LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
IRRECEVABILITE ET CASSATION sur les pourvois formés par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (LDH), l'association Observatoire congolais des droits de l'homme (OCDH), X... Pascal, Y... Gislain, Z... Aubin, A..., l'association les disparus du Beach, B... Marcel, l'association Survie, parties civiles, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 22 novembre 2004, qui, dans l'information suivie, sur leur plainte, contre personne non dénommée, des chefs de crimes contre l'humanité, actes de torture et enlèvements de personne, a prononcé sur une demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur la recevabilité des pourvois formés par Marcel B... les 26 et 30 novembre 2004 :
Attendu que le demandeur, ayant épuisé par l'exercice qu'il en avait fait le 26 novembre 2004, avec l'association Survie, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision ; que seul est recevable le pourvoi formé le 26 novembre 2004, avec l'association Survie ;
Vu les mémoires personnel et ampliatif, le mémoire en défense et les observations complémentaires produits ;
I-Sur la recevabilité du mémoire personnel produit par Marcel B... et l'association des disparus du Beach :
Attendu que ce mémoire, qui émane de demandeurs non condamnés pénalement par l'arrêt attaqué, n'a pas été déposé au greffe de la chambre de l'instruction, mais a été transmis directement à la Cour de cassation, sans le ministère d'un avocat en ladite Cour ;
Que, dès lors, ne répondant pas aux exigences de l'article 584 du code de procédure pénale, il ne saisit pas la Cour de cassation des moyens qu'il pourrait contenir ;
II-Sur le mémoire ampliatif produit pour les autres parties civiles et Marcel B... : Vu l'article 575, alinéa 2,4° et 7° du code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1er,5,6 et 7 de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines du traitement cruel, inhumain ou dégradant,3,6,13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire,40,41,80,113-1,173,174,689-1,689-2,591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale : " en ce que l'arrêt attaqué a annulé le réquisitoire introductif et la procédure subséquente ; " aux motifs que, les dispositions de l'article 689-1 du code de procédure pénale, visées en l'espèce par le réquisitoire introductif qui a saisi le juge d'instruction présentent un caractère dérogatoire en ce qu'elles permettent la poursuite et le jugement en France d'infractions commises hors le territoire de la République, alors même que ni leurs auteurs ni leurs victimes ne sont des nationaux ; que ces dispositions subordonnent leur application à la double condition que l'infraction soit l'une de celles envisagées par les conventions internationales énumérées par les articles 689-2 à 689-9 du code de procédure pénale et que la personne, faisant l'objet des poursuites, se trouve en France au moment de leur engagement ; qu'en premier lieu, le réquisitoire introductif, en l'espèce, vise non seulement des faits de torture pour la définition desquels l'article 689-2 du code de procédure pénale fait renvoi à la Convention de New York du 10 décembre 1984 mais aussi des crimes contre l'humanité qui ne sont compris dans aucune des conventions sus-énumérées ; qu'en second lieu, le réquisitoire, qui a mis en mouvement l'action publique, a été pris contre X et, par conséquent, ne comporte pas l'élément permettant de constater qu'est accomplie la condition tenant à la présence sur le sol français de la personne poursuivie, alors que cette constatation constitue un préalable nécessaire à la mise en oeuvre de cette compétence dérogatoire ; que le caractère dérogatoire des dispositions de l'article 689-1 du code de procédure pénale exclut qu'il soit fait, simultanément, application de celles, générales, de l'article 80 du code de procédure pénale qui permettent au ministère public de prendre un réquisitoire contre personne nommée ou contre personne non dénommée ; qu'au demeurant, en l'espèce, l'ouverture de l'information contre X a eu pour conséquence de conduire le juge d'instruction à faire entendre, sur commission rogatoire, Norbert C..., seule personne susceptible, selon le procureur général, d'être visée par l'information, ce que prohibe l'article 113-1 du code de procédure pénale, lorsqu'une personne est nommément désignée par le réquisitoire ; que le réquisitoire, qui ne satisfait pas aux conditions légales de son existence, sera annulé ainsi que l'ensemble de la procédure subséquente ;
" 1°) alors que le procureur de la République, au vu des renseignements dont il est destinataire, ayant non seulement le droit mais le devoir de requérir l'ouverture d'une information, dès lors que les faits énoncés commis à l'étranger, relèvent de la qualification de torture au sens de l'article 1er, de la Convention de New York du 10 décembre 1984, que les résultats de l'enquête préliminaire, diligentée en application de l'article 6 de cette Convention, ont mis en évidence la réalité de tels faits et que l'une des personnes mise en cause, est trouvée sur le territoire français, le réquisitoire introductif ne peut être annulé que s'il ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale ; qu'en l'espèce, le ministère public, demandeur à l'action en nullité, ne soutenait aucunement que le réquisitoire introductif ne satisfaisait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale et qu'au regard de cette absence de contestation, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, annuler cet acte du parquet ainsi que l'ensemble de la procédure subséquente ;
" 2°) alors qu'il résulte des mentions du réquisitoire introductif (D29) qu'il est daté et signé, pris contre X, vise des infractions déterminées ainsi que les textes qui leur sont applicables et vise les pièces de l'enquête préliminaire sur lesquelles il se fonde et qui lui sont jointes, en sorte que ce réquisitoire satisfait, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale et qu'en décidant le contraire, la chambre de l'instruction, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;
" 3°) alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 203,689-1 et 689-2 du code de procédure pénale que, dès lors que les juridictions françaises ont compétence pour juger des actes de torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants visés, tant par l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 que par l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles ont compétence pour connaître des actes connexes à ces infractions, ce qui est le cas des crimes contre l'humanité perpétrés pour en consommer l'exécution ainsi que le faisait pertinemment valoir le procureur général devant la chambre de l'instruction ;
" 4°) alors qu'il résulte des dispositions des articles 1er,4 et 5 de la Convention de New York du 10 décembre 1984 que les Etats signataires de cette Convention ont le pouvoir de poursuivre les actes de torture perpétrés hors de leur territoire, dès lors que l'auteur présumé se trouve sur le territoire de leur juridiction, en donnant à ces actes la qualification qu'ils comportent, devant veiller " à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal " ; que, lorsque la torture est pratiquée à grande échelle ou de manière systématique à l'encontre de nombreux civils, ce crime peut se cumuler avec celui de crime contre l'humanité ;
" 5°) alors qu'il se déduit des articles 689-1 et 689-2 du code de procédure pénale que le procureur de la République est compétent pour poursuivre les infractions visées par l'article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 dès lors qu'il résulte des pièces annexées au réquisitoire qu'une ou plusieurs personnes se trouvent en France, cette compétence étant au demeurant prévue par la Convention susvisée et que, dès lors que cette condition préalable est remplie, il est libre, soit de prendre les réquisitions contre la ou les personnes qui se trouvent en France, soit contre personnes non dénommées ; qu'en l'espèce, Norbert C..., expressément mis en cause dans les pièces annexées au réquisitoire, se trouvant incontestablement en France, selon ces pièces, à la date à laquelle le réquisitoire a été pris, celui-ci n'implique aucune violation des règles de compétence au regard des articles susvisés ;
" 6°) alors que, pour déterminer la portée d'un réquisitoire dont la nullité est alléguée devant elles-ce qui n'était au demeurant pas le cas en l'espèce-, les chambres de l'instruction doivent impérativement se reporter aux pièces annexées à ce réquisitoire, le visa de ces pièces valant analyse de celles-ci et qu'en l'espèce la présence sur le territoire français de Norbert C... ressortait à l'évidence du procès-verbal n° 2530 / 2001 annexé au réquisitoire introductif, ce que l'arrêt attaqué a voulu ignorer pour les besoins d'une décision qui équivaut à un refus d'informer ;
" 7°) alors que l'éventuelle irrégularité, résultant de l'inobservation par le juge d'instruction des dispositions de l'article 113-1 du code de procédure pénale, est de toute évidence insusceptible d'affecter la validité du réquisitoire introductif ;
" 8°) alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 3,6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que, méconnaît le principe du procès équitable l'Etat dont les institutions judiciaires refusent de donner suite, en violation des dispositions de la Convention de New York, fût-ce par le biais d'une décision d'annulation du réquisitoire introductif et de la procédure subséquente, à une plainte déposée notamment par des associations ayant pour but la défense des droits de l'homme, du chef de tortures commises à l'étranger, lorsqu'il résulte de cette plainte et pièces de l'enquête préliminaire qu'au moins un des auteurs présumés se trouvait sur le territoire de cet Etat " ;
Et sur le même moyen relevé d'office en faveur de l'association les disparus du Beach :
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 689,689-1,689-2,40,41 et 80 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, selon les trois premiers de ces textes, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui, hors du territoire de la République, s'est rendue coupable de torture au sens de l'article 1er de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York, le 10 décembre 1984 ;
Attendu que, d'autre part, le procureur de la République tient des trois derniers articles susvisés le droit de requérir l'ouverture d'une information au vu de tous renseignements dont il est destinataire et que le réquisitoire introductif ne peut être annulé que s'il ne satisfait pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), la Ligue française des droits de l'homme (LDH) et l'Observatoire congolais des droits de l'homme (OCDH) ont porté plainte contre Denis D..., président de la République du Congo, Pierre E..., ministre de l'intérieur, Norbert C..., inspecteur général des armées, Blaise F..., commandant de la Garde Républicaine, pour des arrestations arbitraires, des actes de torture et des disparitions forcées, intervenues de mai à juillet 1999, concernant des personnes déplacées qui revenaient au Congo par le port fluvial de Brazzaville, dit " Le Beach ", à la suite d'un accord définissant un couloir humanitaire sous les auspices du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ; Attendu que le procureur de la République de Paris a transmis la plainte au parquet de Meaux territorialement compétent en raison du domicile connu de Norbert C...,54 allée des Tilleuls Bois Parisis à Villeparisis ; que l'enquête préliminaire, ayant confirmé la réalité du domicile de Norbert C... et de sa famille à cette adresse, le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information des chefs de crimes contre l'humanité, actes de tortures et enlèvements de personne ;
Que le magistrat instructeur saisi a accompli plusieurs actes de procédure, notamment par commission rogatoire, à l'égard des personnes visées dans la plainte ; que Jean François N'Dengue, directeur général de la police au Congo, qui résidait à Meaux, a été arrêté, placé en garde à vue, entendu puis libéré au motif qu'il bénéficiait d'une immunité diplomatique ; que Norbert C... a été entendu en qualité de témoin assisté puis a refusé de déférer aux convocations du juge d'instruction qui a alors décerné un mandat d'arrêt à son encontre ; que plusieurs victimes se sont constituées parties civiles ;
Attendu que, le 5 Avril 2004, le procureur de la République a présenté une requête aux fins d'annulation des actes accomplis concernant Jean-François N'Dengue, Pierre E... et Blaise F..., au motif que le réquisitoire introductif improprement pris contre personne non dénommée ne pouvait en réalité viser que Norbert C..., seule personne susceptible d'avoir participé aux faits dénoncés et dont il était établi qu'il a un domicile sur le territoire national ;
Attendu que, pour annuler non seulement les pièces visées dans la requête du ministère public mais aussi le réquisitoire introductif et l'ensemble de la procédure subséquente, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, le réquisitoire introductif, régulièrement daté et signé par un magistrat du parquet, visait des procès-verbaux d'enquête préliminaire joints en annexe, que, d'autre part, les personnes soupçonnées d'avoir commis les faits dénoncés étaient nommément désignées dans la plainte et qu'enfin, étaient relevés, au moment de l'engagement des poursuites, des éléments suffisants de la présence en France d'au moins l'une d'entre elles, Norbert C... ayant sa résidence habituelle sur le territoire français où il est établi avec sa famille, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et des principes ci-dessus rappelés ; D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
I-Sur le pourvoi formé par Marcel B... en son nom personnel le 26 novembre 2004 :
Le déclare IRRECEVABLE ;
II-Sur les autres pourvois :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 22 novembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix janvier deux mille sept ;