LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BOCCON-GIBOD ;
CASSATION sur le pourvoi formé par X... Cyril, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 26 septembre 2006, qui, dans l'information suivie contre lui, des chefs d'importation, détention et diffusion d'images pornographiques de mineurs, a prononcé sur sa demande d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 31 octobre 2006, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 7 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 66 de la Constitution, des articles 113-2, 121-7 et 227-23 du code pénal, des articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les principes de la loyauté des preuves et des droits de la défense :
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation de l'ensemble de la procédure pour cause de provocation ;
" aux motifs que la justice française est incompétente pour connaître d'une prétendue nullité de la procédure américaine concernant des actes qui ont été accomplis par les autorités américaines, sur leur territoire ;
que les investigations des autorités américaines constituent de simples renseignements, régulièrement transmis aux autorités judiciaires françaises, jointes au dossier de la procédure et dont toutes les parties ont pu discuter, de la possibilité d'agissements délictueux (commis entre le 9 septembre 2003, à 23 heures 54 et le 10 septembre 2003, à 2 heures 07 du matin), à partir desquels les services de police français ont procédé à des investigations pour rechercher les auteurs éventuels et rassembler les preuves, d'abord dans le cadre d'une enquête préliminaire, puis, après l'ouverture d'une information, dans le cadre d'une commission rogatoire du juge d'instruction ;
que les investigations policières ont permis de découvrir sur les ordinateurs et des disquettes de Cyril X... la présence de nombreuses images pornographiques mettant en scène des mineures ;
que rien dans la procédure ne montre que Cyril X... ait été déterminé par quiconque à commettre ces faits, la seule existence sur internet de sites et de " newsgroups " pornographiques ne constituant pas un stratagème destiné à le déterminer à avoir des agissements délictueux ; qu'il est d'ailleurs indifférent que les sites qu'il a consultés aient été créés par des internautes ou par un service de police américain ; que c'est de sa seule initiative que Cyril X... a utilisé ces divers sites et forum, à de nombreuses reprises, et sur une longue période de temps ; qu'il n'y a donc pas d'atteinte au principe de la loyauté des preuves dans la présente procédure ;
" 1°) alors que, d'une part, l'exploitation directe par la police d'un site pédopornographique sur le réseau mondial internet (world wide web), où il est librement et gratuitement accessible à tous, est caractéristique d'une provocation policière réputée commise en France par le seul fait de la connexion offerte à partir du territoire français, et relève de la compétence de la loi pénale française ; que la cour de Paris n'a pu dans ces conditions dénier sa compétence et refuser de vérifier la compatibilité du procédé avec l'ordre public français et européen du procès équitable ;
" 2°) alors que, d'autre part, le site litigieux offrant à quiconque de recevoir et d'adresser gratuitement et anonymement des images interdites, incitant ainsi chaque internaute à commettre un délit non détachable de la connexion elle-même, et qui n'existerait pas sans celle-ci, réalise une provocation prohibée à l'infraction et non pas une provocation à la preuve d'une infraction préexistante ; qu'il en va de plus fort ainsi qu'aucune suspicion préalable d'infraction ne saurait légalement peser sur les internautes qui se seraient connectés au site incriminé " ;
Vu l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves ;
Attendu que porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d'une infraction par un agent public, fût-elle réalisée à l'étranger par un agent public étranger, ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ;
Attendu que, le 11 mars 2004, le service des douanes et de l'immigration des Etats-Unis (US Immigration and Customs Enforcement) informait la direction centrale de la police judiciaire française de ce que Cyril X... s'était connecté, dans la nuit du 9 au 10 septembre 2003, sur un site de pornographie infantile créé et exploité par le service de police de New-York, unité criminalité informatique, aux fins d'identifier les pédophiles utilisant internet ; que la transmission de ladite information a donné lieu à une enquête préliminaire en France puis, le 17 décembre 2004, à l'ouverture d'une information contre personne non dénommée des chefs d'importation et détention d'images pornographiques de mineurs ; que, le 19 octobre 2005, une perquisition effectuée au domicile de Cyril X..., inconnu des services de police jusqu'à cette date, a permis la découverte de deux ordinateurs portables, de CD-ROM, de disquettes et d'une clé USB, dont l'examen a révélé qu'ils contenaient des images pornographiques de mineurs ; que, le 21 octobre 2005, à la suite d'un réquisitoire supplétif du ministère public, l'intéressé a été mis en examen des chefs précités ainsi que de diffusion de ces images ;
Attendu que, pour rejeter la requête en annulation formée par Cyril X... au motif que la procédure conduite en France serait fondée sur un stratagème des autorités américaines ayant provoqué l'intéressé à la commission d'une infraction, l'arrêt retient, d'une part, que " la justice française est incompétente pour connaître d'une prétendue nullité de la procédure américaine ", d'autre part, que " les investigations des autorités américaines constituent de simples renseignements régulièrement transmis aux autorités judiciaires françaises ", enfin, que " rien dans la procédure ne montre que Cyril X... ait été déterminé par quiconque à commettre ces faits ", ayant agi " de sa seule initiative " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la perquisition au cours de laquelle les images illicites ont été découvertes sur différents supports informatiques appartenant à Cyril X... était consécutive à la provocation à la commission d'une infraction organisée par les autorités américaines et dont les résultats avaient été transmis aux autorités françaises, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, en date du 26 septembre 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Le Gall, Mme Chanet, M. Pelletier, Mme Ponroy, MM. Arnould, Corneloup, Pometan, Guérin, Bayet conseillers de la chambre, M. Sassoust, Mme Caron conseillers référendaires ; Avocat général : M. Boccon-Gibod ; Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;