuffisante" puisque les feuilles de surveillance jusqu'à 16 heures 30 ne laissent apparaître qu'un chiffre de fréquence cardiaque, aucune prise de tension artérielle, et ultérieurement à partir de 18 heures 30, trois chiffres de fréquence cardiaque sans aucune prise de pression artérielle la mauvaise évaluation de l'enfant par l'anesthésiste "n'est pas totalement surprenante" ;
que la documentation technique médicale produite par la prévenue pour s'opposer aux conclusions expertales sur l'interprétation des résultats sanguins, la pression artérielle et l'opportunité d'une transfusion ne permet pas de les remettre en cause, dès lors qu'elle a été entendue par les experts, qu'elle a été en mesure de leur fournir toutes explications techniques, qu'elle a sollicité et obtenu une contre-expertise, à laquelle elle a participé et que le dernier rapport a été déposé le 9 décembre 2003, soit postérieurement à la date de la conférence de consensus en réanimation et médecine d'urgence, dont elle fait état et qui s'est déroulée le 23 octobre 2003 ;
qu'elle a déclaré aux seconds experts qu'en absence de protocole établi, l'infirmier faisait appel soit au chirurgien, soit à l'anesthésiste ;
qu'elle avait donc la charge et la responsabilité de la surveillance en l'absence du chirurgien ;
qu'il ressort des conclusions d'expertise que cette surveillance, qui a été "clairement insuffisante" en l'absence des prescriptions susvisées, est à l'origine de la mauvaise évaluation faite par l'anesthésiste sur l'état de santé de l'enfant ;
qu'il s'ensuit que la prévenue a commis une faute caractérisée, en s'abstenant de prescrire les instructions nécessaires à la surveillance de l'état clinique de la patiente, qui a concouru à une mauvaise évaluation de sa part de l'ampleur de l'hémorragie et au décès de celle-ci, ce qu'elle ne pouvait ignorer en sa qualité d'anesthésiste expérimentée ; qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris sur le renvoi des fins de la poursuite et de déclarer la prévenue coupable de l'infraction qui lui est reprochée" ; (arrêt, pages 14 à 16) ;
"1°) alors que, d'une part, nul n'est responsable que de son propre fait ; que le rôle du médecin anesthésiste consiste exclusivement à endormir le patient et à surveiller le comportement de celui-ci durant l'intervention chirurgicale et jusqu'à ce que perdurent les effets de l'anesthésie ; qu'en présence d'une complication chirurgicale, apparue postérieurement à l'intervention et sans lien aucun avec l'anesthésie, justifiant le suivi du patient non plus dans le secteur ambulatoire mais dans le secteur hospitalisation, dont le chirurgien est le seul responsable, il ne peut être reproché au médecin anesthésiste, qui a parfaitement rempli son rôle, d'avoir effectué, aux lieu et place du chirurgien absent, un suivi opératoire insuffisant et d'avoir sousévalué l'ampleur de l'hémorragie, qui nécessitait une intervention chirurgicale en urgence ne relevant pas de sa compétence ;
"2°) alors qu'en tout état de cause, pour imputer au docteur Z... un suivi opératoire insuffisant et une sous-évaluation de l'ampleur de l'hémorragie, de 11 heures à 19 heures 45, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le caractère prétendument concordant des deux rapports d'expertise, sans dénaturer le second rapport qui se contentait de reprocher au médecin anesthésiste de ne pas avoir envisagé une transfusion avant l'induction anesthésique lors de la troisième intervention, réalisée à 20 heures, à l'initiative du chirurgien, après examen du patient ;
"3°) alors qu'enfin une faute d'imprudence et de négligence ne peut entraîner la responsabilité de son auteur qu'à la condition qu'elle ait été la cause certaine du décès de la victime ; que le seul fait d'avoir fait perdre à la victime une chance d'éviter le décès est exclusif du délit d'homicide involontaire ;
qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait affirmer de façon péremptoire que les prétendues négligences du docteur Z... avaient conduit au décès du patient, quand il ne ressortait ni des propres constatations de l'arrêt ni des rapports d'expertise et surtout du second rapport, qui se contentait de reprocher au médecin anesthésiste de ne pas avoir envisagé une transfusion, avant l'induction anesthésique lors de la troisième intervention, qu'une telle transfusion aurait permis de sauver de façon certaine Axelle B..." ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 11 janvier 2001 à 9 heures 30, la jeune Axelle B..., âgée de trois ans, a subi dans une clinique privée de Denain une amygdalectomie réalisée par Martin A..., chirurgien, sous une anesthésie générale pratiquée par Françoise Z..., médecin anesthésiste-réanimateur ;
qu'à 10 heures 50, il a été procédé par le même praticien à l'hémostase d'une loge amygdalienne pour remédier à des saignements importants ;
qu'après le départ du chirurgien, la surveillance post-interventionnelle a été assurée dans le service d'hospitalisation par l'anesthésiste ; que celle-ci, vers 17 heures, a examiné l'enfant après que les infirmières lui eurent signalé des vomissements noirâtres ;
que l'ayant trouvée très pâle et atonique, elle l'a fait placer sous perfusion glucosée, a ordonné un examen biologique et, avant de quitter elle-même la clinique, a informé de la situation le chirurgien, qui a fait savoir qu'il passerait voir la jeune patiente après ses consultations ;
que les résultats de l'analyse sanguine qui ont été communiqués à Françoise Z... à 18 heures lui ont paru faire ressortir un taux d'hémoglobine rassurant ;
que de nouveaux vomissements de sang noir et la présence de sang rouge dans la bouche de l'enfant ont été constatés par les infirmières vers 19 heures, et signalés à 19 heures 45 à l'anesthésiste, laquelle a annoncé la venue du chirurgien ;
que celui-ci a examiné la jeune patiente à 20 heures et a décidé son transfert au centre hospitalier et la réalisation immédiate d'une hémostase ;
que, cinq minutes après l'injection par Françoise Z... du produit anesthésiant, l'enfant a présenté une bradycardie suivie d'un arrêt cardiaque récupéré après 17 minutes ;
que les culots globulaires commandés à 21 heures 25 ont été livrés à 22 heures 45 juste avant l'arrivée du SAMU, l'enfant ayant fait entre-temps deux arrêts cardiaques ;
qu'en dépit de la ligature des piliers de l'amygdale réalisée à l'hôpital, et des soins de réanimation qui lui ont été prodigués, Axelle B... est décédée le jour suivant à 3 heures 15 ; que le chirurgien et l'anesthésiste ont été condamnés pour homicide involontaire ;
Attendu que, pour déclarer Françoise Z... coupable de cette infraction, l'arrêt retient qu'elle n'a pas donné instruction aux infirmières de contrôler régulièrement la tension artérielle et la fréquence cardiaque de l'enfant et que cette insuffisance de surveillance, constitutive d'une faute caractérisée, dont la prévenue, en sa qualité d'anesthésiste expérimentée ne pouvait ignorer qu'elle faisait courir à la patiente un risque d'une particulière gravité, a concouru à la sous-évaluation de l'ampleur de l'hémorragie et au décès de la jeune Axelle ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments l'infraction dont elle a déclaré la prévenue coupable, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
FIXE à 2 000 euros la somme que Françoise Z... devra payer à la société civile professionnelle Tiffreau en application de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guihal conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller conseillers de la chambre, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ; Avocat général : M. Boccon-Gibod ; Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 06-82202
Date de la décision : 13/02/2007
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

RESPONSABILITE PENALE - Homicide et blessures involontaires - Faute - Faute caractérisée - Applications diverses - Médecin-chirurgien

HOMICIDE ET BLESSURES INVOLONTAIRES - Faute - Faute caractérisée - Applications diverses - Médecin-chirurgien PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Médecin-chirurgien - Homicide et blessures involontaires - Faute - Faute caractérisée - Cas

L'anesthésiste qui ne donne pas aux infirmières des instructions suffisantes pour surveiller l'évolution de l'état d'un enfant ayant présenté des saignements importants à la suite d'une amygdalectomie commet une faute caractérisée qui a conduit à sous-évaluer l'ampleur de l'hémorragie et contribué au décès du patient par arrêt cardiaque lors de l'anesthésie préalable à la tentative d'hémostase


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 08 décembre 2005


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 fév. 2007, pourvoi n°06-82202, Bull. crim. criminel 2007 N° 44 p. 261
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2007 N° 44 p. 261

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Boccon-Gibod
Rapporteur ?: Mme Guihal
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Tiffreau

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2007:06.82202
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award